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L’hiver dernier : John Shank filme la mort d’un monde rural

John Shank, dans son premier long-métrage L’hiver dernier, filme la nature de façon brute et magnifique. Même si les saisons changent, la nature se fait toujours aussi belle et terrifiante à la fois, car c’est contre elle que Johann, jeune agriculteur dans l’Aveyron (interprété par Vincent Rottiers) doit se battre au quotidien. Mais son plus grand combat, il le mènera contre le capitalisme grandissant qui l’empêche de travailler comme il l’a toujours fait, et comme son père avant lui. C’est sur les traces de ce père que le jeune homme tente de marcher, mais l’agriculture a changé, travailler dure et faire les choses bien « ne suffit plus ». Cette immobilité, ce silence imposé par la mise en scène est, on le comprend bien, le reflet de celle qui est imposée à Johann, face à la disparition du métier qu’il a toujours connu. Alors que les candidats à l’élection présidentielle se succèdent actuellement au Salon de l’Agriculture, ce film leur rappelle, si nécessaire, que ce monde est en train de mourir…

Ce n’est pourtant pas stricto sensu un film sur le monde rural explique le réalisateur : « Je ne cherchais pas à faire le portrait du monde rural. Il m’intéresse, j’y suis attaché, j’ai l’impression que je fais partie de la même famille, mais l’idée première du film n’était pas là. Lors d’une projection dans le Gers, un paysan y a vu un film sur un jeune homme qui a un grand vide en lui et qui essaie de le remplir sans trouver de réponses dans le monde qui l’entoure. Et c’est effectivement au départ beaucoup plus un film là-dessus, sur un garçon qui a des liens très puissants d’appartenance et d’amour dans le monde qui lui a été transmis et qui sent que ça lui échappe, qui ne sait pas à quoi se raccrocher. C’est d’avantage un film sur la filiation, sur la recherche de l’expression d’un amour pour un monde, alors que ce monde lui glisse entre les mains. Il cherche l’endroit où mettre son amour, mais ça ne résonne plus. » John Shank poursuit : « Après, je me suis appuyé sur la réalité du monde rural, donc j’ai été à la rencontre des gens, d’un milieu que je connais affectivement très bien, mais la réalité quotidienne et économique des petits éleveurs du Nord Aveyron, je ne la connaissais pas et je l’ai découverte pendant l’écriture du film. L’histoire résonnait particulièrement avec ce que je découvrais et ce que je sentais quand j’étais en repérages dans l’Aubrac. Quelque chose devenait visible dans ce monde rural-là. » « Il est très difficile de continuer à voir la raison d’être du travail paysan dans le monde régi par le capital. Pourtant, il a sa raison d’être. Il ne peut subsister que si quelqu’un, individuellement, pense ou sent que c’est important. Si quelqu’un le fait par amour. Le film raconte un monde qui ne répond plus aux choses faites par amour, par passion, et c’est essentiel au film » conclut John Shank.

Dialogue avec Henri Mouret, éleveur à la Terrisse (Aveyron)

John Shank a rencontré Henri Mouret pendant la préparation du film où il travaillait avec l’équipe de décoration. Il a accompagné Vincent Rottiers à la découverte de son monde. Il a été un conseil pour tout ce qui était directement lié au travail d’élevage. Il est devenu une sorte de référent pour l’équipe. Entretien réalisé par B. Loutte. J’aimerai d’abord faire un bref rappel des changements dans mon environnement proche, dans les façons de travailler que j’ai connues. Après la Seconde Guerre, les choses ont évolué rapidement, l’économie a d’abord été florissante, les progrès fulgurants, mais ça a été si rapide que les paysans se sont retrouvés irrémédiablement liés à une machine de production qui épuisait la terre, qui détruisait leur passé, leur futur. Avant 1990, il y avait encore une certaine entraide dans le métier, une convivialité dans le village, et surtout un respect de l’outil de travail, de la terre. Aujourd’hui, on est tombé dans un individualisme forcené. L’agriculteur devient un loup pour l’agriculteur. Moi, mon premier prédateur, c’est mon voisin. On se retrouve alors avec une activité où le paysan est habitué à travailler seul, il devient taiseux, la communication disparaît. Quand j’ai lu le scénario de John, j’ai eu l’impression qu’il l’écrivait pour moi, je me suis fortement retrouvé dans le personnage de Johann. J’ai une exploitation qui appartenait à mes arrières grands-parents; mes grands-parents et parents n’étaient pas dans le métier de la terre mais dans celui du bois. Je sais que mes ancêtres ont souffert dans ce lieu et je pense que notre devoir c’est justement de conserver ce qu’on nous a laissé et même de l’améliorer. Aujourd’hui, je suis le dernier ici à travailler comme dans les années 1980. J’ai refusé l’outillage et les bâtiments modernes pour fuir les charges. Si j’avais marché dans le système, je serai obligé aujourd’hui de me séparer de la terre de mes ancêtres. Désormais, on ne rémunère plus les gens par rapport au travail fourni mais plutôt par rapport au capital qu’ils détiennent. Les gens capitalisent dans du terrain, touchent subventions et primes, et contribuent à faire disparaître les agriculteurs modestes qui ne peuvent plus s’en sortir. Inconsciemment, ils ont ainsi saccagé, usé notre outil de travail. Se tourner vers les engrais, les produits phyto-sanitaires, l’élevage intensif, tout cela génère une pollution folle. Il y a aujourd’hui une quantité de vaccins et traitements sur les animaux, et toutes ces molécules pharmaceutiques se retrouvent dans l’eau. Et la Terre, c’est une bulle, rien ne rentre et rien ne sort. On retombe toujours sur les mêmes éléments, c’est la même matière, c’est juste un transfert de matière, c’est ça la vie. Et on n’en sortira pas, on peut faire ce qu’on veut. C’est pour ça que l’eau est si importante et que les conséquences de cette forme d’agriculture sont catastrophiques Tout ça, je ne le fais pas. Je me considère comme un artisan de la nature. Je vis avec très peu de terrain et je ne travaille que de mes mains, par respect pour l’environnement et pour ce que m’ont laissé mes ancêtres, je fais de la cueillette, et j’ai juste des animaux pour entretenir ce que j’ai comme terre. Et après les gens que je croise je leur explique comment ça se passe, c’est mon rôle, maintenant je ne peux pas faire plus, je ne peux pas faire bouger les choses, c’est pas possible. Ce qu’il y a de pire pour un agriculteur, c’est de se séparer du bien de ses ancêtres ou de son outil de production. Quand Johann abandonne ses bêtes à la fin, c’est vraiment bouleversant pour moi. Je ne sais pas si un public citadin ressentira la même émotion. Il faut vraiment vivre avec cela pour s’en rendre compte, ça équivaut à prendre ce que l’on a de plus cher. Moi, je vis dans le cocon qu’on m’a laissé, si je parle aujourd’hui c’est pour les générations à venir, c’est pas pour les gens qui sont en place, je m’en fous d’eux, c’est pour les générations futures, c’est pour les gamins qui arrivent, on leur a tout piqué, on leur laisse rien, c’est ça qui est le plus dramatique. Finalement, je me retrouve dans le même cas de figure que Johann puisque d’un moment à l’autre, il va falloir que je m’arrête, je le sais. J’ai refusé de rentrer dans le système, je ne traite ni ne vaccine les animaux et forcément j’ai des problèmes par rapport à cela. Il y a certaines normes à respecter, le système risque de me contraindre à arrêter. Mais je pense que les grosses exploitations sont aussi vouées à disparaître. Dans le film, Johann reste dans sa ligne de conduite, il est honnête envers lui-même. Cela reflète un peu ce que je vis, car si je prend mon cas, je n’accepterais jamais de trahir mes valeurs, de me mettre dans une situation dégradante, quelle que soit la situation. Si j’étais vraiment au bout du rouleau, j’irai m’isoler et puis voilà, et puis on arrête tout, mais pour le moment non, je m’accroche.

Critiques

« Une mise en scène élégante. Vincent Rottiers confirme son charisme brut. Sans conteste, le grand acteur de demain » (PREMIERE) « Vincent Rottiers incarne à la perfection le mutisme buté de celui qui refuse d’abandonner. Le réalisateur cherche, par le contraste entre le minimalisme de son récit et l’amplitude de sa mise en scène, à atteindre l’universel, questionnant le rapport en l’humain et l’immensité du Monde. Dès lors, c’est vers les premiers Malick que l’on cherchera l’influence la plus forte : une influence que John Shank porte fièrement » (LES FICHES DU CINEMA) « Le cinéaste signe une fiction envoûtante » « Etonnant premier film ». « Une des excellentes surprises du moment. » (POSITIF) « C’est un premier film, beau comme un requiem. » (MARIANNE) « L’Hiver Dernier est un bijou de sobriété et d’âpreté. » (SUD OUEST) « La moindre scène donne lieu à une série de plans grandioses. » (LE MONDE) « Une approche de l’espace rural jamais empesée par une nécessité de se rengorger d’images typiques de la « France profonde », mais portée par une recherche de motifs de cinéma, par la croyance que ces gestes et ces décors réels sont aussi porteurs d’histoires à raconter. » (CRITIKAT) « Pour son premier long métrage, John Shank réalise un film poétique pour décrire un monde agricole en perdition. » (LA CROIX) « Peinture sombrement lyrique de la fin du monde, ce premier film témoigne d’un beau sens de l’espace et de la nature. » (LE FIGAROSCOPE) « John Shank célèbre l’espace à force de magnifiques plans mélancoliques. Un choix radical inspirés de ses maîtres, John Ford et Terrence Malick. » (L’EXPRESS)

 

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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