« Nous construisons un monde qui sera un crime contre l’humanité permanent ». En 2093, les belles idéologies humanistes et optimistes sont définitivement mortes et enterrées. La terre gronde, et ce n’est qu’une question de temps pour qu’elle s’effondre sur elle-même, engloutissant avec elle l’humanité. Il y aura peu de survivants à ce cataclysme. Mais comment en est-on arrivé là ? Tout simplement par égoïsme, par vénalité. La terre a tout donné, les humains l’ont souillée sans vergogne. Et, ce qui devait arriver, arriva…
CRITIQUE : Dans cette atmosphère de fin de monde, deux femmes discutent dans une auberge. Annia, la jeunesse innocente et naïve, toujours pleine d’espoir, et Madame, froide, cynique, dont tous les sentiments sont anesthésiés. Elles vivent toutes deux hors du monde, coupées du temps et de la société. Cet exil volontaire s’explique : Madame, avec sa personnalité hors du commun, a toujours effrayé ceux du village. Ceux-là mêmes qui ont abusé d’Annia pendant des années, l’ont rabaissée et transformée en esclave. Et pourtant, elle a encore la force de leur pardonner. « Ce n’étaient plus des humains mais des bêtes » qui lui ont fait subir son calvaire, deshumanisés à cause de la détérioration de leurs conditions de vie. Car le changement climatique induit par la pollution humaine a aussi des conséquences sur l’organisation de la société. Cette période de crise a fait remonter les plus bas instincts, car il faut lutter quotidiennement pour survivre. Annia et la terre. Toutes deux ont donné leurs ressources aux hommes, se sont laissées exploiter, leur ont pardonné leurs abus et finissent vidées, mais encore disposées à pardonner. Leurs destins sont entremêlés, ce qui donne malgré tout une petite lueur d’espoir. L’écriture de cette fable écolo est toujours subtile, jamais moralisatrice. Où l’on aurait pu tomber dans la lourdeur du militantisme ne se dégage que subtilité et sensibilité, avec une réelle intrigue et des personnages profonds. Un vrai diamant dans le « Off », sans doute promis à un bel avenir. Juliette Rouleaux (www.egazetteduspectacle.com) EXTRAIT DE LA SCENE 5 : JOHN – N’exagère pas. Nous ne sommes pas responsables de tout. MADAME – Tu es toujours aussi doué pour la justification. Moi, je sais que cela ne me lave pas de mon silence, ni de mes mensonges. Les peuples avaient confiance en moi. Ma réputation de climatologue et mes luttes passées leur semblaient un gage d’honnêteté et de rigueur. Quand je prenais une décision, les gens, et surtout les plus faibles et les plus menacés, pensaient que c’était le meilleur choix possible. Ils ne pouvaient pas savoir que j’étais manipulée et sous influence, que mon amour pour toi l’emportait sur tout, au point de me rallier à tes arguments, même si je les savais faux et au service d’intérêts médiocres et immédiats. Les gens me croyaient au-dessus de la mêlée alors que j’étais dans la boue jusqu’au cou et que c’était toi qui m’y maintenais. JOHN – Je t’aimais, mais le pouvoir est ce qu’il est. On ne gouverne pas dans l’innocence. Ce que j’ai fait, ce que je t’ai fait dire et faire était dans la logique du système. Les intérêts économiques et financiers étaient énormes, et les enjeux politiques aussi. Te laisser parler à ta guise, appliquer tes directives, cela revenait à donner le pouvoir à des rêveurs humanistes qui auraient mis le monde cul par-dessus tête. MADAME – Mais qui auraient peut-être sauvé ce qui pouvait l’être. JOHN – Au prix de bouleversements économiques et politiques inacceptables. D’ailleurs, ils n’auraient pas réussi. MADAME rageuse, – Parce que toi et les tiens, vous avez réussi ? Pour préserver l’état du monde tel qu’il vous convenait, vous vous êtes voilé la face en jurant que la situation n’était pas si grave et que, contre l’avis de ceux que vous appeliez des alarmistes irresponsables, il fallait avoir confiance en l’avenir. Puis devant l’évidence des dangers, vous vous êtes agités, et vous avez feint de prendre des décisions jamais appliquées pour ne pas léser les intérêts des uns ou des autres. Vous avez calmé les foules inquiètes, d’abord à coups de grand-messes et de proclamations, puis vous avez fini par les faire taire à grands coups de trique. Votre bilan, ce furent des centaines de millions d’êtres humains qui sont morts : de soif, de faim, sous le froid ou la canicule, engloutis par les eaux, auxquels s’ajoute la foule de ceux qui sont morts sous l’effet des ultra-violets à cause du manque d’ozone. Et je ne parle pas des peuples d’Afrique et d’Asie que vous avez massacrés en utilisant des armes épouvantables parce que la faim et la soif les faisaient remonter vers le nord. Maintenant, la terre est ravagée, on y crève de toutes parts, et nombre de ceux qui survivent ne savent plus s’ils sont encore des hommes. JOHN – Arrête ! Je t’en prie, arrête ! Tu crois que je ne le sais pas ? Tu crois que ça ne me hante pas ? Tu me prends pour une statue de pierre ? Non Erinye, non ! Il y a des années que je vis adossé à ce mur de cadavres, des années que je m’interroge pour savoir ce que j’aurais du faire. MADAME avec douceur. – Prendre le parti de l’homme. Le bouleversant texte de Georges de Calgliari est disponible aux Editions La Musaraigne – 5, rue Henri Poincaré 75020 Paris au prix de 10 €.