Venant de nombreux pays et continents, des hommes et des femmes de tous métiers se retrouvent régulièrement depuis 1993 dans un congrès au titre insolite « Et si la beauté pouvait sauver le monde ? ». Ils partagent une même conviction : le beau agit en profondeur, il redonne à l’homme dignité et espérance. Dans ces rencontres, temps de fête, de travail et de ressourcement, ils se retrouvent pour partager leur quête et leur expérience, formant une mosaïque colorée, ouverte, qui laisse le champ libre à de nouvelles pratiques susceptibles de donner du souffle à notre actualité artistique, sociale, culturelle, économique.
Qui n’a été, au moins une fois dans sa vie, bouleversé par la beauté d’un paysage, d’un chant d’oiseau, d’une œuvre d’art, ou même d’un geste ou d’un regard ? Souvenons-nous d’un tel moment. Expérience fugitive d’une légèreté inaccoutumée, temps suspendu, plénitude intérieure où l’espace d’un instant les soucis, les peurs, les pesanteurs s’évanouissent, ne nous sommes-nous pas alors sentis reliés tant à nous-mêmes qu’au monde ? Ces instants de beauté, leur avons-nous seulement accordé l’attention qu’ils méritent ? Les avons-nous laissés résonner en nous-mêmes, ou les avons-nous considérés seulement comme une parenthèse accidentelle dans notre vie chaotique ? Nous avons pourtant fait là une expérience d’Être. fenêtre ouverte sur l’infini ou sur l’intériorité, deux expressions d’une même réalité. Toute notre vie, nous sommes en quête d’unité intérieure, et cherchons à exprimer ce que nous sommes au plus profond de nous-même. C’est probablement pour cela que chacun d’entre nous porte en lui une soif de beauté. Cette aspiration est un appel existentiel, un cri de l’âme. Etre, c’est le grand chantier de l’incarnation, le véritable but du travail humain, un chantier auquel chacun est appelé à participer de manière particulière et unique. La beauté, ouvrant un chemin qui relie le fond et la forme, l’intérieur et l’extérieur, constitue un moteur puissant et une perspective à qui souhaite un sens à sa vie. Sa recherche constitue un chemin exigeant, qui requiert disponibilité, ouverture du cœur et dépossession de soi, des attitudes auxquelles nous ne sommes plus habitués. Celui qui entre dans cette conscience devient créateur et acteur de l’histoire. Nous avons, chacun d’entre nous, sans exception, la co-responsabilité de la forme humaine de la société au sein de laquelle nous vivons. La quête de beauté que nous portons est une quête d’harmonie qui participe du grand mouvement d’unification, d’amorisation, vers lequel concourent l’univers et l’humanité. Les artistes ouvrent la voie. Ils nous montrent ce que nous ne savons pas voir ordinairement. Ils poétisent la vie et nous apprennent que dans l’œuvre vraie, rien n’est infime ni superflu. Ils symbolisent la vie, ils nous aident à tout accueillir du réel et de l’humain, et à tout traverser, pour que la vie soit transfigurée. Au-delà de l’œuvre d’art, tous les domaines de la vie culturelle, sociale, économique, politique, méritent d’être envisagés comme des champs où faire œuvre de beauté. La beauté est une culture du sens ; elle offre à la société contemporaine une source de transcendance et d’espérance qui libère. Engager, quels que soient nos métiers, les actes qui créeront de nouveaux espaces d’humanité, replacer l’homme au centre de toute la vie sociale, réinventer les formes de l’école, de l’entreprise, de la communication, de la science, de l’économie, de la coopération interculturelle…, voilà des chantiers pour aujourd’hui. Il n’est pas question ici d’inventer une nouvelle idéologie ni de faire la révolution. Il s’agit plutôt de poser les actes ajustés que notre conscience nous inspire, à notre échelle, de travailler à unifier nos aspirations et notre agir, d’exercer notre liberté créatrice là où nous sommes, en nous affranchissant progressivement des conditionnements dans lesquels nous sommes souvent enfermés. La prophétie de Dostoïevski « La beauté sauvera le monde » prend tout son sens aujourd’hui. A l’heure où le matérialisme, l’absence de sens, la négation de l’être, montrent leurs effets dévastateurs à l’échelle de la planète, la petite voie de la beauté fait sourire. Et si ce sourire était justement la réponse ? Des hommes et des femmes de différentes cultures, métiers ou religions l’ont prise au sérieux, et s’engagent aujourd’hui sur cette voie. Là où ils sont, ils ont choisi de placer la beauté au cœur de leur vie, de leurs engagements familiaux, sociaux et professionnels, avançant les mains nues dans un environnement souvent hostile. Certains se sont rencontrés, reconnus. Ils ont eu le désir de partager leurs expériences, leurs avancées et leurs difficultés. Ainsi est né en 1993 le congrès « Et si la beauté pouvait sauver le monde ? », lieu de rencontre, de recherche, de partage d’expérience, de fête. Le congrès est artistique parce que l’art et la beauté révèlent la dimension sacrée de l’humanité, de la nature, du cosmos et rappellent à l’homme sa transcendance. Des artistes de différentes disciplines se côtoient dans une grande diversité d’expression. Il est interdisciplinaire parce que l’homme est un mystère qui ne peut être entrevu que dans sa globalité. Le décloisonnement des domaines de connaissance et d’expérience est nécessaire pour percevoir le réel dans sa profondeur et pour susciter de nouvelles façons de voir le monde et d’agir. Des professionnels dans différents domaines de travail tels que l’éducation, la santé, la communication, l’urbanisme, le monde rural, le développement local.., sont interpellés par cette vision globale. Enfin, il est interculturel parce que l’homme est un être de re1ation qui ne peut être lui-même que dans l’expérience de l’échange et du don. Accueillir les différences culturelles au sens le plus large, c’est aussi laisser se côtoyer en nous le pauvre et le riche, le malade et le bien- portant, le manuel et l’intellectuel, le croyant et l’incroyant… Le congrès n’est ni un mouvement, ni une association. C’est un courant, un souffle, une interpellation, qui oriente progressivement les chemins de ceux qui en sont partie prenante. Chacun des participants y est à la fois source et réceptacle. Il concerne quelques centaines de personnes sur plusieurs continents. Claire Fabre