La Cour des comptes, qui a mené une évaluation de la politique d’aide aux biocarburants en France, estime dans un rapport rendu public cette semaine que les consommateurs ont déboursé 3 milliards d’euros de plus pour les biocarburants, en raison d’une consommation plus importante et de mesures fiscales. Faux, selon les producteurs. Vrai, selon les ONG qui félicitent la Cour des Comptes pour son impartialité. « C’est un nouveau coup porté à la politique scandaleuse de soutien aux agrocarburants industriels » résume Antoine Bouhey, chargé de mission chez Peuples Solidaires/ActionAid.
« L’automobiliste sait-il que le gazole qu’il utilise dans sa voiture contient très certainement du biodiésel, et que pareillement l’essence contient du bioéthanol ? Que leur présence réduit le nombre de kilomètres qu’il peut parcourir par rapport au même plein de gazole ou de super pur ? Que ses factures de carburant financent, sans qu’on le sache et pour des montants considérables, la totalité de la politique française en faveur des biocarburants ? » C’est ainsi que Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, a présenté mardi dernier le nouveau rapport de la Cour qui épingle les biocarburants estimant le bilan agricole, écologique et énergétique mitigé. Il poursuit : « En cherchant à rendre plus visible cette discrète politique publique, qui a pourtant des effets importants, notamment sur le pouvoir d’achat, la Cour répond à sa mission d’information du citoyen, inscrite dans la Constitution par la révision du 23 juillet 2008. Elle n’a pas eu le seul souci de la transparence, elle a aussi estimé nécessaire d’examiner la pertinence de cette politique au regard de ses objectifs, de l’efficacité de ses outils et de ses résultats. L’évaluation menée lui a permis de prendre en compte le point de vue de la totalité des parties prenantes : les différents services de l’État, les agriculteurs, les producteurs de biocarburants, les industriels, les groupes pétroliers et la grande distribution qui assurent la distribution des carburants, les consommateurs, les constructeurs automobiles et les associations de protection de l’environnement ». La Cour a limité le champ de son évaluation aux biocarburants liquides utilisés dans les transports routiers, qui représentent la quasi-totalité des biocarburants utilisés. Le constat est souvent sévère. « La politique en faveur des biocarburants répond, comme de nombreuses autres politiques publiques, à des objectifs nombreux, peu explicités et mal hiérarchisés » résume le Président de la Cour des Comptes (il en détaille les nombreuses incohérences dans son intervention en téléchargement ici). Dans la conclusion de son intervention, le Président de la Cour des comptes estime : « Si l’on replace maintenant cette politique publique par rapport aux trois types d’objectifs, agricoles, environnementaux et énergétiques qui lui sont assignés, sa pertinence apparaît inégale selon les objectifs visés. Aucun objectif quantifié n’a été défini pour les biocarburants en matière de réductions de gaz à effet de serre, de réduction de la dépendance énergétique liée aux importations de pétrole ou de surfaces agricoles cultivées. En ce qui concerne la politique agricole, le bilan apparaît plutôt positif : une utilisation valorisante des jachères a pu être trouvée, notamment avec la culture du colza. Cette culture, en dépit de son faible rendement énergétique et de ses besoins élevés, notamment de pesticides, apporte utilement des produits azotés aux sols. Les débouchés de la betterave, et dans une moindre mesure ceux du blé et du maïs, ont été diversifiés grâce à l’éthanol. L’impact des coproduits des biocarburants, c’est à dire en majorité les tourteaux de colza pour les animaux d’élevage, a été important quoique encore parfois contesté sur le fond. En effet, ces produits se révèlent moins bons au plan nutritionnel que les tourteaux de soja importés. Néanmoins, le développement de la filière oléagineuse française a permis de limiter ces importations et conduit à une baisse du prix des tourteaux. L’effet de la politique des biocarburants sur le revenu des agriculteurs est difficile à mesurer. Dans l’ensemble, les subventions consenties aux filières de biocarburant ont été favorables au monde agricole, particulièrement dans le secteur des grandes cultures, en lui ouvrant de nouveaux débouchés. Selon les estimations des filières, les emplois directs et indirects créés seraient de l’ordre de 18 000. Le bilan énergétique des biocarburants n’est pas aussi favorable qu’on pourrait le croire. La réduction de notre dépendance énergétique a été limitée et coûteuse. Sur la période qui va de 2005 à 2010, la Cour a calculé que l’incorporation des biocarburants a permis d’économiser moins de 5% de la consommation totale de carburants routiers. L’État a subventionné la tonne de carburant non importée à hauteur, en moyenne, de 25% de son coût. Pour obtenir des effets significatifs en termes d’indépendance énergétique, des taux d’incorporation plus élevés seraient nécessaires. Une telle évolution soulève de nombreux problèmes. Outre les difficultés d’adaptation des moteurs, les marges de manoeuvre pour augmenter les surfaces agricoles sont limitées. En effet, pour assurer un taux d’incorporation global de 6% en équivalent énergétique, les terres aujourd’hui consacrées à la culture des biocarburants occupent 6% de la surface agricole utile. Pour substituer entièrement le carburant fossile par des biocarburants, il faudrait mobiliser toute la surface agricole française. Ceci confirme qu’en dépit de l’amélioration constante du rendement énergétique des biocarburants, ceux-ci ne peuvent être qu’un appoint minoritaire aux carburants fossiles. Enfin, la pertinence environnementale, qui est celle la plus immédiatement mise en évidence pour le citoyen, est difficile à mesurer et de plus en plus contestée. La Cour ne se prononce pas sur la valeur écologique des biocarburants. Elle relève cependant que les objectifs environnementaux visent en général à rendre les comportements plus sobres en énergie, en particulier en matière de transports, ce que les biocarburants ne permettent pas. Leur principale justification est leur moindre émission de gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles. Les méthodes de calcul reposent sur une analyse complète du cycle de vie des biocarburants et divergent selon qu’elles valorisent l’usage de déchets, prennent en compte ou non les coproduits. Surtout, les résultats des modèles apparaissent très différents selon la manière dont ils prennent en compte l’effet dit de changement d’affectation des sols, c’est à dire le fait qu’une culture de biocarburants peut avoir pris la place d’une forêt. Il existe aussi un effet indirect du changement d’affectation des sols, les biocarburants peuvent remplacer une autre culture qui, elle même, s’est déplacée pour prendre la place d’une forêt. Dans ces deux cas, le bilan carbone peut devenir très négatif. La prise en compte de l’effet du changement d’affectation des sols, direct ou indirect, joue un rôle important pour les cultures importées, notamment pour l’huile de palme, mais moindre pour la production française qui prend la place de jachères. Si au plan français, les incorporations actuelles sont tout à fait justifiables du point de vue environnemental avec une production en majorité nationale, il risque de ne pas en être de même si un taux d’incorporation supérieur devait être fixé en Europe. Un tel objectif impliquerait en effet des importations massives dont le caractère durable ou non durable serait difficile à prouver. Ces constats se limitent aux biocarburants dits de première génération, le bilan environnemental des biocarburants des deux prochaines générations étant pour le moment inconnu. En tout état de cause, le prix de la tonne de dioxyde de carbone évitée apparaît aujourd’hui très élevé pour les biocarburants. En effet, alors que la valorisation du carbone sur laquelle se fondent les pouvoirs publics dans les programmes de réduction des gaz à effet de serre se situe à 32€ par tonne de CO2 en 2010 et 56€ en 2020, le coût de la tonne de CO2 évitée s’élève, pour l’usage de bioéthanol, à environ 200€ et, pour celui du biodiésel, à près de 300€, selon les études disponibles. Même si le coût de la tonne de CO2 économisée dans les transports est plus élevé que dans d’autres secteurs, il n’en demeure pas moins que ce coût est très élevé ». « Tous ces constats plaident pour un soutien plus modéré à une filière qui est désormais structurée et dont la marge de progression apparaît limitée. Les incohérences que j’ai soulignées appellent des évolutions du dispositif français. Les cibles définies devront sans doute être moins ambitieuses mais plus faciles à tenir. En conséquence, la perception de la taxe générale sur les activités polluantes devra se réduire, ce qui limitera la hausse des prix à la pompe. Dès lors que les installations de production de bioéthanol et de biodiésel seront toutes amorties ou en passe de l’être, une diminution progressive de l’exonération de taxe intérieure à la consommation devrait être envisagée, dans le respect des engagements déjà pris. Elle aboutirait à une disparition de l’exonération après 2015. En échange de ce moindre soutien aux filières, notre protection douanière doit être plus efficace en combattant les importations aidées ou contournant les réglementations. Un strict respect du caractère durable, au sens écologique, de ces importations devra être assuré, suivant les critères défini par la directive européenne sur les énergies renouvelables, transposée en décembre dernier en droit français. Plus généralement, l’information du citoyen, qui a été le financeur de cette politique sans qu’on le lui dise, exige de clarifier les objectifs visés réellement. Dans l’opinion, cette politique semble tenir l’essentiel de sa légitimité par ses objectifs environnementaux. Or, jusqu’ici, la France, contrairement à l’Union européenne, a considéré que la politique des biocarburants était avant tout une politique agricole. C’est d’ailleurs uniquement dans ce domaine qu’elle a eu des effets significatifs. Elle a en effet permis le développement de filières puissantes, en particulier celle des oléagineux, mais au prix d’un renchérissement sensible du prix payé à la pompe et de la constitution de rentes de situation. Elle fait maintenant face à un contexte nouveau, plus concurrentiel, et l’attention des pouvoirs publics à la rendre plus transparente, et à bien la justifier, en particulier sur le plan environnemental et éthique, conditionnera son avenir ».Documents à télécharger
– Télécharger la synthèse du rapport (PDF – 27 pages). – Télécharger le rapport complet (PDF – 259 pages). – Je vous invite aussi à télécharger le communiqué de presse réalisé par la Cour des Comptes, il constitue une très bonne synthèse (PDF – 4 pages).Réaction des producteurs
Alors les agrocarburants cela coûte cher aux consommateurs ? Faux ! s’indignent les industriels. Pour le groupe Sofiprotéol, spécialiste des biodiésels, le surcoût pour le consommateur « est inférieur aux variations de prix observées d’une pompe à une autre, qui peuvent atteindre 10 centimes le litre ». De même, la filière du bioéthanol estime que la « concurrence bénéficie aux consommateurs » et souligne les importantes recettes fiscales supplémentaires pour l’Etat. Les acteurs économiques pointent les effets bénéfiques pour la balance commerciale française. Selon Sofiprotéol, « grâce aux biocarburants, l’auto-approvisionnement en protéines de la France est passé de 30% en 1980 à plus de 55% aujourd’hui ». Le développement des biocarburants a en effet permis la production de co-produits, notamment les tourteaux de colza qui se substituent à ceux de soja importés, indispensables pour nourrir les animaux d’élevage. Par ailleurs, « il faut rappeler que selon l’Ademe, le biodiésel réduit les émissions de gaz à effet de serre de 59% à 73% selon les matières premières utilisées », détaille Sofiprotéol.Réaction des ONG
Dans un communiqué de presse intitulé « Agrocarburants : circulez ! Il n’y a rien à voir ! », Réseau Action Climat – France et ses associations membres (Greenpeace, Les Amis de la Terre, Oxfam France et Peuples Solidaires estiment juste le surcoût estimé par la Cour des Comptes : « les agrocarburants, incorporés aux carburants fossiles, obligent à passer plus souvent à la pompe car ils sont moins efficaces que les carburants fossiles. On comprend donc mieux pourquoi le Gouvernement s’entête depuis des années à soutenir le développement des agrocarburants : l’augmentation de la consommation de carburant s’accompagne d’une augmentation de revenu pour l’Etat via la taxe payée par le consommateur (TIPP)… » « Cependant, poursuivent les ONG, même si les agrocarburants renflouent les caisses de l’Etat, les bénéfices sont majoritairement reversés aux filières industrielles via la défiscalisation des agrocarburants, alors qu’il n’y a plus de doute sur le fait qu’elles ne sont pas durables et qu’elles entrainent des impacts environnementaux et sociaux négatifs au niveau national et international ». Pour Antoine Bouhey, chargé de mission chez Peuples Solidaires/ActionAid : « Après le rapport du député Gilles Carrez en 2011, c’est un nouveau coup porté à la politique scandaleuse de soutien aux agrocarburants industriels. Leur consommation croissante en France et en Europe a indéniablement eu des impacts négatifs sur la sécurité alimentaire dans les pays du Sud, et favorisé l’accaparement de millions d’hectares de terres pour les produire. » Pour Diane Vandaele, chargée de mission au Réseau Action Climat : « Aujourd’hui, il faut clairement arrêter le développement des agrocarburants, en rester aux productions actuelles et stopper la défiscalisation pour que ces recettes soutiennent des filières réellement bénéfiques pour le climat ! Les industriels des agrocarburants affirment aussi que cela favorise l’indépendance alimentaire des élevages français (production de tourteaux de colza qui remplace l’importation de soja), mais ils oublient de dire que dans le même temps la France augmente ses importations d’huile alimentaire et qu’il existe des solutions plus écologiques et rentables pour produire les protéines nécessaires à nos élevage ». Enfin, pour Clara Jamart, responsable plaidoyer chez Oxfam-France : « En soutenant la production d’agrocarburants, la France contribue à l’augmentation des prix alimentaires au niveau mondial et laisse la facture aux automobilistes français. En résumé, tout le monde y perd, sauf les industriels de la filière ».