La cour d’appel de Paris a décidé aujourd’hui d’un non-lieu et met fin à l’enquête ouverte en 2001 sur l’impact du nuage de Tchernobyl en France et le cas du professeur Pierre Pellerin. L’ancien patron en 1986 du service central de protection des rayons ionisants était accusé d’avoir caché la vérité et d’avoir minimisé les conséquences en France du passage du nuage radioactif fin avril-début mai 1986.
Une plainte contre X avait été déposée en 2001 par la CRIRAD, la commission de recherche et d’Information indépendantes sur la Radioactivité, l’association française des malades de la thyroïde et un collectif de médecins corses. Le parquet général a demandé fin mars 2011 un non lieu dans cette affaire, avis suivi ce matin. La chambre de l’instruction avait auparavant suspendu l’enquête, menée depuis près de 10 ans, par la juge Marie Odile Bertella-Geffroy. Cet été Le Parisien-Aujourd’hui en France a publié des extraits d’un rapport d’experts commandité par la magistrate. Il montre notamment qu’il y a pu avoir des augmentations de 100 % des troubles thyroïdiens, en Corse, après 1986. La décision de ce matin était donc particulièrement attendue en Corse, la région « présumée » la plus touchée, car officiellement il n’y a jamais eu de lien établi entre le passage du nuage, et les cas de cancers et de troubles de la thyroïdes observés sur l’Ile depuis 25 ans. Mais la Cour d’appel estime malgré tout que « le lien entre l’augmentation des cancers de la thyroïde et la radioactivité déversée dans l’Hexagone par le nuage de Tchernobyl n’est pas établi ».Réaction de Michèle Rivasil
Michèle RIVASI, députée européenne Europe Ecologie Les Verts (EELV), conteste l’aboutissement de cette longue enquête et s’indigne de la décision prise par la Cour d’Appel de Paris. Fondatrice de la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRRIIRAD, créée en 1986 au lendemain de Tchernobyl), elle avait déjà gagné différents procès contre le professeur Pellerin qui l’accusait de diffamation. La CRIIRAD avait effectué de nombreux relevés d’échantillons révélant une contamination radioactive avérée des aliments consommés par la population française, et ce afin de dénoncer le mensonge d’Etat entourant le nuage radioactif de Tchernobyl. « Ce non-lieu est un non-sens: la justice a eu les moyens – preuves à l’appui – de démontrer la tromperie aggravée du professeur Pellerin, qui a mené à la consommation d’aliments dont les niveaux de contamination dépassaient les normes fixées par l’UE. J’invite l’Association des Victimes de la Thyroïde à se pourvoir en cassation afin de poursuivre leur quête de justice et de vérité. Nous irons jusqu’à la Cour Européenne des Droits de l’Homme s’il le faut. Un rapport d’experts, commandé par la juge Bertella-Geoffroy et cosigné par les professeurs Pierre-Marie Bras et Gilbert Mouthon, est parvenu à démontrer le lien de cause à effet entre le nuage radioactif et l’augmentation des troubles thyroïdiens. Cette étude a pu s’effectuer grâce au travail réalisé par le premier endocrinologue installé en Corse et a permis de comparer les troubles avant et après le 24 avril 1986: elle a démontré une hausse de 44 à 100% des troubles thyroïdiens après le passage du nuage radioactif. Si l’Etat avait informé la population des conséquences du nuage radioactif, ces troubles auraient pu être évités par la non-consommation d’aliments contaminés. C’est donc une véritable double-peine pour les victimes et un déni de démocratie résultant d’une volonté politique inhumaine: jusqu’à quand le nucléaire civil bénéficiera d’une telle impunité? C’est exactement la même situation qu’au Japon actuellement: la population vit dans la désinformation et continue à consommer des aliments contaminés. L’Histoire se répète mais aucune leçon n’est tirée: l’Homme doit rester au centre de l’action politique, il serait temps que nos élites s’en préoccupent à nouveau. »Réaction de Eva Joly
« Vingt-cinq ans après l’accident de Tchernobyl, la responsabilité de l’Etat n’est pas reconnue par la justice. Ce non-lieu est un déni de justice pour les victimes de cette crise sanitaire, notamment pour les nombreuses personnes souffrant de troubles de la thyroïde », écrit l’eurodéputée Eva Joly, candidate d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV) à la présidentielle dans un communiqué. « Dans le cadre de la campagne présidentielle, je proposerai une nouvelle législation qui tienne compte des risques sanitaires induits par de telles catastrophes. La justice ne doit plus être aux ordres et l’Etat doit prendre ses responsabilités lorsqu’il a failli, ce qui a été le cas lors de la catastrophe de Tchernobyl », poursuit-elle.Pour en savoir plus
– Consultez le site de la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRRIIRAD) en cliquant ici. – Lire l’article de Corse-Matin sur le premier rapport qui apporte des preuves formelles en cliquant ici. – Le docteur Denis Fauconnier vit à Costa en Balagne. Aujourd’hui à la retraite, il fut le premier à envoyer des échantillons de lait de brebis et de chèvre à Paris, dans le service du professeur Pellerin. Le premier également à dénoncer l’absence de réaction des autorités françaises dans leur ensemble. Il estime : « Avec ce non-lieu, on s’est moqué de nous ». « Les dégâts provoqués, a-t-il ajouté, étaient connus au plus haut niveau de l’Etat. Je n’ai cessé depuis 1986 de réunir les preuves de la répercussion du passage du nuage radioactif sur la Corse, elles sont irréfutables ». Vous pouvez consulter son blog où vous trouverez de nombreuses informations sur la catastrophe de Tchernobyl et ses retombées en cliquant ici. France Inter a consacré aujourd’hui un dossier spécial coordonné par Emmanuel Leclère et a interrogé le docteur Denis Fauconnier. Ecoutez-le : « On nous a trompés, on s’est moqué de nous. Alors je me suis formé pour comprendre ce qui se passait » : « Il y a beaucoup plus de leucémie de l’enfant et d’hypothyroïdies en Corse « : « On nous a dit que la population Corse ne représentait que deux quartiers de Marseille et que donc ça ne valait pas la peine de prendre des mesures spéciales » : – L’assemblée territoriale corse s’apprête à lancer un appel d’offre pour une vaste étude épidémiologique. Le but de cette étude: tenter de faire le lien entre le nuage de Tchernobyl et les nombreux cas de cancers et maladies de la thyroïde qui se sont déclarées sur l’ïle et que l’Etat français a toujours refusé de prendre en compte. Josette Risterucci est conseillère à l’Assemblée territoriale de Corse (Parti communiste) et présidente de la commission « Tchernobyl » : Suite à l’annonce du non lieu elle a déclaré : « Nous n’acceptons pas le mensonge d’Etat et notre enquête doit permettre à des victimes d’aller en justice ». – La génération 86 des victimes « présumées » du nuage de Tchernobyl. Entretien croisé avec deux jeunes corses nés au deuxième semestre de cette année là. L’une, Stéphane Rocca, a grandi à Piana, près d’Ajaccio. Elle n’a rien pour l’instant. L’autre, Bartolomé Colombani, vit toujours à Costa en Balagne. Il est tombé malade il y a 5 ans. Enfant, ils étaient deux malades, sur une classe de 12…