Le capital-risque a été conçu pour chasser les « licornes », ces start-ups valorisées à plus de 1 milliard de dollars. Mais les licornes seules ne peuvent pas arrêter les chocs climatiques ni redistribuer le pouvoir aux communautés en première ligne. La crise climatique exige quelque chose de différent, de plus holistique et interconnecté. Dans cette tribune, Chris Roe1 interroge le financement de l’innovation climatique en Europe et nous explique comment nourrir des écosystèmes entiers, en s’appuyant sur les entrepreneurs et communautés présents sur le terrain, ainsi que sur les investisseurs et autorités locales qui connaissent leur territoire.

Si l’on s’acharne à financer l’innovation climatique comme la prochaine entreprise tech à la mode, nous continuerons à obtenir des victoires isolées au lieu du changement systémique nécessaire.
Chris Roe, Directeur – Entrepreneuriat, Solutions & Ventures, Climate KIC

Aller au-delà des entreprises individuelles
Pendant la dernière décennie, l’entrepreneuriat climatique a largement emprunté les outils du capital-risque traditionnel. L’accent a été mis sur les entreprises individuelles, évaluées sur des marqueurs de réussite individuels comme les revenus et brevets, le CO2 évité ou les emplois créés. Ces mesures sont importantes, mais elles ne créent pas à elles seules de changement systémique. En conséquence, trop souvent le capital-risque récompense des résultats à court terme qui font en réalité très peu pour transformer les structures en place.
Ce modèle est particulièrement inadapté aux défis climatiques. Le financement traditionnel mise tout sur la rapidité et la croissance explosive, pas sur la capacité à travailler ensemble sur le long terme. Il ne regarde que les profits, en ignorant l’impact social et environnemental.
Résultat ? Les entrepreneurs se retrouvent en compétition pour les mêmes financements, au lieu de s’entraider et de mutualiser leurs forces pour relever ensemble ces défis monumentaux.
A Climate KIC, nous connaissons bien cette tension. Nous avons utilisé ces outils tout en critiquant leurs limites. Ce que nous avons appris c’est que la nature systémique de la crise climatique exige de soutenir un modèle systémique d’entrepreneuriat.
À quoi ressemble l’entrepreneuriat systémique
L’entrepreneuriat systémique ne remplace pas la création d’entreprises ; il réimagine le contexte qui l’entoure. Au lieu de soutenir des projets ponctuels, les financeurs soutiennent des réseaux d’entrepreneurs. Au lieu de chasser des « héros » individuels, nous supportons la force du collectif. Au lieu de courtes rafales de production, nous construisons des capacités et des relations qui durent.
Pour que ce changement s’opère, il faut passer d’une pensée transactionnelle à une pensée transformationnelle : des accords isolés aux dynamiques d’écosystème. Il s’agit de financer des portefeuilles qui mélangent l’innovation commerciale avec l’impact social, la circularité et la résilience, et de tisser ensemble les efforts fragmentés des start-ups, des organisations de soutien aux entrepreneurs, des autorités publiques et des investisseurs en quelque chose qui se comporte comme un système vivant : adaptatif, connecté et résilient.
Tout comme les forêts tirent leur résilience des systèmes de racines sous leur sol, la force de l’entrepreneuriat systémique réside dans la confiance, les relations et les capacités partagées qui ancrent les entreprises et leur permettent de résister aux chocs.
Exemples de solutions éprouvées sur le terrain

A Nairobi, dix start-ups ont piloté des solutions en amont en partenariat avec des travailleurs informels des déchets par le biais de notre « cluster » d’innovation. Gjenge Makers transforme les déchets plastiques en briques durables et peu coûteuses pour le logement. LeafyLife convertit l’huile de cuisson usagée en combustible propre abordable. Ecomak Recyclers développe des solutions plastiques circulaires tout en intégrant les ramasseuses de déchets dans leurs opérations. Collectivement, ces start-ups ont soutenu 792 travailleurs de l’économie informelle en 2024 et réduit les émissions d’environ 15 kilotonnes CO₂eq : l’équivalent annuel de quatre grandes éoliennes.
À Bengaluru, nous avons soutenu des entreprises comme PadCare Labs, qui a développé une technologie de recyclage des déchets sanitaires, et AmplePac, qui construit des systèmes d’emballage de recharge et retour pour les biens de consommation. Aux côtés de cinq autres entreprises, elles ont soutenu 135 travailleurs informels et adopté des stratégies mesurables pour renforcer l’inclusion sociale et l’équité de genre.
À Nairobi comme à Bengaluru, les clusters ont non seulement favorisé la collaboration entre entreprises, mais se sont aussi concentrés sur la formation des marchés, les partenariats gouvernementaux, le changement de comportement, la compréhension des barrières financières et politiques, et la construction de capacités pour renforcer l’écosystème plus large.

Cette approche fonctionne au-delà des entreprises d’économie circulaire. En Tanzanie, notre Cluster de l’innovation pour l’adaptation climatique a rassemblé sept organisations dirigées par des jeunes à Arusha pour une formation sur la politique climatique et la négociation, en utilisant la Boîte à outils de CARE International pour les Jeunes sur l’Adaptation et le Leadership. Le résultat n’était pas le lancement d’un seul produit, mais une cohorte de leaders équipés pour influencer les stratégies nationales d’adaptation climatique et mobiliser leurs communautés.

Dans le cadre de notre travail sur la mobilité durable en Slovénie, les start-ups ont collaboré avec les autorités municipales pour piloter des solutions de décarbonation des systèmes de transport. Celles-ci incluaient des plateformes de e-mobilité partagée et des outils numériques pour optimiser les transports publics. Ici, l’entrepreneuriat était intégré dans l’expérimentation politique, donnant aux entreprises une chance de façonner les transitions systémiques plutôt que d’opérer en marge.
Et en Irlande, des start-ups comme Agrolinera et SpaceCrop ont connecté leurs solutions aux défis identifiés dans le système agroalimentaire du pays. Cela a montré comment des portefeuilles d’interventions peuvent être précisément adaptés aux priorités climatiques locales définies par les gouvernements et les communautés.

Ce ne sont pas des succès isolées. Dans notre portefeuille, Climate KIC connecte plus de 10 000 entreprises, 400 partenaires, mentors et investisseurs dans plus de 80 pays.
Des programmes comme Climathon, ClimateLaunchpad et ClimAccelerator ont développé des milliers de solutions climatiques tout en créant également une base de connaissances d’outils, de mentorat et de métriques d’impact. Assemblés, ces actifs – et ceux des partenaires – forment quelque chose qui ressemble plus à un réseau dynamique qu’à une collection de projets.

Le rôle des financeurs
Ces exemples ne sont que le début. Ce sont des graines. Pour les faire pousser – et créer un impact réel, les financeurs doivent opérer différemment, par exemple :
- regarder au-delà des simples victoires rapides qui paraissent bien sur le papier mais n’ont pas d’impact durable,
- soutenir davantage le travail de construction de relations de confiance à long terme,
- financer audacieusement dans les communautés négligées,
- traiter l’incertitude et l’apprentissage collectif comme des résultats légitimes,
- associer le soin à l’urgence en soutenant aujourd’hui des innovations qui montrent un réel potentiel de transformer les systèmes.
Le choix devant nous
L’entrepreneuriat systémique arrive, que les financeurs le veuillent ou non. La seule question est de savoir si nous agirons assez tôt pour le façonner. Si nous le faisons, le paysage du financement de l’innovation climatique pourrait être très diffèrent d’aujourd’hui dans dix ans, en soutenant des initiatives connectées qui régénèrent les écosystèmes, redistribuent le pouvoir et créent les conditions pour que les communautés prospèrent face aux chocs climatiques. Mais si nous hésitons, nous risquons de voir des solutions prometteuses dépérir en isolation.
La bonne nouvelle est que nous ne sommes pas seuls dans cette réflexion. Certains philanthropes et des financeurs publics progressistes expérimentent déjà le soutien d’écosystèmes.
Il s’agit aujourd’hui de réinventer la façon dont nous faisons de l’entrepreneuriat au service de l’action climatique.
- Directeur du Pôle « Entrepreneuriat, Solutions & Ventures » à la CCI Climatique Climate KIC ↩︎