Face à l’intensification et à la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes, la mission constate que le système d’indemnisation est opaque et incompréhensible pour de très nombreux sinistrés et que la politique de prévention reste insuffisante. Afin de relever le défi du changement climatique, le rapport propose 55 recommandations, pour rendre nos régimes d’indemnisation plus justes et transparents, développer une vraie culture du risque, donner aux élus locaux et aux particuliers les moyens de réduire leur vulnérabilité et mieux protéger les agriculteurs face aux aléas climatiques.
Comme le rappelle Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure : « Le rapport a été adopté à l’unanimité, ce qui témoigne de la pertinence de nos constats et propositions, guidés par le seul souci d’améliorer la prévention des risques et l’indemnisation des catastrophes climatiques pour les sinistrés, qui nous alertent depuis plusieurs années sur ce sujet ». Selon M. Michel Vaspart, président : « Les travaux de la mission ont été particulièrement riches, avec plus d’une trentaine d’organismes auditionnés, une consultation en ligne et plusieurs déplacements de terrain. Le rapport établit des constats forts et formule des recommandations concrètes pour améliorer la résilience de notre pays face aux catastrophes climatiques ».Synthèse
– Rapport n° 628 (2018-2019) de Mme Nicole Bonnefoy, groupe Socialiste et républicain, sénatrice de la Charente La mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation a été créée le 22 janvier 2019, à la demande du groupe Socialiste et républicain. Composée de 27 sénateurs issus de l’ensemble des groupes politiques, elle a mené ses travaux sous la présidence de M. Michel Vaspart (LR – Côtes-d’Armor), sa rapporteure étant Mme Nicole Bonnefoy (Soc – Charente). Du 6 février au 4 juin 2019, la mission d’information a entendu une trentaine d’organismes, représentant toute la diversité des parties prenantes : administrations centrales, établissements publics, associations d’élus locaux, sinistrés, assureurs, juristes, climatologues… Elle a par ailleurs effectué deux déplacements : en Charente, le 20 mai, sur le thème de la sécheresse, et dans l’Aude, le 3 juin, sur le thème des inondations. Enfin, la mission a souhaité mettre en place du 9 avril au 17 mai une consultation en ligne sur le site du Sénat, qui a recueilli près de 600 contributions et dont une synthèse figure en annexe au rapport.Nos politiques de prévention et d’indemnisation des catastrophes naturelles ne sont pas à la hauteur des dérèglements climatiquesDéjà perceptible, l’impact du changement climatique sur le nombre et l’intensité des catastrophes naturelles va encore s’aggraver – Depuis le XXe siècle, les extrêmes climatiques se multiplient et s’amplifient. L’humanité contribue à cette aggravation, en raison de l’impact incontestable de ses activités sur le changement climatique. – Entre 1981 et 2015, les vagues de chaleur ont été deux fois plus nombreuses qu’entre 1947 et 1981 et plus intenses. La fréquence et l’ampleur des précipitations extrêmes ont également augmenté dans de nombreuses régions françaises, notamment le sud-ouest, avec des risques accrus d’inondations. – À l’avenir, les pluies extrêmes augmenteront dans toutes les régions. Les vagues de chaleur seront plus nombreuses, plus longues et plus fortes. Une sécheresse intense comme celle de 2003 pourrait devenir très fréquente avant la fin du XXIe siècle (tous les deux à trois ans). L’élévation du niveau des océans va accroître le risque de submersions marines et l’érosion côtière, qui touche déjà 20 % du littoral. – Au total, d’ici 2050, le montant des sinistres liés aux catastrophes naturelles va augmenter de 50 %, à cause du climat et de la concentration de la population dans des zones à risques. Les primes versées par les assurés pourraient passer de 12 à 18 % en 2050 afin de couvrir les besoins d’indemnisation. Un système d’indemnisation incompréhensible et injuste pour de nombreux sinistrés – Le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (« régime CatNat »), créé en 1982, permet de mutualiser les risques de catastrophes naturelles par un financement solidaire de l’ensemble des assurés. Malgré des fondamentaux pertinents, le fonctionnement actuel du régime exclut de nombreux sinistrés, et son opacité nuit fortement à l’acceptabilité des décisions de non-reconnaissance. – Lors de ses travaux, la mission a pu constater l’immense désarroi des sinistrés sollicitant le régime « CatNat », souvent confrontés à des traumatismes et à des situations humainement très difficiles : des familles avec enfants privées de logements, de jeunes couples endettés pour 30 ans afin d’acquérir un bien ayant vu sa valeur divisée par deux, des retraités perdant les économies de toute une vie, des ruptures de famille, des dépressions… Les décisions de non-reconnaissance suscitent un vif sentiment d’injustice, et l’impression d’une négation par les pouvoirs publics de désastres bien réels. – De nombreux particuliers signalent également des difficultés ultérieures avec les assureurs lors de la phase d’indemnisation, notamment en matière de délais de déclaration des sinistres ou d’évaluation des dommages par les experts d’assurance. Ce processus est vécu comme un « parcours du combattant ». – Le monde agricole souffre d’une vulnérabilité particulière vis-à-vis des aléas climatiques, comme en témoignent les ravages subis par les exploitants en cas d’évènements de forte intensité (grêle, tempête, sécheresse…). Il existe actuellement un vrai déficit de protection des agriculteurs, avec des problèmes d’articulation entre la couverture assurantielle et le régime ad hoc des calamités agricoles. Une politique de prévention complexe, inachevée et sous-dotée – En dépit de nombreux dispositifs, la politique de prévention reste inachevée. L’ensemble des communes à risques n’ont toujours pas été couvertes par un plan de prévention des risques naturels. En outre, la mise en œuvre des programmes d’actions de prévention des inondations est particulièrement longue et complexe, au point de décourager les élus locaux. Enfin, à peine la moitié des communes ayant à élaborer un plan communal de sauvegarde s’en sont effectivement dotées. – Les risques climatiques ont été insuffisamment intégrés à l’aménagement du territoire. Historiquement, le problème des sols argileux n’a pas du tout été pris en compte dans la conception des maisons individuelles. De nombreuses constructions restent, en outre, autorisées dans des zones à risques. Quant au recul du trait de côte, il s’agit d’un véritable impensé de la politique d’aménagement du territoire. – Enfin, le plafonnement des ressources affectées au fonds de prévention des risques naturels majeurs (fonds « Barnier ») constitue un vrai dévoiement de la contribution versée par les assurés, guidé par des considérations budgétaires de court terme. Il s’agit d’une erreur majeure, limitant fortement l’ambition de la politique de prévention, en contradiction totale avec les conséquences du changement climatique.
Une modernisation de nos politiques de prévention et d’indemnisation est indispensable pour relever durablement le défi du changement climatiqueProposer un système d’indemnisation plus efficace, juste et transparent – La majorité des parties prenantes considèrent que les grands principes du système d’indemnisation, fondé sur un principe de solidarité entre tous les assurés, sont à conserver mais qu’une réforme est indispensable pour moderniser durablement le régime CatNat à l’heure du changement climatique. – Les principales évolutions concernent la méthodologie retenue pour qualifier un phénomène de catastrophe naturelle, la transparence de la procédure de reconnaissance, et les dispositifs de franchises, qui conduisent à pénaliser excessivement certains assurés (particuliers, commerçants et artisans, petites collectivités territoriales). En outre, un effort global de pédagogie est indispensable. – Des évolutions sont également attendues dans les relations assurés-assureurs, en vue de donner des délais raisonnables aux particuliers pour déclarer leurs sinistres, d’harmoniser les pratiques des experts et de garantir des réparations durables et pérennes face à de nouveaux aléas climatiques. – Pour mieux protéger les agriculteurs, il est indispensable d’améliorer leur couverture assurantielle par un soutien financier accru, et de revoir les conditions d’éligibilité au régime des calamités agricoles, qui méconnaissent actuellement les conséquences du changement climatique et la diversification des cultures. Développer une vraie culture du risque en France – De l’avis unanime des acteurs de la prévention, la France manque cruellement d’une véritable culture du risque. Celle-ci repose avant tout sur la connaissance de l’exposition aux risques et la diffusion de bonnes pratiques pour s’en prémunir. Elle suppose également de sortir du mythe du risque zéro, dès lors que des protections seraient mises en place : il faut passer du « lutter contre » au « vivre avec ». – L’ensemble des parties prenantes doivent être sensibilisées et formées aux risques, en particulier les élus locaux – en première ligne face aux risques –, les citoyens, les maîtres d’ouvrage et les constructeurs. Cette information serait renforcée par plusieurs canaux : enseignement scolaire, formation professionnelle, réunions publiques, site internet unique, diagnostic « CatNat » pour les logements, documents publics, etc. – Les risques doivent être réellement intégrés à l’aménagement du territoire. Cela suppose en particulier de revoir les normes de construction, et de développer un aménagement prospectif tenant compte du changement climatique, avec un réel effort d’innovation en matière d’urbanisme. Donner aux élus locaux et aux particuliers les moyens de réduire leur vulnérabilité – Un euro investi dans la prévention permet d’économiser sept euros d’indemnisation. Il est donc capital d’aider les acteurs de terrain à réduire leur vulnérabilité. Pour les élus locaux, il s’agit de faciliter la mise en œuvre de programmes d’actions, d’accélérer l’élaboration de documents de planification et de renforcer l’appui qui leur est apporté par les services préfectoraux. Concernant les particuliers, il est indispensable de les accompagner financièrement dans leurs travaux, en privilégiant une complémentarité entre les indemnisations du régime CatNat, les aides du fonds Barnier et des incitations fiscales.
Les principales propositions de la mission d’informationRÉFORMER LE RÉGIME CATNAT DANS UN SOUCI D’ÉQUITÉ, D’EFFICACITÉ ET DE TRANSPARENCE ► Formaliser la méthodologie retenue pour apprécier l’intensité anormale d’un phénomène naturel. ► Mettre en place une information claire et intelligible à destination des particuliers sur les critères et les seuils d’intervention du régime. ► Inscrire dans la loi l’existence de la commission interministérielle chargée d’examiner le caractère anormal des aléas, en revoyant sa composition pour une représentation plus équilibrée des parties prenantes. ► Instaurer une clause d’appel permettant aux communes dont la demande de reconnaissance a été rejetée de faire réaliser une expertise de terrain. ► Accélérer le traitement des dossiers à l’échelon central. ► Présenter avec plus de pédagogie les motifs de refus de reconnaissance, par une publication des motivations en préfecture et une meilleure formation des services déconcentrés. ► Plafonner les franchises légales applicables, pour les petits commerçants et artisans ainsi que pour les petites communes. Octroyer aux assureurs une plus grande liberté dans la détermination des franchises applicables aux grandes entreprises. ► Supprimer le dispositif de modulation des franchises en fonction de l’existence d’un plan de prévention des risques naturels. ACCOMPAGNER LES ÉLUS LOCAUX, EN PREMIÈRE LIGNE FACE AUX CATASTROPHES NATURELLES ► Systématiser l’assistance et le conseil aux maires de communes sinistrées par les services préfectoraux. ► Mettre en place dans chaque département une « cellule de soutien » composée d’élus locaux chargés d’accompagner les maires confrontés à des catastrophes naturelles. ► Réaliser et diffuser aux mairies un guide des démarches à effectuer dans l’après-crise. CLARIFIER ET SÉCURISER LES RELATIONS ENTRE LES ASSURÉS ET LEURS ASSUREURS ► Porter à trente jours à compter de la déclaration de l’état de catastrophe naturelle le délai de déclaration du sinistre auprès de l’assurance. ► Compléter le code des assurances par un article précisant que l’assurance doit garantir une réparation pérenne et durable. ► Harmoniser les pratiques et les référentiels en vigueur pour les experts d’assurance et d’assurés. ► Intégrer les frais de relogement d’urgence dans le périmètre de la garantie CatNat. MIEUX PROTÉGER LE SECTEUR AGRICOLE FACE AUX ALÉAS CLIMATIQUES ► Déplafonner le rendement de la contribution additionnelle aux primes ou cotisations afférentes à certaines conventions d’assurance alimentant le Fonds national de gestion des risques en agriculture. ► Réduire les effets de seuil permettant l’entrée dans le régime des calamités agricoles en rendant éligible un agriculteur remplissant soit le critère de perte de rendement soit le critère de perte de produit brut. ► Diminuer, comme le permet le droit européen, le seuil de déclenchement à 20% de pertes et augmenter le taux de subvention publique à la prime d’assurance du contrat socle à 70 % (au lieu de 65 %). ► Allonger la durée permettant le calcul de la moyenne olympique pour mieux évaluer la perte de rendement théorique des agriculteurs permettant d’être éligible au régime des calamités agricoles. FAIRE DU FONDS BARNIER LE BRAS ARMÉ D’UNE POLITIQUE DE PRÉVENTION AMBITIEUSE ► Transformer le prélèvement opéré sur les surprimes CatNat en contribution additionnelle pour permettre aux assurés de mieux comprendre leur contribution à la prévention des risques. ► Supprimer le plafonnement des ressources du fonds Barnier. ► Renforcer le rôle du conseil de gestion du fonds Barnier dans le pilotage du fonds et diversifier sa composition. ► Envisager la suppression des sous-plafonds du fonds Barnier par action en vue de donner davantage de souplesse à la gestion en fonction des besoins et des priorités. AMPLIFIER LA POLITIQUE DE PRÉVENTION ET D’AMÉNAGEMENT DURABLE DANS LES TERRITOIRES ► Achever la politique d’élaboration des plans de prévention des risques naturels (PPRN) dans les territoires exposés à des risques importants et débuter une phase de révision des PPRN pour prendre en compte les retours d’expérience. ► Accélérer le traitement des demandes de labellisation des programmes d’actions de prévention des inondations (PAPI) et simplifier les procédures applicables aux actions réalisées dans le cadre d’un PAPI labellisé. ► Renforcer la formation des professionnels chargés de la conception et de la construction en matière de prévention et gestion des risques naturels. ► Créer des instruments juridiques adaptés à l’aménagement durable des territoires confrontés au recul du trait de côte et mettre en place un système de financement ambitieux, pérenne et solidaire pour les opérations de réaménagement liées à l’érosion côtière. ► Lancer une campagne de sensibilisation et d’assistance par les préfectures aux maires concernés par l’obligation de se doter d’un plan communal de sauvegarde (PCS) et leur donner un délai de deux ans pour se conformer à cette obligation. FAIRE ÉMERGER UNE VÉRITABLE CULTURE DU RISQUE CHEZ LES CITOYENS ► Créer un site internet unique regroupant l’ensemble des informations sur la prévention des risques, la gestion de crise et l’indemnisation des sinistrés. ► Systématiser la tenue de réunions publiques régulières en mairie sur les risques naturels auxquels est exposée la commune. ► Expérimenter la mise en place d’un diagnostic « CatNat » simple, lisible et peu onéreux qui serait fourni par le vendeur lors d’une cession de bâtiment, sur le modèle du diagnostic de performance énergétique. ► Organiser une campagne d’information nationale sur le risque de retrait-gonflement des argiles lié à la sécheresse pour sensibiliser massivement la population à cet enjeu. ► Créer une journée nationale de la prévention et de la gestion des catastrophes naturelles le deuxième mercredi du mois d’octobre, date de la journée mondiale établie à l’initiative de l’ONU, avec un temps réservé dans les établissements scolaires. SOUTENIR LES EFFORTS DE RÉDUCTION DE LA VULNÉRABILITÉ ► Augmenter le taux de financement maximum octroyé par le fonds Barnier pour les études et travaux de réduction de la vulnérabilité des particuliers imposés par un PPRN, et étendre ce soutien à taux minoré à toutes les communes pour les mesures non obligatoires. ► Etudier la faisabilité de la mise en place d’un crédit d’impôt pour la prévention des aléas climatiques (CIPAC). ► Contre le risque de sécheresse, mettre à l’étude la mise en place d’un véhicule dédié au sein du fonds Barnier finançant partiellement les travaux effectués par les particuliers pour renforcer la résilience de leurs habitations face au retrait-gonflement des argiles.
L’infographie
#RISQUESCLIMATIQUES