Dans le cadre des études réalisées sur le sujet du photovoltaïque par PwC (PricewaterhouseCoopers), les experts énergie du Strategy Group ont mené une consultation auprès des acteurs du photovoltaïque français afin de décrire l’état actuel du secteur et d’identifier les perspectives de la filière du photovoltaïque en France. A travers une analyse de l’offre et de la demande, cet article apporte un éclairage prospectif sur la situation française, qui vient compléter l’étude « La filière photovoltaïque: ses critères de compétitivité économiques, environnementaux et sociétaux ».
L’industrie photovoltaïque française traverse une crise dont l’issue s’avère incertaine. Contrairement à l’Allemagne ou à la Chine, la France n’a pas su se doter à ce jour d’une industrie de taille suffisamment importante et compétitive pour rivaliser avec les leaders du secteur. Malgré une volonté du législateur d’augmenter la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique français, le développement de l’énergie photovoltaïque en France reste limité et génère un déficit commercial croissant. La filière photovoltaïque française représente pourtant une opportunité industrielle prometteuse qui a déjà permis à ce jour la création de l’ordre de 17 000 emplois. De nombreuses entreprises se sont positionnées sur l’ensemble de la chaîne de valeur, ce qui a favorisé le développement d’une offre locale, néanmoins fortement dépendante des importations. Le coût de l’énergie photovoltaïque devrait devenir compétitif avec les énergies conventionnelles dans les années qui viennent, ce qui laisse envisager une forte croissance du secteur à moyen terme. Dans le contexte du débat sur l’énergie devant livrer ses conclusions en juin 2013, le modèle de développement de cette filière est aujourd’hui remis en question. La forte concurrence internationale sur les produits de l’amont (cellules, modules…) requiert la structuration d’une filière compétitive de taille suffisante pour rivaliser avec une industrie internationale qui se développe à grande vitesse.1. Quel est l’état actuel du marché français du photovoltaïque ?
1.1. Les objectifs du Grenelle pourront-ils être atteints ? Dans le cadre de la directive européenne sur les énergies renouvelables, le Grenelle de l’environnement a fixé pour objectif de porter à 5,4 GWc la puissance électrique photovoltaïque raccordée en France à horizon 2020. A fin juin 2012, la puissance raccordée au réseau du parc français métropolitain s’est élevée à 2,93 GWc. L’atteinte des objectifs du Grenelle implique donc un rythme annuel de raccordements de l’ordre de 75 MWc par trimestre. Le rythme trimestriel moyen des demandes de raccordement déposées était de 160 MWc entre mars 2011 et mars 2012. Il apparaît ainsi que le rythme actuel ne laisse pas présager de « décrochage » par rapport aux objectifs du Grenelle. Néanmoins, il est aujourd’hui question de multiplier par quatre les objectifs de raccordements. Cependant il n’est pas démontré que les objectifs fixés par le législateur seront suffisants pour accompagner la création d’une filière photovoltaique compétitive en France. En décembre 2010, le gouvernement français a publié un décret suspendant l’obligation d’achat de l’électricité photovoltaïque pour les installations d’une puissance supérieure à 3kWh pendant une durée de 3 mois. Ce «moratoire» a été suivi par une baisse importante des tarifs de rachat. L’Etat a instauré un système d’appels d’offre de manière a piloter le volume d’installations bénéficiant des tarifs de rachat. La filière française du photovoltaïque entre dans une période post-moratoire où les baisses de tarifs de rachat (de l’ordre de 10 % par trimestre) sont élevées, l’industrie française du photovoltaique est entrée en récession et la compétitivité de la filière photovoltaïque française à l’échelle internationale est aujourd’hui plus que jamais entamée. 1.2. Quel est le niveau de maturité du marché français par rapport aux autres marchés européens ? A fin 2011, la part d’électricité d’origine photovoltaïque en France était de l’ordre de 0,3 % de la production totale d’électricité (contre 3 % en Allemagne). Les objectifs du Grenelle pourraient porter à 80 Wc par habitant la puissance photovoltaïque installée d’ici à 2020. Le marché français se situe par conséquent à un état peu avancé par rapport aux marchés allemands et italiens de l’ordre de 300 Wc et 200Wc par habitant. Ainsi, bien que la France soit le troisième pays européen en terme d’installations cumulées en 2011 (avec un parc installé 9 fois plus petit que celui de l’Allemagne), elle se situe seulement à la neuvième place sur le critère des installations par habitant. Le développement de l’énergie photovoltaïque par habitant est donc relativement faible en France par rapport à celui de ses voisins. La stratégie incitative des tarifs de rachat a permis à l’Allemagne de devenir le deuxième pays producteur de modules et de cellules photovoltaïques au monde, développant ainsi une industrie compétitive sur la scène internationale. Cette performance industrielle est cependant à présent mise à mal par les faillites récentes des grands acteurs allemands du photovoltaïque Q-Cells, Solon, Solarhybrid et Solar Millenium. Cette crise du photovoltaïque en Allemagne est principalement due au manque de capacités de financement des industriels qui découle de réductions de tarifs de rachat et d’une surcapacité de production du secteur. L’Allemagne demeure toutefois l’un des leaders industriels du marché mondial du photovoltaïque, derrière la Chine. L’activité du photovoltaïque y représente toujours de l’ordre de 110 900 emplois (contre seulement 17 000 en France) répartis dans environ 10 000 entreprises. Le retard du marché français par rapport aux pays voisins s’explique notamment par le contexte particulier du marché français : – Le coût de l’électricité est particulièrement faible en France par rapport à celui des autres pays de l’Union Européenne. A titre de comparaison, le coût de l’électricité pour les ménages y est ainsi plus élevé de 40 % en Allemagne qu’en France. Ce faible coût est lié à la forte proportion d’énergie de source nucléaire dont les coûts de production sont sensiblement plus faibles que ceux du charbon (combustible majoritaire pour la production d’électricité en EU27 et en Allemagne). – Par conséquent, le surcoût pour le consommateur lié au financement de l’électricité photovoltaïque est, en proportion, particulièrement important en France. En 2012, malgré la faible proportion d’électricité d’origine photovoltaïque dans le mix énergétique français (0,3 % en 2011), la part de Contribution au Service Public de l’Energie (CSPE) liée au financement du surcoût de l’électricité d’origine photovoltaïque représente de l’ordre de 3 % de la facture d’électricité des ménages français (soit de l’ordre de 10 € par ménage par an). En d’autres termes, l’impact sur le consommateur du surcoût de l’électricité lié au financement de l’énergie photovoltaïque est décuplé en France. Ce coût pour le consommateur final n’est pas négligeable et explique la volonté du législateur français de baisser progressivement les tarifs de rachat.2. L’offre photovoltaïque française : quels atouts ? Quelles difficultés ?
2.1. Quel est l’état actuel de l’industrie française du photovoltaïque ? L’industrie française est faiblement développée sur l’amont de la filière (production des cellules et des modules). Plus des deux tiers des emplois concernés sont concentrés sur l’ingénierie et l’installation, qui ne représentent au total que 20 % de la création de valeur du cycle de production des panneaux photovoltaïques, et ne suffisent pas à fournir le marché français. Il en résulte que la balance commerciale du secteur est fortement négative (-1,5 milliard d’euros en 2010, -900 millions en 2009). L’amont est structurellement soumis à la concurrence internationale et le nombre d’acteurs sur ce segment est encore élevé en France. Néanmoins, aucune ligne de production de modules n’a encore atteint en France la taille critique de rentabilité qui se situe aux alentours d’un gigawatt. Ainsi, les unités existantes ne bénéficient pas d’un effet d’échelle suffisant pour garantir une rentabilité qui soit durable, tant à l’export que sur le marché français. Selon le rapport Charpin de juillet 2010, « les grands industriels français se sont peu mobilisés pour le photovoltaïque à ce stade, à l’exception d’EDF EN ». Le défit de la compétitivité de l’amont de la filière ne sera relevé que par l’émergence souhaitable d’acteurs en mesure de construire des lignes de production dépassant la taille critique. A l’instar du secteur de l’aéronautique ou de celui de l’automobile, l’émergence d’un (ou de plusieurs) « leaders » permettrait de garantir des capacités de production locales en assurant le développement d’un réseau de sous-traitants, ce qui générerait la création de nombreux emplois. A ce jour, les conditions ne semblent pas encore réunies pour la réalisation d’investissements massifs à court terme permettant l’émergence de « leaders » industriels, compétitifs sur le marché international. Plusieurs freins pénalisent les projets industriels français : – La difficulté d’accéder aux financements : le coût du financement représente de l’ordre de 40 % du coût final de l’installation. Les entreprises françaises bénéficient difficilement de financements à faible coût, ce qui explique notamment l’avantage compétitif de l’Allemagne. – La taille limitée du marché local : contrairement à la Chine ou aux Etats-Unis qui représentent des marchés substantiels, la taille actuelle du marché français est limitée (objectif à court terme : 500MWc/an). Ce facteur représente un sérieux handicap car la taille critique ne peut être atteinte que par une large ouverture à l’export, ce qui implique un surcoût lié aux droits de douane. – La faible contribution des « utilities » : les fournisseurs d’énergie conventionnels seraient en mesure de changer la donne en matière d’investissements. Ces acteurs limitent pour l’instant leurs investissements car ils sont habitués à des performances financières à plus court terme que celles qui sont procurées par les installations photovoltaïques. – Une baisse trop rapide des tarifs d’achat : le dispositif en vigueur a instauré une réévaluation trimestrielle des tarifs de rachat en fonction des demandes de raccordement. Cependant, ce nombre de demandes ne reflète pas le nombre de projets pouvant être effectivement réalisés. En effet, le taux d’échecs (hors acceptation administrative) est important, ce qui provoque une surestimation de la demande et par conséquent une sous-évaluation des tarifs de rachat. Les acteurs de la filière interviewés nous ont indiqué que la baisse importante des tarifs de rachat est bien plus rapide que la baisse de leurs coûts de production. La France présente des atouts qui jouent en sa faveur : – Un coût de l’énergie électrique peu cher : la production des modules est très énergivore, notamment pour les modules de types Sc-Si (les plus répandus). Le faible coût de l’électricité permet de limiter les coûts de production lors de la production des cellules. – Une R&D innovante : bien positionnée en termes d’innovation, la filière française pourrait devenir leader sur les technologies à forte valeur ajoutée, notamment dans les applications d’intégration au bâtiment et du stockage de l’énergie. Le gouvernement a renforcé le soutien à la recherche et au développement sur la production d’énergie solaire en 2011 et 2012 notamment à travers les investissements d’avenir gérés par l’ADEME et les instituts d’excellence en énergiers décabonées gérés par l’ANR. – Un tissu industriel dynamique : l’engouement suscité par les tarifs de rachats attractifs pré-moratoires a montré la volonté de nombreux acteurs de se positionner sur l’ensemble de la filière des panneaux photovoltaïques. – Un potentiel d’installations important : la faible proportion du photovoltaïque dans le mix énergétique français laisse entrevoir l’existance d’un grand nombre de sites prédisposés à des installations photovoltaïques. Le réservoir de croissance pour cette technologie est particulièrement élevé ce qui rend crédible l’hypothèse d’une croissance forte du secteur à l’avenir si les conditions économiques sont réunies. 2.2. L’environnement: une opportunité pour la production locale ? L’offre photovoltaïque bénéficie « par nature » d’un avantage environnemental par rapport aux énergies conventionnelles confirmé par l’étude quantitative. Cet avantage constitue l’une des motivations principales pour le consommateur et elle justifie en partie l’intervention du législateur. L’argument de performance environnemental est un moyen de différenciation favorable à la filière française, qui a pour avantage de bénéficier d’un mix électrique faiblement carboné. Selon le rapport Charpin, l’environnement est « au cœur de la problématique, pour porter la filière française ». Introduire des critères environnementaux dans les appels d’offres est sans doute un moyen de privilégier des producteurs locaux, si ceux-ci mettent en avant l’avantage environnemental de leurs produits. Ce dispositif, bien que controversé, pourrait s’avérer positif à terme pour les entreprises en mesure de démontrer leur performance environnementale. Or la pondération des critères environnementaux dans le cahier des charges des appels d’offres est aujourd’hui relativement faible et la méthode de calcul est considérée par certains acteurs comme peu fiable. La prise en compte des impacts environnementaux constitue un levier important pour favoriser le développement d’une filière performante d’un point de vue environnemental et peut ainsi s’avérer être un avantage comparatif dans un contexte fortement concurrentiel, ceci tant à l’export que pour des installations en France.3. Quelle filière photovoltaïque en France à horizon 2030 ?

Conclusion
Les entreprises françaises du secteur du photovoltaïque sont confrontées, aujourd’hui plus que jamais, à la recherche de nouveaux relais de croissance. Les opportunités industrielles et commerciales du secteur sont nombreuses : l’innovation sur les segments de marchés d’avenir, le développement d’offres de haute qualité (notamment de modules à haut rendement), l’excellence environnementale… Néanmoins, le secteur doit s’appuyer sur des perspectives de marché national ambitieuses, justifiées par une stratégie de retour à l’équilibre de la balance commerciale du secteur. Pour être compétitive à horizon 2030, la filière, accompagnée par le législateur dans sa progression, devra rechercher des synergies à un niveau suffisant pour atteindre des tailles de lignes de production supérieures à la taille critique (1GWc/ an). Des alliances à l’échelle européenne pourront par ailleurs être recherchées, également dans un but d’efficacité économique et environnementale.Les auteurs de l’article
Olivier MULLER : Directeur Energie Changement Climatique Pôle Stratégie / Développement Durable PwC France Sylvain LAMBERT : Consultant Pôle Stratégie Développement Durable PwC France Tiphaine MASSÉ : Associé Pôle Stratégie Développement Durable PwC France Pour en savoir plus : télécharger l’étude Photovoltaïque, vers une filière durable en France ? Les critères de compétitivité économiques, environnementaux et sociétaux (Décembre 2012 – 104 pages – En français) à télécharger gratuitement après validation du formulaire en cliquant ici.