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Afrique : la transition équitable passera par les hydrocarbures

Alors que la communauté internationale appelle à progressivement sortir des hydrocarbures, l’Afrique, responsable de seulement 2 % des émissions carbone, a fait savoir à la COP27 qu’elle entendait bien utiliser ses ressources de pétrole et de gaz pour doper son développement et mettre fin à la misère endémique qui caractérise encore trop de ses pays, par une « transition équitable » controversée mais que ses dirigeants considèrent comme incontournable.

La transition vers des énergies dites propres est désormais partout à l’ordre du jour face au changement climatique. La décarbonation mondiale a déjà commencé dans l’Union européenne, en pointe dans ce domaine, et qui vise 42,5 % d’énergies renouvelables en 2030. Les instances internationales prêchent toutes cette révolution qui signifie à terme la sortie universelle des hydrocarbures. Un véritable défi, selon le secrétaire général de l’ONU Antonio Gutteres, qui, avant la COP27, a appelé à un « pacte historique » entre les pays développés et émergents pour favoriser cette transition.

Rapport 2022 sur l'écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions
Rapport 2022 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions

Si une telle marche forcée semble à la portée des pays les plus riches – l’indice de développement humain de l’UE est de 0,896 en 2021 – elle parait en revanche irréaliste à court terme pour des pays aux ressources insuffisantes en matière de capital financier, de technologie et d’infrastructures. En Afrique subsaharienne, l’IDH est de 0,544, et la priorité reste la sortie de la misère, l’accès inclusif à l’électricité et l’amélioration des conditions de vie élémentaires. Le haut niveau de technologies et d’investissements nécessaires à l’implémentation des énergies renouvelables est un obstacle majeur, alors que les pays développés rechignent à financer ces programmes en Afrique. De leur côté, nombre de pays d’Afrique veulent avant tout se doter d’infrastructures élémentaires pour désenclaver les régions les plus pauvres, et d’un embryon d’industrie pour transformer eux-mêmes leurs propres ressources naturelles. Mais pour cela, ils ont besoin d’énergie bon marché, facile à exploiter massivement et rapidement.

Par ailleurs, malgré l’urgence climatique soulignée par le GIEC ou les institutions telles que l’ONU, la Chine et les États-Unis, notablement, ne semblent pas si pressés d’amorcer leur propre transition énergétique. De nouveau signataires des Accords de Paris depuis 2021, les États-Unis restent le plus gros pollueur mondial, et un grand consommateur d’hydrocarbures. Pis, depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne, pourtant championne des énergies renouvelables, a considérablement augmenté ses importations de pétrole et de gaz, et même de charbon !

Dans ce contexte, il est compréhensible que les dirigeants africains, lors de la COP27 en novembre dernier, aient exprimé clairement leurs intentions : oui, l’Afrique veut participer à l’effort mondial pour le climat, mais la priorité reste le développement, y compris au moyen des hydrocarbures. « Le pétrole et le gaz ont été le socle du développement mondial pour des centaines d’années » argumente Tiffany Wognaih, associée chez AfricaMatters, société de conseil londonienne. « Pourquoi l’Afrique – une région qui est toujours en développement – ne serait-elle pas autorisée à en bénéficier de la même façon ? ».

Ironie de la situation actuelle : les pays souffrant le plus du changement climatique sont précisément ceux qui ont le moins émis de gaz à effet de serre, tandis que ceux qui cherchent à imposer l’abandon rapide des hydrocarbures sont moins touchés par le changement climatique, alors qu’ils y auraient le plus contribué, en utilisant les hydrocarbures. Une situation qui leur permet en outre de financer et organiser ladite transition, et qui constitue une « injustice climatique » soulignée dans le dernier rapport de la BAD.

Perspectives économiques en Afrique 2022

« Just transition »

Ces deux mots se sont imposés comme un leitmotiv pour le leadership africain. Car dans les discussions internationales sur le climat et les mesures à prendre, le déséquilibre pointé plus haut entre les pays s’étant développés grâce aux hydrocarbures et ceux en voie de développement est souvent un non-dit. De là, un sentiment légitime de « concurrence déloyale » pour les Africains qui disposent de 7 % des réserves mondiales de gaz et de pétrole, et qui, avec 17,5 % de la population mondiale, ne sont responsables que de 2 % des émissions de CO2 de la planète. Une part qui pourrait monter à 3,5 % selon les estimations de l’Agence Internationale de l’Énergie, si l’Afrique exploitait pleinement ses ressources.

L’aspect financier déjà évoqué est colossal. « Si vous allez nous dire de laisser nos ressources dans le sol, protestait Maggy Shino, commissaire au pétrole de la Namibie lors de la COP27, alors vous devez vous préparer à nous proposer une compensation suffisante ». Selon la BAD il faudrait 1300 à 1600 milliards de dollars sur la période 2020-2030 pour mettre en œuvre l’action climatique de l’Afrique, un besoin non couvert laissant subsister un déficit annuel de financement pouvant atteindre 127,2 milliards de dollars. Réaliste, la commissaire conclut : « Nous allons développer toutes nos ressources énergétiques pour le bénéfice du peuple car notre problème c’est la pauvreté énergétique ».

« Nous allons développer toutes nos ressources énergétiques pour le bénéfice du peuple car notre problème c’est la pauvreté énergétique »
« Nous allons développer toutes nos ressources énergétiques pour le bénéfice du peuple car notre problème c’est la pauvreté énergétique »

Le sujet est en effet avant tout social et humain. L’extraction et l’exploitation du gaz et du pétrole sont un atout incontournable dont des pays à revenus moyens ou faibles ne sauraient se passer, avec leurs multiples externalités positives, entre décuplement des ressources financières, accès à l’énergie et développement réticulaire du tissu socio-économique autour des activités énergétiques. En Mauritanie, en Tanzanie et au Sénégal, la coopération entre énergéticiens locaux et extra-africains permet de doter enfin les populations locales de la « fée électricité », alors qu’en 2020, 52 % des Africains n’y avaient toujours pas accès.

La rentabilité des hydrocarbures et leur impact sur l’évolution rapide d’un pays ne sont plus à démontrer, comme l’illustrent les pays du Golfe Persique. L’Arabie Saoudite est passée en quelques décennies d’une société pastorale rustique à l’un des pays les plus riches et développés du monde avec un IDH de 0,875 (35e mondial). Aujourd’hui le Royaume travaille activement à l’après-pétrole grâce à un fonds souverain de 620 milliards de dollars mobilisé pour diversifier son économie en investissant cette manne pétrolière tous azimuts, et notamment dans les énergies renouvelables, avec 10 milliards de dollars d’investissements prévus d’ici 2026.

Le Mozambique, cas d’école

Parmi les pays d’Afrique, le Mozambique est emblématique des enjeux évoqués ici. Miné par la misère (IDH 0,446), théâtre depuis cinq ans d’une violente insurrection régionale, il semblait condamné à son sort jusqu’à la découverte en 2010 de réserves de gaz monumentales, avec le potentiel pour devenir un des cinq principaux exportateurs mondiaux de gaz naturel liquéfié (GNL).

L’exploitation prochaine de ces ressources, dès que la situation sécuritaire le permettra, ouvre à ses populations un avenir nouveau que le pays entend exploiter au mieux. Pour gérer les revenus massifs escomptés – jusqu’à 96 milliards de dollars, à comparer au PIB de 2021 de 15,8 milliards de dollars –le président Filipe Nyusi, a suivi la recommandation du FMI, en travaillant à doter d’emblée le pays d’un fonds souverain.

Les attentes sont grandes, amplifiées par les délais, d’autant que l’approche inclusive sensée présider au projet est susceptible de bénéficier aux populations locales, et de contribuer à assécher le terreau propice à l’insurrection qui a pour l’instant empêché d’avancer dans la mise en place des installations gazières au Cabo Delgado, territoire déshérité jouxtant les champs gaziers sous-marins. Seul un des gisements a commencé à être exploité, en novembre dernier, grâce à un bateau-usine. Une solution plus onéreuse, moins efficace et moins génératrice d’emplois localement que le projet « Afungi » porté par Mozambique LNG.

Les acteurs socio-économiques du pays, au-delà des débats politiciens, appellent tous de leurs voeux l’exploitation stratégique du gaz, condition-clé pour que le pays amorce son décollage, par des industries et des infrastructures s’inscrivant dans le sillage des énergéticiens. Alors que les partenariats entre ces derniers et les entreprises nationales commencent à se nouer, on estime le potentiel de création de postes pour le développement des installations à 15 000 emplois directs. Concrètement, et alors que les travaux sont en pause, de premiers accords ont été passés entre Mozambique LNG et l’Institut d’Industrie et de Commerce de Pemba pour former les premières centaines de jeunes aux métiers de l’hôtellerie, et plus largement pour la formation de 2500 jeunes au BTP, à la mécanique, à l’administratif, à l’agronomie et au tourisme, anticipant le développement majeur de la région.

D’ailleurs, les intervenants étrangers ne s’y trompent pas : la BAD prévoit 8 % de croissance en 2023 pour l’économie mozambicaine, les pays voisins soutiennent les actions de sécurisation. Mais les aides de quelques millions d’euros ne changeront pas le destin du Mozambique, contrairement à l’exploitation de son gaz naturel.


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