À l’heure actuelle, pour offrir un logement moyen de 40 mètres carrés par personne, une métropole américaine et sa banlieue nécessitent entre 500 et 700 mètres carrés par habitant. Cela tient compte du lieu de travail, de l’espace nécessaire au transport, aux services et aux loisirs que nous utilisons. Pour offrir les mêmes fonctions à ses habitants, Paris a besoin de 300 mètres carrés par habitant et São Paulo, de 175.
Maintenant, si on vous disait qu’en réduisant cette superficie à 20 mètres carrés par habitant l’on serait en mesure de diminuer de 97 % l’utilisation du sol, comment réagiriez-vous ? Cela signifie en gros qu’une ville comme Bordeaux passerait de 538 à environ 6 kilomètres carrés et ce, tout en améliorant la qualité de vie. Cet exploit écologique fait appel au concept de la ville linéaire.
En 1979, mon intérêt pour améliorer l’efficacité des transports en commun m’a mené vers des études architecturales et urbanistiques. Ces études m’ont convaincu que la planète ne supporterait pas sept milliards de personnes aspirant légitimement à vivre selon le modèle américain. Ces villes s’entourent de banlieues énergivores qui utilisent d’énormes territoires nécessitant de nombreuses routes et voitures pour répondre à une qualité de vie que la ville ne peut offrir.
Ma conclusion fut de rendre la ville linéaire, tout comme le pensa l’ingénieur Antonio Soria y Mata en 1888, mais en y ajoutant la hauteur, de nouvelles technologies et en prévoyant une transition réaliste avec l’existant. L’application, d’abord et avant tout dans les pays en émergence, répondrait également à l’expansion de nos villes actuelles. En juxtaposant et en interconnectant trois moyens de transport en commun (petits, moyens et longs trajets) nous éliminons les multiples connexions des systèmes actuels. Pour profiter des paysages, les trains de moyennes et de longues distances n’entrent dans la Ville Linéaire que pour y faire monter ou descendre leurs passagers.
Dans un tel projet, chaque immeuble, légèrement décalé de son voisin, regrouperait 328 logements et logerait plus ou moins 775 habitants. Aux étages inférieurs, on retrouverait les commerces et services, sur le toit, un parc de quartier avec ses aires récréatives, son belvédère et un petit resto-bar. Ce toit terrasse supérieur, avec ces activités, recréerait les avantages sociologiques d’appartenance qu’offre le village, tout en permettant de profiter des commodités de la ville. Un chemin piéton relierait les toits entre eux. Des halls et des coursives raccorderaient également les modules de l’intérieur, augmentant ainsi les moyens d’évacuation lors de sinistres.
Les immeubles érigés en gradins se distingueraient par de multiples variations architecturales. Chaque habitation, dotée d’une grande terrasse privée et isolée du voisin, jouirait de la vue d’un site exceptionnel que seul un parc national peut offrir. La terrasse de palier, partagée par 43 logements, proposerait une piscine et des aires récréatives. Ces gradins créeraient des zones protégées pour les enfants et permettraient de les surveiller depuis la terrasse.
Un immeuble résidentiel s’élèverait de 12 à 16 étages. D’autres étages pourraient s’ajouter sous la partie résidentielle pour y inclure une partie commerciale. La hauteur varierait selon les besoins, modulant ainsi la ville linéaire à la manière d’une chaîne de montagnes passant de 12 à 32 étages. On y retrouverait la partie commerciale au rez-de-chaussée et les bureaux et manufactures aux étages. Une zone industrielle distincte permettrait de partager le coût de réhabilitation et de filtration des déchets.
Des services tels que postes de sécurité et d’incendie, ateliers et bureaux, espaces d’entreposage, commerces de proximité, chutes à déchets mécanisant le recyclage, ateliers publics et centre sportif directement relié à l’extérieur seraient prévus dans chaque immeuble.
Un aménagement paysager, entourerait l’immeuble et intègrerait, selon les besoins, des activités de loisirs extérieures. On pourrait donc y trouver : une piste cyclable, des parcs et des chemins piétonniers, des sentiers équestres, des jardins privés, différents équipements sportifs, des lieux historiques, des lieux servant à certaines activités publiques et quelques bâtiments que la trame structurale de la ville linéaire ne permet pas d’accueillir.
Le groupement de sept immeubles offrirait les services que son bassin de population peut justifier : arrêt de métro, équipements sportifs, parcs, commerces, etc. Un plus gros regroupement de modules nécessiterait les services d’une petite ville : arrêt de train de banlieue et de métro, services de loisirs et d’éducation, hôpital, services et commerces pour ce bassin de population, marché et centre-ville, etc. Enfin (tous les deux millions d’habitants, par exemple), on devrait trouver tous les services et avantages de nos grandes villes soit une liaison à un aéroport, un arrêt de TGV, de train de banlieue et de métro. Ce grand centre urbain pourrait s’élargir pour offrir la concentration d’activités d’un centre-ville.
Le système de transport en commun, réparti sur trois niveaux superposés et interconnectés, desservirait usagers et marchandises sur de courtes (métro), moyennes (train de banlieue) et longues distances (TGV). La location de petits véhicules électriques et l’utilisation de petits chariots rendraient le transport de marchandises tout aussi efficace que peut l’être l’automobile. Un accès rapide et facile à ces différents véhicules et des vélos seraient prévus dans les wagons et les ascenseurs. Un aiguillage et des zones d’entreposage des wagons seraient également prévus pour acheminer rapidement les marchandises sans ralentir les circulations.
La Ville Linéaire, utilisant très peu d’espace, devrait serpenter entre les sites les plus intéressants d’un pays. Cela correspond très souvent à l’empiétement des routes nationales. La ville serait d’abord construite aux limites des villes actuelles et pourrait progresser vers les centres-villes à mesure que ces derniers deviennent vétustes ou abandonnés. On y conserverait que les constructions intéressantes. Au début, les voitures utiliseraient les sous-sols prévus pour les transports en commun et des autobus relieraient la Ville Linéaire à la vieille existante. Lorsque le nombre d’habitants pourrait le justifier, un train de banlieue s’ajouterait, puis le métro et enfin le TGV. Ce procédé d’implantation pourrait favoriser le développement de la Ville Linéaire, car elle doit être reliée avantageusement aux centres-villes existants.
Considérant les délais d’implantation et l’épuisement des ressources, je pense que de grandes orientations de ce type devraient être adoptées dès maintenant si nous ne voulons pas léguer aux générations futures des problèmes insurmontables.
Il reste beaucoup à faire : notamment illustrer la transition, ajouter des variantes architecturales, prévoir le développement virtuel d’implantation dans des villes ciblées et, surtout, convaincre et mobiliser les politiciens. L’auteur est ouvert aux commentaires, suggestions et collaborations.