Cinq mois après la naissance du mouvement, les indignés ont manifesté, ce samedi, dans le monde entier. Avec pour mot d’ordre "United for Globalchange" (Ensemble pour un changement global), ils espèrent donner une portée internationale à cette forme de contestation inédite. "Pour nous, le moment est venu de nous unir, pour eux, le moment est venu de nous écouter. Peuples du monde entier, levez-vous !" proclame ainsi le site United for Global Change. "Nous ne sommes pas des marchandises entre les mains des politiciens et des banquiers qui ne nous représentent pas. Nous allons manifester pacifiquement, débattre et nous organiser jusqu’à obtenir le changement mondial que nous voulons". Selon le site 15october.net, qui recense tous les rassemblements prévus, 951 villes de 82 pays sont concernées. Ci-dessous, découvrez le clip vidéo réalisé par le site 15october.net à l’occasion de cette journée de mobilisation :
Un samedi de manifestations
A Melbourne, en Australie, où était donné le coup d’envoi de cette journée de mobilisation mondiale, un millier de personnes se sont réunies sur une place du centre-ville. "Les gens veulent une démocratie véritable, ils ne veulent pas que les grandes entreprises influencent leurs représentants politiques. Ils veulent que ces derniers soient comptables de leurs actes. Ils veulent être bien représentés", a dit Nick Carson, porte-parole de OccupyMelbourne.org :
Au pays de Stéphane Hessel, auteur d’Indignez-vous (3,5 millions d’exemplaires), qui a donné son nom au mouvement à travers le monde, la mobilisation est restée jusqu’ici limitée et les cortèges restaient peu fournis samedi. Les indignés étaient environ 500 à Grenoble, selon les organisateurs, mais ils n’étaient qu’une centaine à Marseille où ils se sont regroupés sur la place du général De Gaulle, à proximité de la chambre de commerce. A Nantes, une centaine de personnes se sont rassemblées sur la place Royale, une zone piétonne du centre-ville sur laquelle quatre banques ont installé des succursales. "Je suis ici pour pointer les incohérences du système", explique Géraldine, une salariée du secteur socio-culturel, qui a revêtu la robe blanche et le bonnet phrygien rouge de Marianne, figure de la République française. "On nous demande d’aller voter pour des choses qui sont déjà décidées. Or, la République, c’est nous, pas le type qui a fait l’ENA !", ajoute-t-elle. Les indignés peinent toutefois à attirer les foules en France. Des chercheurs expliquent ce phénomène par le fait que le chômage des jeunes est moins massif qu’en Espagne, par exemple, et que le mouvement syndical canalise déjà les revendications pour en savoir plus lire l’article de LIBÉRATION en cliquant ici. (Les indignés français ont créé une communauté sur Facebook, pour y accéder cliquez ici).
La mobilisation des Indignés devait être mondiale et pacifique mais à Rome les manifestations ont dérapé. De violents affrontements ont eu lieu dans la capitale italienne où des manifestants ont incendié un bâtiment du ministère de la Défense ainsi que plusieurs voitures, brisé des vitrines de banques et ont affronté les forces anti-émeutes. Parmi les dizaines de milliers d’Indignés, une centaine d’individus cagoulés ont multiplié les échauffourées avec la police. Au cours de ces violences, 70 personnes ont été blessées, dont trois sont dans un état grave.
A Lisbonne, quelque 50.000 personnes de tous âges, ont défilé aux cris de "FMI dehors", rangées derrière une banderole proclamant "Stop troïka", en référence aux créanciers du Portugal (Union européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international).
Le cauchemar grec va-t-il s’étendre ?
"Ce qui se passe aujourd’hui en Grèce, c’est le cauchemar qui attend d’autres pays à l’avenir. La solidarité est l’arme des peuples", écrit le groupe Démocratie réelle, qui appelle à manifester samedi dans le centre d’Athènes, sur la place Syntagma. Le mouvement est parti au printemps d’Espagne, le pays de l’Union européenne au taux de chômage le plus élevé (plus de 20 % de la population active, jusqu’à 45 % chez les jeunes de 18-25 ans). L’occupation de la place Puerta del Sol, à Madrid, a fait des émules à travers l’Europe, à commencer par la Grèce, où le déblocage de l’aide financière de l’UE et du FMI est assorti de conditions d’austérité draconiennes. Des mouvements semblables se sont développés au Chili ou en Israël.
Les indignés aux États-Unis : "Occupy Wall Street"
Aux Etats-Unis, le mot d’ordre "Occupy Wall Street" a été lancé cet été sur internet par les activistes du collectif Adbusters (« Casseurs de pub »), un groupe créé à Vancouver qui combat le capitalisme et détourne les codes de la société de consommation. "Nous étions inspirés par ce qui s’était produit en Tunisie et en Egypte. Nous avions le sentiment que l’Amérique était mûre pour vivre son propre Tahrir", explique Kalle Lasn, cofondateur du groupe, en référence à la place du Caire devenue l’hiver dernier l’épicentre de la contestation contre le régime d’Hosni Moubarak. "Nous avions le sentiment qu’une indignation véritable montait en Amérique et nous avons voulu produire l’étincelle qui permettrait à cette indignation de s’exprimer", continue-t-il. « Occupy Wall Street » appelait à se rassembler autant de temps que nécessaire à partir du 17 septembre. Le mouvement entrera lundi dans son deuxième mois et les protestataires campent toujours dans un village de tentes dressé dans le parc de Zucotti, près du cœur financier de Manhattan.
Plusieurs stars apportent leur soutien aux manifestants en se rendant à Zucotti : "Lors des premiers jours, on disait que ce n’était qu’une bande de hippies. Mais l’Américain moyen qui a perdu sa protection médicale, qui est sur le point de perdre son boulot peut être tenté de rejoindre le mouvement", a estimé Michael Moore, accompagné de l’acteur Tim Robbins. La comédienne Susan Sarandon s’est également rendue auprès des manifestants : "Je ne connais pas grand-chose à Wall Street mais si je privais autant de personnes leur job, je ne pense pas que je recevrais un bonus ou garderais mon travail". Sont également venus apporter leur soutien : la comique Roseanne Barr, Mark Ruffalo ("Combattre pour la liberté, la justice et l’égalité, il n’y a pas plus américain. Comment peut-on être contre ?", a twitté l’acteur de Shutter Island), Alec Baldwin, Penn Badgley ("Même si la célébrité n’a aucun fondement rationel, il faut utiliser toutes les armes à sa disposition" a-t-il déclaré), Russell Simmons, le rappeur Kanye West, la veuve de John Lennon, Yoko Ono, a affirmé sur twitter : "J’aime le mouvement « Occupez Wall Street ». Comme le disait John : un seul héros ne peut rien. Chacun de nous doit être un héros. Vous l’êtes. merci à tous" ...
À Londres : "Occupy the Stock Exchange"
Spyro, un Britannique de 28 ans très actif dans la préparation du rassemblement prévu samedi à Londres sous la bannière « Occupy the Stock Exchange », résume les raisons de ce mouvement global de colère contre « le système financier ». Les banques, rappelle-t-il, ont été renflouées sur fonds publics, mais les pratiques des bonus et des stock-options sont restées inchangées tandis que les Etats, sous l’œil des marchés et des agences de notation, engageaient des politiques d’austérité et que le chômage, en particulier chez les jeunes, augmentait. "Partout dans le monde, nous disons que cela suffit", poursuit-il.
Contre l’austérité
D’Athènes à New York, les revendications restent assez générales, elles visent les 1 % de la population accusées de concentrer l’essentiel des richesses, elles accusent les gouvernements élus d’être sourds à cette colère. Et les manifestants de proclamer : "nous sommes les 99%" ("We are the 99%"). Ce qui est incontestable, c’est que ces 99% n’ont pas 99% de l’argent. Ainsi, selon une analyse de l’administration fiscale américaine, réalisée par les économistes Thomas Piketty et Emmanuel Saez (fichier Excel), les 99% d’américains ont représenté en 2008 79% des revenus totaux et le pourcent restant a engrangé le reste. Du jamais vu. Dans les années 1970, les 99% gagnaient par exemple quelque 90% des revenus. En 2007, la part du revenu global engrangée par le pour cent le plus riche fut la plus élevée jamais enregistrée depuis 1928. Pour en savoir plus, je vous invite à lire "Les indignés de Wall Street possèdent-ils si peu ?" sur Slate.fr en cliquant ici.
Mais au fait qui sont ces indignés ?
"Question délicate, car il n’y a pas d’étude sur ce sujet", répond Albert Ogien, directeur du centre d’études des mouvements sociaux de l’EHESS dans un entretien dans le quotidien Metro. "Mais le phénomène important est qu’il s’agit surtout d’un mouvement de jeunes, qui sont diplômés mais qui n’arrivent pas à trouver leur place dans la société et ne trouvent pas d’emploi. C’est une jeunesse qui se retrouve bloquée devant les portes d’un monde qui lui sont fermées. Et c’est un mouvement sans leader, sans mot d’ordre global, sans programme, et non violent. L’idée de départ c’est de dire : on sort tous ensemble dans la rue et on dit non, sans armes, à la manière dont fonctionne la société. C’est une nouvelle forme d’intervention des citoyens dans la politique".
L’auteur de "Pourquoi désobéir en démocratie ?
" poursuit : "Le mouvement des Indignés est révélateur d’un malaise profond, sur la représentativité, sur le fonctionnement démocratique. Beaucoup de gens ressentent que les politiques, professionnalisés, se sont mis complètement à l’écart de ce qui les préoccupe. Qu’ils fonctionnent en vase clos, qu’ils ne les représentent pas, qu’ils ne sont pas à l’écoute du peuple. Les Indignés disent aux politiques : "sans nous vous n’existez pas car vous êtes nos représentants. Et on ne veut plus de vous." C’est ce mot d’ordre consensuel qui les réunit au-delà des frontières".
L’efficacité de cette mobilisation reste à démontrer. "Il y a plus de sympathisants que de personnes qui manifestent réellement", souligne Mary Bossis, professeur à l’université grecque du Pirée.
"Les indignés pourraient jouer un rôle durant les élections de 2012"
Cependant, la mobilisation est telle que les indignés pourraient jouer un rôle lors des présidentielles de 2012 en France et outre-Atlantique, affirme la sociologue Monique Dagnaud qui vient de publier "Génération Y : Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion
" (aux Presses de Sciences Po). Interrogée par France 24, elle pense que "ces jeunes n’ont visiblement pas envie de se mêler à la politique à l’ancienne, ce qui fait que ces mouvements sont en totale rupture avec les mouvements de protestation traditionnels de la jeunesse, comme celui de Mai 68 par exemple. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’y a pas de leader qui émerge… Toutefois, ces collectifs pourraient toutefois jouer un rôle de lobby protestataire durant les campagnes politiques. Leur visibilité pourrait avoir avoir un effet dans le débat politique et donner plus de poids à la question de la jeunesse durant la campagne électorale. En fait, leur rôle est surtout de faire passer un message, à savoir montrer l’exemple d’une mini-société vertueuse en opposition avec la société corrompue qu’ils dénoncent. Je pense notamment aux indignés de la Puerta del Sol à Madrid qui ont quitté les lieux après avoir balayé la place."
Un soutien inattendu
Le successeur de Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi a jeté le trouble hier en déclarant "comprendre les jeunes Indignés qui manifestent dans le monde entier". "Nous, les adultes, nous sommes en colère à cause de cette crise. Alors pensez aux jeunes de 20 ou 30 ans…" a-t-il déclaré.