Les mains dans les poches, rien dans les poches
Les ministres à Doha n’ont aucune excuse estime le Réseau Action Climat - France. L’année 2012 a illustré - souvent violemment - l’ampleur des changements climatiques, au nord comme au sud. Peu avant la conférence, plusieurs rapports avaient alerté sur ce que signifie une planète à +4°C. Pourtant, les pays développés sont venus négocier à Doha sans réel mandat pour renforcer leur ambition en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre.
Les pays sont également venus les mains vides malgré les appels à l’aide des pays les plus pauvres pour faire face aux impacts du changement climatique. "Adapter l’agriculture paysanne aux sécheresses répétées, construire des digues face à l’élévation du niveau des mers coûte très cher aux pays vulnérables. Les maigres engagements financiers pris à Copenhague (fast-start) se terminent déjà cette année. En 2013, la plupart des pays développés ont décidé de ne pas reconduire cette aide. Pour les populations pauvres qui subissent les impacts du changement climatique, c’est une trahison !", s’insurge Alix Mazounie, chargée des Politiques internationales au Réseau Action Climat - France.
La responsabilité de ce nouvel échec repose largement sur les pays industrialisés en particulier sur les Etats-Unis. Le gouvernement Obama a réussi avec succès à démanteler le régime global sur les climats de l’ONU et d’autres pays riches ont activement aidé à paralyser les négociations. Dans un premier temps, les pays pauvres payeront le prix fort. Sarah-Jayne Clifton, la coordinatrice « Energie » pour la Fédération internationale des Amis de la Terre s’indigne : « Alors que la crise climatique empire et que la fenêtre pour agir se referme un peu plus chaque jour, nous avons vu que ce sont les lobbies des énergies fossiles qui tiennent les rênes de nos gouvernements. Les pays industrialisés n’ont même pas tenté de résoudre la crise durant ces négociations. Ils ont préféré protéger les intérêts de leurs multinationales et aider les élites de la finance à s’engraisser encore, en développant cette mine d’or qu’est l’escroquerie mondiale de la finance carbone ».
Christian Berdot des Amis de la Terre France accuse : « Trois ministres français étaient à Doha. Ont-ils osé expliquer à leurs collègues chinois que la Chine doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre, mais que la région nantaise ne peut survivre économiquement qu’avec un second aéroport ? Bien sûr que non. Cet aéroport est tout le symbole du double langage des pays riches : de beaux discours d’un côté et de l’autre, on continue à prendre des décisions d’un autre âge, quelqu’en soit le prix écologique et humain à payer. La majorité des pays se sont rendus à Doha dans l’espoir de limiter les impacts climatiques, mais pour les nations riches, le seul objectif était de limiter les impacts …économiques d’un éventuel accord. Chaque fois que les nations riches avancent leur pion d’une case sur l’échiquier économique, l’Humanité recule de 10 cases sur l’échiquier climatique ! Alors, c’est à nous citoyens de prendre notre avenir en mains, de nous unir et d’agir. »
Protocole sauvé, mais Protocole déserté
Arrivant à échéance le 31 décembre 2012, le Protocole de Kyoto – seul accord sur le climat – a été prolongé pour une période de 8 ans à compter du 1er janvier 2013. Il inclut les pays de l’Union Européenne, l’Australie, l’Islande, la Norvège et la Suisse, qui représentent 15% des émissions mondiales suite aux démissions du Japon, de la Russie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande. La Pologne et la Russie, arc-boutées sur leurs privilèges issus de la première période (« air chaud ») ont bien failli torpiller la signature de cette seconde période. « Cet accord sur la prolongation du Protocole maintient l’ossature d’une action collective contre le changement climatique mais reste largement insuffisante pour parvenir à l’objectif acté à la conférence de Copenhague de maintenir le réchauffement planétaire sous la barre de 2°C », rappelle Célia Gautier chargée des Politiques européennes au Réseau Action Climat - France.

L’accord de 2015 se dessine dès 2013
Les accords de Durban en 2011 avaient rassemblé les états autour d’un objectif commun : trouver un accord de lutte mondial contre les changements climatiques d’ici 2015. A condition de renforcer radicalement nos efforts dès Doha, notamment en matière de justice climatique. « Mais les décisions prises ,ou plutôt arrachées à Doha, nient l’urgence climatique dans les pays vulnérables. Dans ce contexte, quel intérêt et quelle confiance auront-ils à signer un accord mondial en 2015 sans prévisibilité sur les financements et sans volonté politique des Etats développés ? » s’interroge le Réseau Action Climat - France.
En effet, la grande difficulté à accoucher samedi du très modeste accord de Doha, adopté grâce à un passage en force de la présidence qatarie, montre que les négociations à venir s’annoncent des plus difficiles. "Les températures qui se profilent sont bien au-delà de ce que l’Homo sapiens a connu", a rappelé l’économiste britannique Nicholas Stern, auteur d’un rapport de référence sur le coût financier du réchauffement, après l’accord de Doha. "Il est crucial que tous les pays, développés et en développement, concentrent désormais tous les efforts pour parvenir à un accord international fort et efficace" en 2015, a-t-il poursuivi, critiquant "l’inadéquation entre l’urgence de la situation et l’ambition affichée à Doha".
"Le résultat n’est clairement pas à la hauteur de l’urgence", a déclaré la ministre française de l’Environnement, Delphine Batho, au terme de la conférence, reconnaissant que les négociations sur le climat, lancées en 1995 et impliquant plus de 190 pays, "sont difficiles parce qu’elles concentrent tous les enjeux de la mondialisation". "Trop de puissances n’ont pas la volonté de remettre en cause le modèle de développement qui conduit la planète à sa perte. Il faut préparer 2015", la conférence qui se tiendra sauf surprise à Paris, "sur de nouvelles bases", a-t-elle estimé.
La communauté internationale s’est engagée à conclure en 2015 un accord engageant cette fois tous les pays, dont la Chine et les Etats-Unis, les deux plus grands pollueurs, à réduire leurs émissions de GES. L’accord doit entrer en vigueur en 2020. "Ca va être un travail difficile, qui va nécessiter beaucoup de compromis", a prédit Alden Meyer, de l’ONG Union of concerned scientists.
Et les questions à résoudre donnent le vertige : les pays émergents accepteront-ils le même niveau de contrainte que les pays du Nord ? L’Inde acceptera-t-elle d’être traitée comme la Chine ? Quelle dimension légale pour le traité ? Qu’est-ce qu’un accord "équitable" ? Quels seront les engagements des Etats-Unis qui viennent de faire le choix du gaz de schiste ?
"On ne peut pas être dans le +brainstorming+ pendant encore trois ans !", a prévenu l’ambassadeur climat pour la France, Serge Lepeltier. "Il ne faut surtout pas qu’on se retrouve dans la situation de Copenhague", ajoute-t-il, la grande conférence de 2009 qui s’était soldée par un quasi-échec. Pour Alden Meyer, "il ne faut pas que les chefs d’Etat viennent sauver les meubles à la dernière minute. Ils doivent s’engager en amont". Cette idée a d’ailleurs été lancée par le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. D’ici 2015, le groupe d’experts de l’ONU sur le climat (Giec) aura rendu un nouveau rapport sur l’état des lieux du réchauffement. Une étape "fondamentale" pour réveiller la communauté internationale, estime M. Lepeltier.
Que contient « La Décision de Doha »
– Une décision sur les financements vidée de toute sa substance qui ne met pas un centime sur la table pour 2013-2015 et ne propose pas de trajectoire pour atteindre 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, engagement pris par les pays développés depuis Copenhague. La décision invite les gouvernements à indiquer leur trajectoire financière jusqu’en 2020, appelle les Etats à financer l’adaptation en priorité avec des financements publics et encourage les pays développés à maintenir les niveaux actuels de financements climat.
– Une deuxième période d’engagement sous le Protocole de Kyoto bourrée d’échappatoires qui permettront aux pays d’utiliser et de vendre les surplus de quotas d’émissions de CO2 (« l’air chaud »).
– Un appel – plutôt qu’un mécanisme formel et ambitieux – pour que les pays du Protocole de Kyoto revoient leurs objectifs de réduction d’émissions à la hausse (entre -25 et -40%) d’ici 2014 au plus tard. Si la décision aurait pu être plus forte, elle renforce l’obligation morale pour les pays d’accroître leurs objectifs de réduction avant 2020 et précise la date pour le faire.
– Un programme de travail sur les pertes et dommages liés au changement climatique pour aider les victimes du changement climatique qui commencera immédiatement en vue d’établir un dispositif institutionnel, tel qu’un mécanisme international, à la COP19.
– Aucune décision sur la comparabilité des efforts de réduction d’émission pour l’ensemble des pays développés (ceux dans Kyoto et ceux qui n’y sont pas ou plus).