Le débat public sur l’écologie, s’il est devenu plus fréquent, reste très insatisfaisant. C’est un des éléments forts ressorti des sessions de controverses écologiques portant sur « la place de l’écologie dans le débat public ». Un constat qui s’explique aussi par le choix des mots de l’écologie, comme le montre le très éclairant décryptage de Pauline Bureau, vice-présidente de La Fabrique Écologique (LFE)
La Controverse Écologique du 20 mars 2024 à l’ENS Ulm s’est articulée autour de trois séquences :
La première portait sur la présence suffisante ou non de l’écologie dans le débat public La seconde en détaillait les facteurs explicatifs. La dernière quant à elle, s’intéressait aux valeurs associées aux mouvements écologistes et leur opposition au technosolutionnisme.
Les intervenants étaient :
- David Chavalarias, mathématicien, directeur de recherche au CNRS au CAMS/EHESS et directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France, auteur de Toxic Data, comment les réseaux manipulent nos opinions, éditions Flammarion (2022) ;
- Stéphane Foucart, journaliste au service Planète du journal Le Monde, auteur de plusieurs ouvrages dont Les gardiens de la raison, éditions La Découverte (2020) ;
- Perrine Simon-Nahum, docteure en histoire, directrice de recherche au CNRS et professeure attachée au département de philosophie de l’Ecole normale supérieure, autrice de Les déraisons modernes, éditions de l’Observatoire (2021).
La Fabrique Écologique et Écocampus ENS, association écologiste créée et animée par des étudiantes et étudiants de l’École Normale Supérieure, lancent en partenariat pour l’année 2023-2024 un cycle de Controverses Ecologiques. Ces événements au format innovant, gratuits et ouverts à tous, réunissent et font débattre des personnalités aux profils divers, ayant travaillé et publié sur un sujet d’actualité.
La deuxième Controverse Ecologique de ce partenariat avait pour thème « Quelle place de l’écologie dans le débat public ? »
Pauline Bureau et Abel Couaillier, en charge de l’animation de cette deuxième controverse ont évoqué l’ambivalence de la place de l’écologie dans le débat public. Enjeux tantôt dramatiquement pris en compte, tantôt oubliés, même s’ils se diversifient et ont une place croissante dans le débat public, le climatoscepticisme reste très présent et l’urgence écologique peine à être une priorité ainsi qu’à se démocratiser.
La séquence 1 visait à s’interroger sur la présence suffisante ou non de l’écologie dans le débat public
Stéphane Foucart, Journaliste au service Planète du journal Le Monde, a rappelé la place insuffisante de l’écologie dans le débat public, le manque de qualité des discussions qui tournent davantage autour de commentaires politiques. Il déplore l’effacement des questions écologiques au profit de celles d’ordre socioéconomiques. Le débat public procède, à son sens, à une forme de naturalisation de la catastrophe lente liée aux enjeux écologiques.
David Chavalarias, Mathématicien, directeur de recherche au CNRS au CAMS/EHESS et directeur de l’Institut des Systèmes Complexes de Paris Île-de-France, a attiré notre attention sur la crise existentielle pesant sur les écosystèmes et que les débats portaient sur une vision à court-terme notamment sur le sujet de la biodiversité. Il a insisté sur l’importance de transmettre des connaissances scientifiques sur les écosystèmes et leur rôle dans le maintien des sociétés humaines.
Perrine Simon-Nahum, Docteure en histoire, directrice de recherche au CNRS et professeure attachée au département de philosophie de l’École normale supérieure, a apporté une perspective historique sur l’évolution de la prise en compte de l’écologie. Elle évoque le temps d’acculturation nécessaire à ces enjeux. Si l’écologie est reconnue selon elle dans le débat public, le problème reposerait davantage sur la manière dont les informations sont communiquées, sur le manque de fluidité des échanges qui ne se font pas au même niveau de connaissance et de langage.
La séquence 2 a abordé les fragilités de l’écologie dans le débat public
L’un des éléments clés de cette séquence porte sur la décrédibilisation de la science et sa légitimation par l’innovation et la technologie. Le financement très majoritaire de la technoscience plutôt que de la science viendrait brouiller la distinction entre les deux.
Le manque de culture scientifique, la difficulté à remettre en cause un système socioéconomique, dans lequel des investissements colossaux ont été effectués sont autant d’obstacles à une plus grande reconnaissance médiatique de l’écologie selon David Chavalarias.
Stéphane Foucart, constate une « faillite institutionnelle » de la science, avec une apathie généralisée à l’égard de celle-ci, qui s’accompagne d’une diffusion de la désinformation. Conjointement à ce « piratage de la parole scientifique », le monde médiatique qui est concentré entre les mains d’une petite partie de la population, se perd dans la priorisation des sujets à relayer.
À cela s’ajoute la difficulté de distinguer lobbying, science, et instrumentalisation politique, qui érodent la confiance de la population.
Perrine Simon-Nahum, abonde également en ce sens et relativise cette inculture scientifique en mentionnant que l’inculture économique qui précédait celle-ci a finalement été dépassée. Elle a mentionné également les réseaux sociaux, en tant que facteur contribuant à ce rejet de la science.
La dernière partie de la table ronde s’intéressait aux valeurs associées à l’écologie qui se heurtent au technosolutionnisme
Perrine Simon-Nahum a dénoncé la manière dont les écologistes articulent leur discours autour de l’herméneutique de la peur, venant ainsi compromettre leur audibilité. La politisation extrême de l’écologie, l’érigerait en tant que valeur absolue et indiscutable, ce qui peut rentrer en conflit avec des priorités d’autre nature. L’environnement ne devrait ainsi pas être le tout de la politique.
David Chavalarias a mis en garde sur la manière dont le débat public orientait les votes non pas vers des idées mais vers des personnalités et qu’il devenait de plus en plus polarisé et sous format conflictuel en ligne et hors ligne. Il défend aussi que le technosolutionnisme s’oppose en termes de valeur à la sobriété et donc par extension à l’écologie. Pour lui, c’est à l’humain de s’adapter au climat et non l’inverse.
Stéphane Foucart a également critiqué fortement le technosolutionnisme et les logiques qu’il traduit. Il l’associe à un manque d’imagination pour sortir du carcan socioéconomique, à l’opposé des nouveaux imaginaires que souhaite dessiner l’écologie.
En conclusion, David Chavalarias a souligné l’importance d’inverser le temps, d’agir dès maintenant pour préserver la nature à notre disposition aujourd’hui, car elle sera toujours en meilleur état que demain.
Les controverses écologiques
Le concept
Les Controverses Écologiques ont pour objectif de réunir des personnalités ayant travaillé sur le fond sur un sujet d’actualité et de les faire débattre et échanger. Depuis novembre 2018, ces Controverses sont organisées en partenariat avec Sorbonne Développement Durable.
Atlas des pesticides
Dans le cadre de la Semaine pour les alternatives aux pesticides (SPAP) coordonnée par l’association Générations Futures, la Fondation Heinrich Böll et La Fabrique Écologique ont présenté l’Atlas des pesticides. Ce webinaire présentait les différents articles de l’atlas, avec un focus sur l’actualité et sur la santé. L’occasion de dresser un état des lieux et de se focaliser sur les éternels oubliés des enjeux autour des pesticides à savoir les coûts sociétaux qui en découlent et l’impératif de justice sociale pour y remédier.
Les intervenant.es étaient :
- Sarah Champagne, Coordinatrice des programmes Transition énergétique, écologique et sociale de la Fondation Heinrich Böll
- Mathilde Boitias, directrice de La Fabrique Ecologique
- Jill Madelenat, directrice des études à La Fabrique Ecologique
- Camille Bouko-Levy, membre de l’Observatoire Terre-Monde
- Christophe Alliot, co-fondateur du Basic
La transition écologique par le langage ?
Pauline Bureau, vice-présidente de La Fabrique Écologique, est l’auteure du décryptage :
« Termes-catastrophes, noms sous pression, et néologie revitalisante : la transition écologique par le langage ».
Si l’existence des mots permet de nommer la réalité et donc de se la représenter, le choix de ceux-ci et leur utilisation façonnent notre appréhension du monde réel. Le langage peut être ainsi à la fois un puissant outil pour perpétuer le modèle actuel ou pour en établir un nouveau. Ce décryptage revient sur les enjeux autour de l’utilisation du langage pour dessiner de nouveaux imaginaires et mener à bien la transition écologique.