L’information, la sensibilisation et l’éducation sont les premières routes de l’action. Mais ces leviers du changement semblent être les grands oubliés des négociations climatiques.
C’est pourquoi, 34 représentants du monde intellectuel, politique et associatif dont Denez L’hostis, président de France Nature Environnement, ont choisi de signer une tribune commune portée par le collectif Paris Éducation 2015. L’objet : ouvrir la réflexion et l’intégrer aux discussions de Paris climat 2015.
Paris Climat 2015 : parlons aussi d’éducation
Voilà bientôt vingt ans que, chaque année en décembre, les représentants de toutes les nations se réunissent pour tenter de faire face au changement climatique. Vingt ans qu’ils tentent de s’accorder sur les moyens d’inverser les courbes exponentielles des émissions de gaz à effet de serre et de s’adapter aux bouleversements qu’elles entraînent. Vingt ans que nous piétinons, conférence après conférence, dans la mise en place d’un accord international dont les effets ne seront vraiment visibles que sur plusieurs décennies.
Voilà vingt ans, en fin de compte, que quelle que soit l’urgence de renverser les tendances, c’est bel et bien sur une, deux, peut-être trois générations que travaillent les négociateurs… et que le débat porte, chaque fois, sur les solutions techniques, économiques, fiscales, diplomatiques ou juridiques sans se pencher sur ce qui devrait pourtant constituer le levier fondamental du changement à cette échelle de temps : l’éducation. Une éducation et une formation globale et durable qui, au lieu de perpétuer les schémas de pensée qui nous condamnent à un développement insoutenable, formerait des femmes et des hommes émancipés, innovants, conscients de leurs responsabilités et de leurs choix, solidaires de tous les autres et attentifs à préserver notre résidence commune, la Terre.
Dans un peu plus d’un an, la France accueillera la 21ème Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques. L’Histoire retiendra-t-elle que c’est à Paris qu’aura enfin été conclu un accord international à la hauteur du défi ? Nous l’espérons comme plus de 7 milliards de Terriens. Mais ne pourrait-elle pas au moins retenir que c’est à Paris que l’éducation aura enfin commencé à être intégrée dans la réponse de la communauté internationale au défi climatique ?
La question n’est plus seulement, d’ailleurs, une urgence écologique, c’est une urgence pour la sécurité planétaire et pour tous les acteurs de la société qui en partagent la responsabilité. L’enjeu n’est pas uniquement de « sauver la planète », mais de construire la paix mondiale et de prévenir les conflits graves liés à l’accroissement des inégalités, aux déplacements de population et aux tensions sur les ressources qui s’accentuent de jour en jour. Nous proposons que la France affirme cette urgence en intégrant au dispositif qu’elle met en place pour la conférence de Paris sur le climat, et de façon aussi articulée que possible aux négociations, une conférence de grande envergure qui pourrait s’intituler : « Transformer l’éducation : une question de sécurité planétaire ».
Comment élargir les fondamentaux de l’éducation – lire, écrire, compter – à ceux du XXIème siècle – apprendre à vivre ensemble à 9 ou 10 milliards d’habitants sur une planète fragile et limitée ? Des milliers d’éducateurs humanistes de par le monde s’y emploient depuis des décennies par une éducation à l’environnement, à la citoyenneté, à la solidarité internationale, à la santé, à la paix… Par quantité d’approches différentes, à l’intérieur comme en dehors de l’institution scolaire, ils promeuvent une formation intégrale du citoyen, capable de mieux comprendre les grands défis planétaires et de s’engager plus activement dans la construction de solutions à long terme.
Mais si les contenus, les méthodes, les programmes de formation d’enseignants sont aujourd’hui à maturité, la Conférence mondiale sur l’éducation au développement durable organisée par l’UNESCO à Bonn en mars 2009 a rappelé à quel point leur mise en pratique reste marginale. Même là où des moyens importants sont consacrés pour faire évoluer les approches et les contenus, notamment en France avec la « généralisation de l’EDD » orchestrée par le ministère de l’Éducation nationale depuis plusieurs années, l’évolution des pratiques sur le terrain se heurte à des obstacles structurels considérables.
L’école héritée du XIXème siècle n’est guère préparée à travailler sur les valeurs qui s’imposent au XXIème siècle : la responsabilité et l’engagement collectif pour un monde plus juste, apaisé et sécurisé. En France comme dans trop d’autres pays, les élèves continuent à évoluer dans un système éducatif dominé par une approche trop étroite des disciplines, des connaissances fragmentées dont on ne discerne pas les enjeux, la relégation des arts et du corps, la quasi absence de régulation collective des conflits et d’éducation pratique à la vie démocratique, la déconnexion avec le milieu naturel, la rareté d’exemples venant de l’extérieur…
Par leur histoire, leurs structures et leur culture, nos systèmes éducatifs hérités de la révolution industrielle, au lieu de nourrir la transition vers une société durable, y font, le plus souvent, obstacle. Nous devrons les transformer en profondeur pour élever la réponse éducative à la hauteur des bouleversements causés par nos activités – c’est à dire dans le cadre d’une transition globale, imaginative et agile capable d’infléchir puis d’inverser les courbes. Débattre, à l’occasion de Paris Climat 2015, des leviers et moyens de cette transformation apporterait une contribution majeure à l’immense chantier des objectifs de développement durable que les Nations Unies viennent de réaffirmer au sommet de New York sur le climat.
Les négociations climatiques, en reconnaissant le rôle fondamental de l’éducation dans les échelles de temps que leur impose l’inertie des systèmes politiques et économiques, offriront une opportunité sans précédent pour placer la transition vers la durabilité au centre des systèmes éducatifs. Alors n’attendons plus, capitalisons les décennies de savoir-faire accumulés par les acteurs de l’éducation au développement durable et plaçons l’éducation au sein des débats et décisions qui seront pris à l’occasion de la conférence Paris Climat 2015 ! Engageons les moyens importants nécessaires à la transformation des systèmes éducatifs et à la généralisation progressive, partout sur le globe et par un effort de solidarité renouvelé, d’une éducation et d’une formation globale et solidaire réinventée par et avec tous ! La France, en lien avec ses partenaires de la Francophonie, de l’Europe et des Nations Unies, se doit de relever ce défi pour la jeunesse d’aujourd’hui et de demain.
Vous adhérez à ce projet ? Alors n’hésitez pas à rejoindre les signataires : paris-education2015@hotmail.com
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Les signataires de cet appel
Au 10 février 2015 :
– Gilles Berhault, Président du Comité 21
– Catherine Brette, Présidente du Parc naturel régional du Vercors
– Allain Bougrain Dubourg, Président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux
– Pierre Calame, Président honoraire de la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme
– Jean Cot, Général d’Armée (cr), ancien commandant de la FORPRONU
– Ronan Dantec, Sénateur de Loire Atlantique
– Antoine Dulin, Rapporteur de l’avis du Conseil économique, social et environnemental « L’éducation à l’environnement et au développement durable pour tous tout au long de la vie »
– Jean-Louis Etienne, Explorateur
– Thierry Gaudin, Prospectiviste
– François Gemenne, Politologue UVSQ/Ulg
– Roland Gérard, Co-président Collectif français pour l’éducation à l’environnement vers un développement durable
– Nicolas Hulot, Président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme
– Didier Jouve, conseiller régional de la Biovallée (Rhone alpes)
– Jean Jouzel, Climatologue, Vice-président du groupe scientifique du GIEC
– François Lasserre, Co-président du réseau GRAINE Île-de-France
– Thierry Lerévérend, Directeur de l’Office français de la Fondation pour l’éducation à l’environnement en Europe
– Denez L’Hostis, Président de France Nature Environnement
– Claude Lorius, Glaciologue, médaille d’or du CNRS, prix Blue Planet
– Valérie Masson-Delmotte, Chercheuse CEA au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement
– Michela Mayer, membre du Comité Scientifique de la Commission Italienne UNESCO pour la Décennie de l’éducation pour le développement durable
– Philippe Meirieu, Professeur à l’université de Lyon et vice-président EELV de la Région Rhône-Alpes
– Pascal Plumet, co-président du Réseau École et Nature.
– Pierre Rabhi, paysan, écrivain, fondateur du Mouvement Colibris
– Mario Salomone, Secrétaire Général du Réseau international WEEC
– Lucie Sauvé, Directrice du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté à l’Université du Québec
– Pascal Terrasse, député (France), Secrétaire général parlementaire de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie
– Francis Thube, directeur de l’Ifrée-Institut de formation et de recherche en éducation à l’environnement
– Joëlle Vandenberg, Secrétaire générale du Réseau IDée (Information et Diffusion en éducation à l’environnement) – Belgique
– Yolanda Ziaka, Economist, PhD in Environmental Education and Master in Visual Arts and Art Sciences
Le collectif Paris-éducation 2015 est porté par :
– Renée-Paule Blochet, Présidente de l’Association des Amis de Circee
– Richard Pétris, Ecole de la paix
– Yves Reinkin, Député honoraire du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ancien Vice-Président de la Commission éducation de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF)
– Michèle Rivasi, Députée au Parlement européen
– Philippe Saugier, Consultant européen éducation et changements globaux