Elle regrette que les lobbies aient triomphé. elle constate que le droit de l’environnement est nié. Elle estime, qu’en la matière, la France est devenue le cancre de l’Europe. Elle est très en colère et elle le fait savoir dans l’excellent journal Marianne n°439 (semaine du 17 au 23 septembre 2005). Elle, c’est Corinne Lepage, ex-ministre de l’environnement et présidente de Cap 21.
Alors que les questions d’environnement ont été, cet été, au coeur de l’actualité – sécheresse, incendies, grippe aviaire, prix de l’énergie, fonte de glaces -, le silence du ministère dit de l’Ecologie et du développement durable est insupportable. Mis à part une timide réflexion sur la nécessité, ô combien évidente, de réduire les cultures de maïs – rapidement contredite par le ministre de l’Agriculture -, la nouvelle ministre s’est avant tout fait remarquer par son absence. Le choix de Nelly Olin, qui succède à l’inoubliable Mme Bachelot et au malheureux Serge Lepeltier « remercié », lui, pour avoir tenté d’agir, illustre jusqu’à la caricature les pratiques gouvernementales. Rien d’étonnant puisque le président de la République lui-même, lors d’un déplacement en Charente-Maritime, a nié l’existence d’un problème particulier lié à l’eau en France …
La vérité ? Il n’y a plus, et depuis trois ans déjà, de ministère de l’Ecologie. Nous assistons à une véritable déconstruction du droit de l’environnement et à une réduction constante de la place et du poids de ce ministère dans les politiques publiques. Au moment où il a été limogé, Serge Lepeltier a exprimé sa crainte de voir disparaître son ministère. Il a dénoncé le poids des lobbies efficacement relayés par la majorité parlementaire. On ne peut que regretter qu’il ne se soit pas exprimé plus tôt, qu’il n’en ait pas tiré les conséquences, en démissionnant par exemple. Quelle leçon politique s’il avait refusé de jouer le rôle d’ectoplasme, celui qui est désormais attribué au titulaire du portefeuille de l’Ecologie.
Depuis trois ans, il n’est pas une loi qui n’ait, dès que possible, réduit la protection de l’environnement. Tous les lobbies ont triomphé. Qu’on en juge.
– Les agriculteurs ont obtenu un projet sur l’eau qui leur reste extrêmement favorable. Des décrets permettent l’extension, la création, de porcheries et autres bâtiments d’élevage sans autorisation jusqu’à des seuils très importants, la liberté de pouvoir mélanger les pesticides sans contrôle, l’épandage du lisier à 10 m des habitations, etc.
– les bétônneurs ont gagné des allègements sur la loi « littoral » et la loi « montagne ». Les parcs nationaux y passeront bientôt.
– Les chimistes ont pu compter sur un soutien actif et puissant pour vider de sa substance le plan santé-environnement.
– Les partisans du diesel se sont opposés, avec succès, au développement de la voiture hybride.
– Le lobby nucléaire est parvenu à plomber, avec efficacité, le développement des énergies renouvelables.
– Les promoteurs des incinérateurs, malgré les oppositions massives des populations et de nombreux élus, ont continué à obtenir des autorisations. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.
Pour accepter d’être le cancre de l’Europe en matière d’environnement, pour s’entêter à réduire les moyens du monde associatif, pour renforcer le secret dans tous les secteurs environnementaux au mépris des textes communautaires et des conventions internationales, pour se plier aux diktats des intérêts économiques de court terme, au mépris de l’intérêt général, il faut effectivement admettre qu’il n’y a plus de ministre et de ministère de l’Environnement digne de ce nom.
Nous sommes confrontés à une offensive victorieuse destinée à réduire le ministère de l’Ecologie à une administration de la chasse et de la nature. Des pans entiers de la compétence du ministère se sont d’ailleurs envolés : les risques naturels sont désormais gérés par l’Intérieur, l’eau est contrôlée par l’Agriculture, le nucléaire repris en main par l’Industrie, le littoral géré, en réalité, par l’Aménagement du territoire. Plus grave encore : les interfaces entre le ministère de l’Ecologie et les autres ministères, qui imposaient la prise en compte du long terme et des intérêts généraux liés à la santé, sont devenues inexistantes. Transports, énergies, agriculture, industrie, santé… Tous ces domaines, frappés de plein fouet par la fracture écologique, sont désormais hors de portée du ministre de l’Ecologie. A un moment précis où l’Etat devrait donner des implusions majeures en direction de l’éco-économie, il supprime le seul outil de réorientation. Tragique !
> Pour aller plus loin
– Cap 21 : Club de réflexion politique créé en 1996 par Corinne Lepage, CAP 21 se transforme en mouvement politique en juin 2000. CAP 21 est composé d’hommes et de femmes issus de mouvements associatifs, du monde de l’entreprise, de professions libérales, de l’agriculture, du monde universitaire, de la société civile… En savoir plus >>>
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