La nouvelle Note de La Fabrique Ecologique « Gouverner la transition écologique: démocratie ou autoritarisme » issue du groupe de travail présidé par Eric Vidalenc est désormais disponible en ligne. Alors que la démocratie, telle qu’elle se matérialise aujourd’hui, traverse une crise de légitimité importante, certains voient dans le réchauffement climatique un nouveau facteur de déstabilisation de ce régime. Ce discours, récurrent dans les médias, affirme qu’une « dictature » ou qu’un régime autoritaire serait plus à même de répondre aux enjeux de transformation sociétaux. C’est en revenant à une définition exhaustive de la démocratie comme principe mais aussi comme processus politique, que cette note entend déconstruire ces propos et alimenter le débat autour de l’opportunité réciproque que représente un renforcement démocratique par et pour la transition écologique.
Cette note est actuellement ouverte à la co-construction citoyenne. Ceci signifie que chacun(e) peut contribuer à son amélioration en faisant des commentaires et surtout en proposant des amendements précis, soit ci-dessous ou par email à l’adresse contact@lafabriqueecologique.fr. À l’issue de cette période collaborative, le groupe de travail qui a rédigé le document initial se réunira une dernière fois pour retenir les amendements jugés pertinents. Leurs auteurs seront dans ce cas sollicités pour que leur nom figure, s’ils le souhaitent, dans la fiche de présentation de la note en tant que contributeur. La version définitive sera ensuite publiée.Synthèse
Alors que la démocratie, telle qu’elle se matérialise aujourd’hui, traverse une crise de légitimité importante, certains voient dans le réchauffement climatique un nouveau facteur de déstabilisation de ce régime. Ce discours, récurrent dans les médias, affirme qu’une « dictature » ou qu’un régime autoritaire serait plus à même de répondre aux enjeux de transformation sociétaux. C’est en revenant à une définition exhaustive de la démocratie comme principe mais aussi comme processus politique, que cette note entend déconstruire ces propos et alimenter le débat autour de l’opportunité réciproque que représente un renforcement démocratique par et pour la transition écologique. Cette analyse des termes sert de socle à une critique des limites de la conception contemporaine, institutionnelle et médiatique de la démocratie. La déclinaison de ces limites permet ensuite de dessiner les contours d’un nouveau projet démocratique davantage en accord avec la complexité de la transition écologique. Par ailleurs, cette complexité révèle les contradictions qu’elle porte avec le paradigme de croissance dont le projet démocratique actuel s’est porté garant, de ce fait le groupe de travail relève des obstacles à la transformation du système actuel tels que les inégalités sociales, les intérêts économiques ou encore le lien entre science et démocratie. Cette note analyse aussi comment les critiques de cette conception participent à l’apparition d’innovations et de propositions institutionnelles. La seconde partie de cette note revient sur la question de l’autoritarisme comme « solution miracle » face à la crise écologique, elle dresse une réflexion autour des régimes existants et de leur action en faveur de la transition écologique. Ce tour d’horizon des pays à tendance autocratique tels que la Chine ou le Brésil démontre que le problème n’est pas mieux traité, voir antinomique avec l’extractivisme qui définit nombre de ces pays. De même, l’analyse historique de tels régimes tend davantage à démontrer que les politiques en oeuvre ne satisfont aucunement la résorption des inégalités sociales, économiques et plus récemment environnementales. Ainsi la déconstruction de cette idée de « dictature verte » nous rappelle que les régimes démocratiques sont mieux à même de faire face à la crise écologique. La troisième partie s’intéresse davantage à la récente prise en compte dans la société des enjeux écologiques à la fois au sein des institutions mais aussi au sein de la société civile depuis les années 80. Marqué par le développement des ONG à l’international, les mobilisations citoyennes en faveur d’une politique climatique exigeante se sont multipliées ces dernières années. Bien qu’une presse spécialisée adopte une approche multidimensionnelle des enjeux environnementaux, la dépolitisation du sujet par une part importante des médias occulte encore sa portée collective et structurelle. Toutefois l’accélération des phénomènes climatiques, la récente mobilisation mondiale de la jeunesse et l’implication des scientifiques dans le débat tend à inverser cette tendance. Cette remise en contexte montre que l’évolution rapide de la conscientisation du sujet peut avoir un impact sur les choix politiques à venir ainsi que sa place dans la définition de nouveaux processus démocratiques. Ce travail a donc défini trois pistes qui iraient dans le sens d’une démocratie que l’on pourrait qualifier d’écologique : – Définir un nouveau projet politique : Débattre des limites inhérentes à la finitude des ressources et des seuils et de leurs implications sur nos institutions et systèmes politiques. Cela passe donc par des réflexions autour des libertés et régulations dans l’intérêt des citoyens ici et ailleurs, aujourd’hui et demain . – Ramener de la justice dans les décisions : Réorganiser la gouvernance au sein des entreprises avec la présence de relais de l’intérêt général permettrait de réaligner les intérêts économiques et les objectifs environnementaux. Adopter des régulations justes notamment face aux enjeux climatiques ou risques chocs énergétiques (redistribution, rationnement…). – Développer la participation : Revaloriser dans la médiation science-société la place d’organisme tiers indépendant, tels que le Haut Conseil pour le climat, et favoriser l’éducation à ces enjeux dans l’enseignement. Faciliter le développement de nouveaux lieux et modes de délibération, ou encore mettre en visibilité les pratiques soutenables, et radicales..« La montée de l’autoritarisme est inévitable. Je suis personnellement très content de vivre dans une démocratie. Mais nous devons admettre que les démocraties ne résolvent pas les problèmes existentiels de notre temps – dérèglement climatique, réduction des réserves énergétiques, érosion des sols, écart croissant entre riches et pauvres, etc. Doit-on réduire les libertés individuelles pour cela ? Cette question implique que la société a la capacité d’anticiper et de réaliser des changements proactifs. Je ne vois pas de preuve de cela. Les libertés individuelles sont déjà restreintes et je pense que cette tendance va se poursuivre inévitablement. » Dennis Meadows, scientifique, coauteur du rapport Meadows (1972), dans Libération
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » Article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, août 1789.
Composition du groupe de travail
Membres du groupe de travail- Eric Vidalenc – Président du groupe de travail, responsable du Pôle transition énergétique à la Direction Régionale Hauts de France de l’ADEME
- Emeline Baudet – chargée de recherches à l’Agence Française de Développement
- Amy Dahan – mathématicienne et historienne des sciences, directrice de recherche émérite au CNRS
- Sylvestre Huet – journaliste scientifique
- Irénée Regnauld – senior consultant Marketing et Innovation
- Bruno Andreotti – docteur en physique et professeur à l’Université Paris Diderot
- Floran Augagneur – philosophe des sciences et conseiller scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme
- François Marie-Bréon – climatologue, physicien
- Loïc Blondiaux – professeur en Science Politique à l’Université Panthéon Sorbonne
- Daniel Boy – directeur de recherche émérite FNSP au CEVIPOF
- Pierre Charbonnier – chargé de recherche au CNRS et à l’EHESS
- Marie Degrémont – docteure en science politique
- Thibault Laconde – consultant climat et énergie
- Albert Moukheiber – docteur en neurosciences cognitives
- Matthieu Orphelin – député
- Philippe Quirion – directeur de recherche au CNRS, CIRED, chercheur en économie de l’environnement et de l’énergie
- Mathilde Szuba – Maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Lille
- Jacques Theys – Enseignant en Science Politique et en économie spécialiste des questions environnementales
Sommaire
I. La démocratie à la lumière des enjeux de la transition écologique, de quoi parle-t-on ? – A. Les contraintes et les mécanismes de décision – B. Des évolutions en débat pour répondre notamment au nouvel enjeu écologique – C. Le processus démocratique face aux enjeux écologiques II. Les tensions et les convergences entre démocratie et transition écologique – A. Des tensions – B. Des convergences – C. Obstacles concrets III. L’impasse de la dictature verte – A. L’autoritarisme à l’épreuve des faits- a) Les régimes autoritaires et leur prise en compte de la question écologique
- b) Les régimes « extractivistes » qui se crispent pour négliger la question écologique
Introduction
Cela fait désormais 30 ans qu’on « parle » du climat, que les Etats s’engagent (COP21, Accord de Paris), que les villes prennent le relais, les citoyens se mobilisent…, et pourtant les émissions de gaz à effet de serre n’ont jamais été aussi importantes à l’échelle mondiale. Désormais, la réduction drastique de ces émissions (-45% en 2030, et la neutralité carbone en 2050) est incontournable pour viser les objectifs politiques fixés collectivement lors de l’accord de Paris, rester sous les +2° d’ici la fin du siècle. Si l’« on ne fait rien » des trajectoires à +3, 4,5° d’ici la fin du siècle sont possibles. Sur le volet de la biodiversité, certaines chutes de population d’espèces et seuils passés conduisent à parler d’effondrement. Ces grands enjeux écologiques, entre autres, conduisent désormais la communauté scientifique à parler d’Anthropocène, période géologique traduisant le moment ou l’Homme est devenu un facteur de transformation de son environnement, d’altération profonde et irréversible de notre environnement. Dans le même temps, le doute envers la démocratie semble s’installer structurellement comme le montrent les enquêtes 2009-2019 : la crise de la confiance politique (PDF, 1,53 Mo). De l’abstentionnisme récurrent pendant les votes aux différents sondages traitant de la confiance des citoyens envers les élus, et de leur légitimité, en passant par le phénomène des « gilets jaunes », cette « crise » (mot probablement inadapté vu le caractère irréversible des transformations environnementales à l’oeuvre) fait état de symptômes de plus en plus nombreux en France. 2009-2019 : la crise de la confiance politique (PDF, 1,53 Mo) Il se pose ainsi une triple question : la démocratie est-elle un cadre adapté face à l’ampleur de ces enjeux ? A l’inverse, quel serait l’impact d’un tel changement climatique sur la démocratie ? Ne serait-ce pas l’occasion d’écologiser la démocratie ? Plus qu’une boite à outils où piocher une ou deux solutions miracle à appliquer, cette note a pour ambition de nous permettre de réfléchir à des principes pour à la fois renforcer la démocratie et tenir l’ambition climatique et écologique. Elle vise à dépasser l’opposition entre démocratie et écologie pour montrer comment ces deux questions s’influencent mutuellement et que l’on ne se situe pas dans une relation linéaire du type : trouver le bon régime politique pour mettre en oeuvre les bonnes politiques environnementales. De nouvelles pratiques ou évolutions démocratiques peuvent mieux répondre aux enjeux écologiques, mais la réalité écologique (l’Anthropocène) va aussi avoir des impacts sur notre régime politique, et notre capacité à s’y adapter. Cette note aborde ainsi successivement : – un bref rappel sur les questions sémantiques et de définition (partie I, complétée en annexe), l’utilisation des termes de liberté et de démocratie était assez flou notamment pour des sceptiques ou déçus de la démocratie ; – les tensions et les convergences entre les enjeux climatique et démocratiques (partie II) ;. – les impasses d’une réponse à la crise écologique par « l’autoritarisme ou dictature verte » (partie III) ; – l’existence de nouvelles mobilisations écologiques qui interpellent la démocratie (partie IV), – des orientations possibles (partie V) pour tenter d’articuler transition écologique et approfondissement démocratique et faire de l’écologie une opportunité, parmi d’autres, du renouvellement démocratique.Note
Gouverner la transition écologique : démocratie ou autoritarisme – Télécharger la note « Gouverner la transition écologique : démocratie ou autoritarisme »