Alors que les Français n’ont jamais payé leur essence aussi cher, le groupe pétrolier Total a dévoilé vendredi 10 février, pour l’exercice 2011, des bénéfices nets astronomiques de plus de 12 milliards d’euros (+16%) pour un chiffre d’affaires d’affaires qui a lui aussi grimpé de 16 % à 184,7 milliards d’euros. Cette nouvelle envolée est liée aux cours très élevés du pétrole brut l’an dernier, le prix moyen du baril de Brent ayant grimpé de 40 % à 111,30 dollars.
L’annonce de ces bénéfices records provoque, comme chaque année, un déluge de critiques. Le candidat du Front de Gauche à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon s’est montré le plus virulent, appelant à la « nationalisation » de Total, qu’il a accusé d’accumuler ses profits « sur le dos des Français qui voient chaque jour le prix de l’essence s’envoler ». L’ex-ministre de l’Industrie et député UMP Christian Estrosi a lui-même regretté que Total « ne paye en France que 2,5 % d’impôt sur les sociétés », quand des PME « payent plus de 30 % d’impôt sur leur bénéfice ». L’association de consommateurs UFC estime de son côté que « la recherche et la réalisation de profits ne sont pas critiquables en soi » mais que « les niveaux faramineux atteints dans ce secteur sont une réelle source d’interrogation », en appelant à la mise en place d’une « régulation » du secteur. « Nous menons une politique de qualité et donc de prix plutôt chers (…) Mais je suis toujours surpris que l’on nous reproche nos prix. Si tout le monde était au même prix, il n’y aurait plus de concurrence », répond Christophe de Margerie, PDG de Total, dans une interview publiée samedi par Le Parisien. Concernant la faiblesse de l’imposition en France, il assure dans cet entretien que Total a toujours payé « des impôts conséquents » en France, même si ces dernières années le groupe n’a pas payé l’impôt sur les sociétés « car Total y était déficitaire. » « Cette année, j’ai une bonne nouvelle, nous allons payer 300 millions d’impôts sur les sociétés auxquels il faut ajouter 800 millions d’autres taxes », précise-t-il. Il ajoute sur France info que l’imposition du groupe est faible car il fait « zéro pour cent de résultat en France ». « Notre activité en France est majoritairement du raffinage et le raffinage perd de l’argent (…) On ne peut pas payer des impôts sur des résultats qui n’existent pas », dit-il. « Agacé » par l’image de son groupe, Christophe de Margerie souhaite la corriger: « Total est un mythe, il faut le casser » dit-il avant de conclure: « Gagner de l’argent, ce n’est pas négatif, surtout en période de crise. C’est une chance pour notre pays ».Total : un bouc émissaire bien pratique ? …
Dans un billet publié sur le site du journal, Stéphane Lauer, journaliste au Monde, prend la défense du groupe pétrolier français : « Il est tentant de hurler avec les loups, sauf que les profits du groupe n’ont pas grand-chose à voir avec les prix pratiqués à la pompe. Autrement dit, Total ne gagne pas sa vie sur le dos des Français, mais essentiellement grâce à son métier d’exploration-production ». « Pour comprendre, poursuit le journaliste, il faut se pencher sur la décomposition du prix moyen payé en station. Sur un litre à 1,5 euro, la distribution ne représente que 10 centimes contre 50 centimes pour le prix du pétrole lui-même, 3 centimes pour le raffinage et 85 centimes pour la fiscalité. A l’arrivée, la marge moyenne pour le distributeur se limite à… 1 centime ». « En France, c’est la grande distribution, qui détient 60 % de parts de marché de la vente de carburants, qui fixe le tempo, confirme également Stéphane Lauer. Les grandes enseignes utilisent l’essence comme produit d’appel et, à intervalle réguliers, la vendent à prix coûtant, en espérant se rattraper sur ce que les clients dépenseront dans leurs magasins. Cela a pour effet de tirer les prix vers le bas et de faire de la France le pays d’Europe où le carburant hors taxes est parmi les plus bas ». « Total prête d’autant plus le flanc aux critiques, que sur ses 12 milliards d’euros de profits, le groupe affiche un bénéfice de 1 milliard dans le marketing (dont la distribution). En fait, la France représente moins de 15 % de ces profits, qui sont principalement réalisés sur les bitumes, les lubrifiants, le vrac (fuel pour les entreprises). Pour les stations proprement dites, Total fait comme les autres, en tentant de se rattraper sur les produits annexes : alimentation, lubrifiants, gadgets etc ». « Face à cette équation économique compliquée, les compagnies pétrolières étrangères jettent l’éponge en se retirant progressivement du marché français. N’est-ce pas ce que devrait faire Total, finalement ? Les 4000 stations sont une vitrine, qui ne rapporte pas grand-chose, à part une image déplorable du fait d’une pédagogie impossible » conclut Stéphane Lauer.… ou un loup aux pratiques scandaleuses ?
C’est bien un autre point de vue que défend Thomas Porcher qui publie « L’indécence précède l’essence : enquête sur un Total scandale » aux éditions MAX MILO. Docteur en économie, professeur en marché des matières premières à l ESG-MS, chargé de cours en économie internationale à l’université Paris-Descartes et spécialiste du pétrole, Thomas Porcher a travaillé pour le compte de l’Union européenne et de sociétés pétrolières [[Il intervient régulièrement dans les médias (BFM, Canal +, C dans l’air, La tribune, Les échos,…) et est l’auteur des livres Un baril de pétrole contre 100 mensonges (sélection au prix du livre d’économie 2009)]]. Les explications de Christophe de Margerie doivent le faire gentiment sourire. Il dévoile dans ce livre sorti cette semaine, huit pratiques scandaleuses des géants de l’essence. Parmi celles-ci, nous comprenons enfin pourquoi les pertes du groupe dans le raffinage en France sont profitables. Thomas Porcher nous explique aussi que Total ne paie pas non plus d’impôts dans les pays producteurs… Pour cela, voir l’explication en page 41. Il y a un jeu de refacturation entre filiales qui permet de présenter des comptes tout juste équilibrés et d’éviter l’imposition dans le pays pour aller échouer dans une zone fiscale plus favorable. « Finalement, en termes de détournement des règles, le dumping fiscal est aux entreprises ce que le dopage est aux sportifs » résume le sociologue Serge Guérin sur son blog.Gaz de schiste : Total ne renonce pas
Christophe de Margerie, a aussi réitéré dans son entretien au Parisien, son opposition à l’interdiction dans l’Hexagone de la fracturation hydraulique, seule technologie qui, selon lui, permettrait d’exploiter les ressources de gaz de schiste. « C’est en augmentant la production qu’on arrive à la fin » à contenir les prix du pétrole, y compris en extrayant gaz et huiles « non conventionnels », a-t-il défendu. Sur ce point je vous invite à lire notre dossier en cliquant ici. Et la aussi, je le dis sans détour, c’est un Total scandale…
L’indécence précède l’essence : enquête sur un Total scandale
Cela ne m’étonne même plus, de nos jours les grandes compagnies nous pompent sans qu’on puisse dire quelque chose et ce sont nous consommateurs qui trinquons !
Très bon ouvrage que je conseille à tous !