Marizette, Christiane, Pierre, Léon, José… sont quelques uns des acteurs, drôles et émouvants, d’une incroyable lutte, celle des paysans du Larzac contre l’Etat, affrontement du faible contre le fort, qui les a unis dans un combat sans merci pour sauver leurs terres. Un combat déterminé et joyeux, mais parfois aussi éprouvant et périlleux.
Tout commence en 1971, lorsque le gouvernement, par la voix de son ministre de la Défense Michel Debré, déclare que le camp militaire du Larzac doit s’étendre. Radicale, la colère se répand comme une trainée de poudre, les paysans se mobilisent et signent un serment : jamais ils ne cèderont leurs terres. Dans le face à face quotidien avec l’armée et les forces de l’ordre, ils déploieront des trésors d’imagination pour faire entendre leur voix. Bientôt des centaines de comités Larzac naitront dans toute la France… Le film retrace dix ans de résistance, d’intelligence collective et de solidarité, qui les porteront vers la victoire. Voici la bande annonce : Tous au Larzac est diffusé par le distributeur AD VITAM. Pour connaître la liste des cinémas projetant ce film cliquez ici.Extraits
Cette lutte, qui s’étend sur 10 ans, quasi le temps d’une génération, est une incroyable saga collective, pleine de bruit et de fureur, de rebondissements et de sursauts, de fulgurances et de découragements, d’engueulades et de moments de joies indicibles, et au bout du compte une marche chaotique inconsciente vers la constitution d’une communauté qui transcende de beaucoup les objectifs initiaux de la lutte. Mais cette oeuvre collective s’appuie d’abord sur des individus, sur des personnalités, souvent fortes, des têtes de cochon, des modérateurs, des stratèges, des orateurs, des fonceurs, des conciliateurs, qui pour la plupart se sont révélés aux autres et à eux-mêmes pendant la lutte. Dans ce film vous retrouverez ainsi les témoignages de LÉON MAILLE, PIERRE ET CHRISTIANE BURGUIÈRE, MARIZETTE TARLIER, MICHEL COURTIN, JOSÉ BOVÉ, CHRISTIAN ROQUEIROL, PIERRE BONNEFOUS, MICHÈLE VINCENT :Note d’intention
Par le réalisateur Christian Rouaud LE PAYSAGE COMME PERSONNAGE Quelques hameaux, une centaine de fermes à l’architecture très typée, bâties en pierres du Causse, des maisons aux voûtes superposées et aux toits de lauzes. Certaines de ces fermes superbes, avec d’immenses bergeries qui évoquent des nefs d’églises romanes. Le paysage est bosselé, un peu lunaire, parsemé de roches fantasmagoriques travaillées par des siècles d’érosion. Les vents quasi permanents, la neige et les grands froids d’hiver, le temps souvent frais les soirs d’été après des journées accablantes de soleil, font que ces espaces caussenards sont décrits par les uns comme inhospitaliers, et par les autres comme splendides et étrangement attachant. On raconte des histoires de voyageurs tombant en panne de voiture sur le Larzac et qui n’en repartent plus… Une terre austère en tout cas qui fait irrésistiblement penser à des images de western. D’ailleurs Pierre Burguière évoque avec délectation la venue de « Petite Plume », actrice indienne que Marlon Brando avait envoyée à Hollywood refuser son Oscar pour attirer l’attention sur le sort fait aux Indiens d’Amérique, et qui était passée sur le Larzac en 1973. En compagnie d’un autre Indien elle était montée sur un rocher à l’entrée de la Blaquière, s’était assise en tailleur, et, contemplant le paysage, avait dit “C’est chez nous !” La lutte du Larzac, au-delà de la menace sur l’outil de travail des paysans, c’est l’histoire de la défense d’un territoire, d’un espace de vie, d’un paysage. Il suffit d’arpenter un peu le plateau pour comprendre à quel point ses habitants, installés là depuis des générations ou nouveaux venus, ne pouvaient y renoncer sans se battre. Rarement un conflit social aura été à ce point ancré dans une terre, rarement un lieu de lutte aura attiré tant de gens sur quelques kilomètres carrés. L’histoire ne pouvait être racontée qu’ici, sur les lieux mêmes de l’action, y compris les escapades parisiennes en tracteurs, à pied ou en bateau-mouche. Car même si on allait de temps à autre se rappeler au bon souvenir de l’ennemi dans sa capitale, c’était pour mieux revenir résister là où la menace de l’armée était quotidienne. Trente ans après, les lieux portent encore les stigmates de la lutte: « Gardarem lo Larzac » peint sur une citerne rouillée, “l’armée tue” sur un bâtiment du camp, la trace des écussons des régiments que les soldats peignaient sur les murs de la ferme de Cavaillès pour tromper leur ennui. L’arbre où ils avaient installé leur mirador est encore debout, la ferme « sauvage » en bois est là aussi, témoignage branlant de sa précarité, bref le décor est prêt pour le récit. Les rochers du Rajal où ont eu lieu les grands rassemblements, la superbe bergerie de la Blaquière, la maison des Guiraud, le Cun, les Truels, le bâtiment des domaines dans le camp militaire, la tombe de Guy Tarlier, avec le banc de pierre pour s’y asseoir à plusieurs, tous ces lieux parlent et soutiennent la narration par leur présence autour des personnages. C’est pourquoi les séquences s’articulent autour des décors, comme pour la visite, guidée par le récit, d’un espace encore habité par les bruits et les clameurs de la lutte. Ici le paysage réel nourrit le paysage mental, il fabrique de l’imaginaire tant et plus. Il est à mes yeux un des personnages du film. ET C’EST PAS TRISTE… Le système nous veut triste et il nous faut arriver à être joyeux pour lui résister, disait Gilles Deleuze. Je voulais que “TOUS AU LARZAC” soit un film gai, et, malgré les enjeux dramatiques, un film léger. D’abord parce que la lutte est souvent réjouissante, c’est particulièrement vrai pour celle du Larzac, dont certains épisodes font irrésistiblement penser à Guignol et Gnafron rossant le gendarme. Nombreux sont d’ailleurs les protagonistes qui avouent le plaisir qu’ils y ont pris. Mais surtout parce qu’ils en font le récit avec beaucoup de truculence et d’humour. Ils ont par rapport à ces “grands évènements” un recul, une distance ironique qui les empêcherait de se prendre pour des héros s’ils en avaient le penchant. Et ce savoureux accent aveyronnais qui les faisait acclamer dans les meetings ajoute un petit air d’espièglerie aux plus sérieuses considérations stratégiques. COMME UN GALET BALLOTTE DANS LE COURANT Ce qui reste encore mystérieux pour moi, c’est par quelle alchimie, malgré les dissensions et les affrontements internes, les paysans du Larzac ont pu non seulement rester soudés, mais renforcer leur cohésion au cours de la lutte. L’affirmation qui constituait le point de départ des Lip “On ira jusqu’au bout tous ensemble, on ne laisse personne au bord du chemin”, est sur le Larzac un point d’arrivée, après un long cheminement collectif. Tout s’y opposait, pourtant : – Les paysans, isolés sur leurs fermes, divisés entre “petits” et “gros”, traditionalistes et modernistes, “purs porcs” et “étrangers”, s’ignoraient ou se jalousaient. – Dans les Comités Larzac, se frottaient de jeunes révolutionnaires issus de mai 68 et sûrs de leurs théories, des insoumis, des militants occitans, et quelques curés pour faire bonne mesure, tous chevelus et déguisés comme pour carnaval. Entre le comité de Paris, tendance Gauche Ouvrière et Paysanne, celui de Toulouse plutôt mao, les non-violents à Montargis et les anars de Bordeaux, on se demande comment on n’en est pas venu aux mains. Leur relation avec les paysans n’a pas toujours été non plus un chemin de roses. Les comités avaient parfois l’impression d’être une force supplétive, qu’on écoutait poliment. Et il arrivait que les décisions prises en assemblées générales le soir soient effacées le lendemain après une réunion restreinte dans une cuisine de ferme. – Si l’on évoque de surcroît la personnalité imposante de Guy Tarlier, extrêmement influent mais tiraillé entre la pression des jeunes loups intransigeants et la tentation de négocier pour ne pas tout perdre, et soupçonné, à tort ou a raison, de prendre des initiatives clandestines ou des contacts secrets, on a tous les ingrédients d’un beau gâchis. Les allées et venues de Pierre Bonnefous pour réconcilier tout le monde n’expliquent pas tout. – Et pourtant, malgré le projet manoeuvrier de mini-extension du camp, qui épargnerait les 103 et sacrifierait les nouveaux arrivés, les paysans refusent tout compromis lors d’un vote final à bulletin secret qui signifie clairement “Je ne veux pas, je ne peux plus, me séparer de mon voisin, quel que soit son statut”. – Peut-être le fin mot de l’énigme réside-t-il dans la conception de la démocratie mise en oeuvre dans cette lutte, comme à Lip d’ailleurs, au même moment. Car lorsqu’un conflit interne survenait, et Dieu sait si c’était fréquent, loin de chercher la victoire d’une fraction sur l’autre, on travaillait inlassablement à une solution qui convienne à tous. On ne se satisfaisait pas d’une courte majorité pour prendre les décisions, car on savait bien que pour les appliquer toutes les forces seraient nécessaires. – Lorsqu’on en reste à une majorité de 51% contre 49%, on suscite une moitié d’aigris qui rumine, accuse et s’éloigne, inévitablement. Personne ne doit se sentir vaincu ou privé de son expression dans le débat. Cela demande du temps, c’est compliqué, de rapprocher les points de vue divergents, de réduire les contradictions, comme on disait alors. Mais quelle efficacité ! Quelle force collective ensuite dans l’action! Quel espace ouvert pour les initiatives personnelles ! Alors on discutait, longuement, un peu sur le mode de la palabre africaine, jusqu’à obtenir un consensus qui rendait le vote quasi inutile. L’idée circulait d’un groupe à l’autre, était modifiée au passage, infléchie plus loin, retravaillée ailleurs et finissait par s’imposer comme une évidence, à l’image d’un galet ballotté dans le torrent qui trouve sa forme idéale à force d’avoir été remué en tous sens par le courant. – Où prend-on le temps aujourd’hui du seul débat utile, celui qui donne à l’action collective la force des décisions prises réellement en commun ? ACTUALITÉ DU LARZAC Ce film est une donc une invitation à porter un regard neuf sur les années 70, qui ont vu toute une génération tenter de mettre en pratique les rêves de mai en prolongeant une insurrection qui leur avait laissé le goût amer de l’inachevé. Je voudrais que cette histoire, on puisse s’en nourrir pour regarder notre monde, ici et maintenant. Ce qui a caractérisé les luttes de cette période, n’est pas, comme on l’a dit parfois, le dogmatisme gauchiste, mais au contraire une incroyable liberté d’invention et de ton, une fierté, une insolence, une imagination sans bornes. Cette capacité à inventer des moyens inédits de se défendre collectivement nous fascine car elle semble faire défaut aujourd’hui, ou tout au moins souffrir sous le boisseau des structures mentales anciennes, des modes médiatiques, de la résignation et du découragement aussi. Dans cette mesure, le Larzac nous parle de nous aujourd’hui. Il y a dans cette histoire matière à rêver d’une société où il est possible de dire non à l’inacceptable, où il est possible d’imaginer ensemble, où l’individu trouve sa place dans une communauté vivante qui ne fait pas de lui un simple exécutant de décisions prises forcément au-dessus de lui. Il ne s’agit pas là de proposer un modèle, l’histoire ne repasse pas les plats. Rien n’est transposable, le monde va si vite. Quant aux “modèles” qu’on a prétendu nous faire suivre naguère, ils ont fait faillite, quand ils ne se sont pas terminés en bain de sang. Il s’agit modestement, à travers le récit d’une lutte longue et terrible, de laisser monter en nous la petite musique de la connivence, de vibrer avec les acteurs, de craindre avec eux, de rire avec eux, de s’immiscer dans l’intimité d’un groupe qui invente. Ils l’ont fait, c’est donc possible ? S’il y a une actualité du Larzac, c’est là qu’elle se trouve à mes yeux. Dans ce que cette histoire peut remuer en nous, dans la force subversive dont elle est porteuse. À chacun d’en faire, ou non, son miel.Le Larzac s’affiche
Au cours de toutes ces années, le Larzac a peu à peu dessiné l’image d’un combat dont témoignent la centaine d’affiches rassemblées dans un livre de Solveig Letort intitulé Le Larzac s’affiche et publié aux éditions Le Seuil. Réalisées dans l’enthousiasme, ou la rage parfois, elles ont le mérite de mettre à jour une formidable énergie créative et une belle aventure humaine. Dans la préface de ce livre, Stéphane écrit : « Pour la terre qui fait vivre, contre les armes qui tuent. La résonance universelle de ce qui est ainsi affirmé dans ce lieu singulier. L’ambiance prophétique qu’on y ressent quant à l’humanité à promouvoir. Oui, l’expérience des luttes du Larzac joue un rôle très particulier dans notre mémoire. Elle ouvre les coeurs à une émotion communicative. C’est comme si elle nous incitait à aborder avec plus de confiance et plus de détermination les défis vécus comme graves. De l’humanisme dont cette expérience porte la marque nous savons que nous avons plus que jamais besoin. »