Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl – Ukraine, explose. On ignore l’étendue réelle des conséquences humaines de cette catastrophe. Aujourd’hui, 1,4 millions de personnes, dont 260 000 enfants, vivent en zone contaminée. Quelle est la situation démographique de ces zones, et quels sont vraiment les problèmes de santé rencontrés ? Réponse avec Yury Bandajevski dans ce livre publié en France aux éditions Yves Michel.
A trente ans en 1987, Yury Bandajevski est le plus jeune professeur de médecine de toute l’Union Soviétique. Après la catastrophe de Tchernobyl, il quitte Grodno et part fonder à Gomel, Biélorussie, au coeur des zones les plus contaminées, un institut de médecine. Dans cet institut, en moins de 10 ans, seront soignés des milliers de patients, formés des centaines de médecins, soutenues nombre de thèses d’état et conduits de nombreux. Yury Bandajevski et son équipe découvrent, décrivent et analysent les syndromes dus à l’incorporation chronique d’éléments radioactifs à durée de vie longue, découverte dont certains scientifiques pensent qu’elle vaudra au Pr Bandajevski le prix Nobel de médecine. Dans un environnement scientifique international où les travaux sur les conséquences néfastes de l’exposition à la radioactivité sont difficiles, dans une République biélorusse prenant au cours des années 90 la figure d’une réelle dictature post soviétique, Yury Bandajevski s’exprime publiquement sur le devoir d’honnêteté d’information et de secours aux populations victimes de Tchernobyl, donne des informations précises sur le drame sanitaire en cours et à venir. Il est recteur de l’Institut de médecine de Gomel pendant 9 ans jusqu’à son arrestation en 1999 qui a déclenché une mobilisation internationale. Il a été très rapidement adopté comme prisonnier d’opinion par Amnesty International et soutenu par l’office of the United Nations High Commissioner for Human Rights. Son emprisonnement, dans des conditions propres à une dictature, déclenche une mobilisation internationale. Son épouse et collègue, le Dr Galina Bandajevskaya reçoit pour lui le « passeport pour la liberté » n°25 délivré par le parlement européen. A la veille du XXe anniversaire de la catastrophe le 25 avril 2006 Yury Bandajevski, membre de plusieurs académies scientifiques dans le monde, citoyen d’honneur de nombreuses villes françaises, est libéré et interdit de séjour en Biélorussie. Il travaille en France 17 mois accueilli par la ville jumelée avec Gomel, Clermont-Ferrand, puis décide de retourner agir dans les zones contaminées par l’accident de Tchernobyl : les pays baltes, appelé par l’université de Vilnius puis en Ukraine, à Kiev, appelé par le grand syndicat des liquidateurs et de leurs familles. A Kiev, sans financement institutionnel jusqu’à ce jour, il fonde le Centre de coordination et d’analyse Ecologie et Santé. Son charisme allié à son autorité morale et scientifique lui permet de mobiliser nombre d’acteurs à qui s’associent activement à la mise en oeuvre du Modèle intégré de système de vie dans un territoire contaminé par la radioactivité. Des parlementaires européens lui manifestent leur soutien actif et travaillent actuellement à essayer de mettre en oeuvre d’un financement du Centre par l’Union Européenne. Écrit par des scientifiques travaillant depuis 25 ans en zones contaminées, cet ouvrage coordonnée par Yury Bandajevski et publié aujourd’hui aux éditions Yves Michel poursuit deux objectifs : – donner aux lecteurs des informations exactes, à jour, de source citée identifiée et fiable sur les conséquences de Tchernobyl sur la santé et la démographie ; – proposer un plan d’action visant à améliorer l’état de santé des populations vivant dans des zones contaminées, nommée modèle de système de vie dans un territoire contaminé par la radioactivité. Un livre éclairant à l’heure où une catastrophe nucléaire est en route au Japon. Un bon complément à la soirée thema diffusée mardi 26 avril sur Arte (pour en savoir plus cliquez ici). Tchernobyl, 25 ans après de Yury Bandajevski – Editions Yves Michel – Date de publication : 26 avril 2011 – 84 pages – ISBN : 978 2 36429 000 6 – Prix public : 5 € Extrait : L’état de santé des liquidateurs de l’accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl et de la population touchée par la radioactivité Cet extrait est issu du Tchernobyl, 25 ans après de Yury Bandajevski et publié en France par les éditions Yves Michel : Au cours des vingt-cinq dernières années, on observe, une constante détérioration de la santé de la population des territoires touchés par la catastrophe de Tchernobyl. En Biélorussie, entre 1990 et 1999, la morbidité a augmenté de 43%. Elle est liée dans une grande mesure aux maladies cardiovasculaires et aux cancers . Dans les années 2000, la situation n’a pas changé, la morbidité totale, tout comme la morbidité liée aux maladies cardio-vasculaires et aux cancers, continue d’augmenter. Une situation similaire est observée en Ukraine. 3.1. Les maladies cardiovasculaires L’évolution de l’incidence des maladies cardiovasculaires est marquée par une croissance continue. En Biélorussie, entre 1980 et 1994, l’incidence des maladies cardiovasculaires initiales a augmenté de 5,5 fois, tandis que l’incidence globale des maladies cardiovasculaires a augmenté de 4,2 fois. La croissance continue de cette incidence est observée dans les territoires contaminés par des radionucléides, et, à partir de 1988, le taux enregistré dans la région de Gomel est l’un des plus élevés de la République de Biélorussie. Par ailleurs, il faut souligner une augmentation des maladies cérébrovasculaires. Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de mortalité chez les adultes. En Biélorussie, en 1997, la proportion des maladies cardiovasculaires parmi les causes de mortalité était de 50,4%, de 51,9% en 1998, et de 52,9% en 1999. En 2009, le nombre de décès provoqués par les maladies cardiovasculaires a augmenté de 2,9% par rapport à 2008, et s’élève à 54% du nombre total de décès. En Ukraine, les maladies cardiovasculaires sont la cause de 67,8% des décès en 2007. Cette pathologie provoque presque 80% de décès des personnes âgées de 60 ans et plus. Dans le même temps, les maladies cardiovasculaires sont également une cause extrêmement fréquente de décès prématurés parmi les actifs. La principale cause des décès dus aux maladies cardiovasculaires est la maladie coronarienne (63,7% pour l’ensemble de la population, 57,2% chez les actifs), suivie par les maladies cérébrovasculaires. Parmi les causes d’entrée en invalidité, la proportion des maladies cardiovasculaires s’élève à 40,2%. Le nombre total des personnes en invalidité à la fin de l’année 1999 s’élevait à 4,1% de la population totale en Biélorussie. Les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de mortalité chez les liquidateurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl. 3.2. Les cancers Au cours de ces trois dernières décennies en Biélorussie, on observe une augmentation continue de l’incidence des tumeurs malignes]. La plus forte augmentation de ces cas est enregistrée dans la région de Gomel. Parmi les habitants des territoires touchés par l’accident de Tchernobyl, on observe une augmentation significative des cancers du poumon, du côlon, du rectum, de la vessie, des reins et du cancer du sein. Ces organes sont directement liés à la présence et à l’élimination du Cs-137. La rapidité du développement des tumeurs malignes dans tous les organes, notamment le poumon, l’estomac, le rein, la vessie est d’une manière certaine plus importante chez les liquidateurs de la centrale nucléaire de Tchernobyl que dans d’autres groupes de population en Biélorussie. Dans les territoires ayant une densité de contamination par Cs-137 supérieure à 555 kBq/m2, l’accroissement annuel moyen du nombre de cancers du sein était de 32,7%, tandis que dans le groupe témoin et chez les femmes vivant dans les zones avec une densité de contamination par Cs-137 de 37 à 185 kBq/m2, l’incidence de cancer du sein augmentait en moyenne chaque année de 1,2% et 5,7% respectivement. Le taux d’entrée en invalidité pour cause de tumeurs confirme l’incidence croissante des maladies oncologiques, qui sont d’une façon ou d’une autre provoquées par les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl. Ces dernières années, les plus forts taux d’entrée en invalidité de la population adulte pour cause de cancer sont enregistrés dans les régions d’Ukraine contaminées par la radioactivité : les régions de Jitomir, Kiev, Tchernigov, Rivne, etc. Si, jusqu’en 2000, les liquidateurs de l’accident de Tchernobyl dominaient parmi les personnes reconnues invalides suite à cet accident, aujourd’hui le groupe le plus nombreux des invalides de Tchernobyl est constitué par des personnes vivant dans les territoires contaminées. Chez les adultes devenant invalides suite à l’accident de Tchernobyl prédominent ceux qui ont des tumeurs (premièrement les tumeurs du système gastro-intestinal, suivis par les tumeurs du système respiratoire, de la thyroïde, et, en quatrième position, la cancérohématologie). Nous trouvons ensuite les personnes entrant en invalidité pour cause de maladies cardiovasculaires, de maladies du système nerveux, de troubles endocriniens et maladies du système gastro-intestinal. Les études de ces dernières années témoignent du développement des hépatites chroniques et des cirrhoses du foie comme conséquences à long terme de la catastrophe de Tchernobyl. La plus grande préoccupation de la communauté internationale concernait l’augmentation de l’incidence de cancer de la thyroïde qui est apparue dans les années qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl. L’incidence de ce cancer dans la région de Gomel en 1997 a été de 9,2 cas pour 100 000 habitants, le taux de croissance en comparaison avec la période d’avant l’accident s’élevait à 513%. En général, en Biélorussie le nombre des cancers de la thyroïde détectés pour la seule année 1998 était 2 à 2,5 fois supérieur au nombre de patients identifiés en 1990. L’incidence du cancer chez les enfants et les adolescents (jusqu’à l’âge de 19 ans) a augmenté de 0,1 pour 100 000 enfants en 1986 à 2,5 en 1998, soit de 25 fois. L’incidence du cancer de la thyroïde a augmenté de 4 fois chez les personnes de plus de 18 ans, passant de 2,0 en 1986 à 8,4 en 1998 pour 100 000 personnes. De 1986 à 1999 en Biélorussie, 6 030 cancers de la thyroïde ont été diagnostiqués, dont 1 083 chez des enfants et adolescents. Au cours de la période 1986-2004, le cancer de la thyroïde a été diagnostiqué chez 2 500 enfants. Le plus grand nombre de patients atteints du cancer de la thyroïde se trouvent dans la région de Gomel. Par ailleurs, l’incidence maximale a été enregistrée en 1991 (54% de tous les cancers de la thyroïde dans l’ensemble du pays). Dans la région de Brest, le cancer de la thyroïde est apparu moins fréquemment (23%), et uniquement chez les habitants de trois districts, Pinsk, Stolin et Luninetsk. Il faut souligner que c’est précisément dans ces régions que le césium radioactif a été enregistré dans le lait à partir de 1963. La majorité des enfants chez qui le cancer de la thyroïde a été détecté n’avaient pas plus de 3 ans au moment de l’accident de Tchernobyl. En Ukraine, l’augmentation de l’incidence du cancer de la thyroïde dans la population vivant dans les territoires contaminés est apparue dès 1987. Mais si l’incidence observée avant l’accident (1980-1986) s’établissait à 1,2 pour 100 000 habitants, après l’accident celle-ci augmentait rapidement : de 2 fois entre 1987 et 1991, de 4,5 fois entre 1992 et 1996, et de 8,3 fois entre 1997 et 2001. L’apparition du cancer de la thyroïde est en général associée à l’exposition à l’iode 131, radionucléide à demi-vie courte, qui a un tropisme important pour la glande thyroïde. Cependant, même si le rôle prépondérant de l’iode radioactif dans l’induction du cancer de la thyroïde est reconnu, le lien entre la fréquence de ce dernier et la densité de contamination par Cs-137 dans la zone de résidence a également été observé. La capacité de la glande thyroïde à accumuler de manière intense le césium radioactif est prouvée. Il faut cependant souligner que l’incidence du cancer de la thyroïde augmentait déjà avant même l’accident de Tchernobyl, en 1986. En particulier, une forte augmentation de l’incidence de ce cancer a été observée au milieu des années 1970. 3.3. La santé des enfants L’état de santé des enfants dans les régions touchées par l’accident de Tchernobyl se détériore progressivement. Dans la période post-Tchernobyl, l’incidence de pratiquement tous les types de maladies a augmenté. Par ailleurs, si entre 1988 et 1996 la morbidité pédiatrique a augmenté de 30,2% en Biélorussie, cette augmentation a atteint 101,8% dans la région de Gomel. L’augmentation la plus flagrante concerne les pathologies du système endocrinien, du système gastro-intestinal, du système nerveux et les maladies infectieuses et parasitaires. L’incidence des tumeurs malignes a été multipliée par deux au cours de la période 2001-2008 et reste dominée par le cancer de la thyroïde. Dans la même période, une augmentation de l’incidence primaire des anomalies congénitales et des malformations a été mesurée. Il faut noter que l’incidence des malformations congénitales à Nous pouvons constater une détérioration progressive de la santé des habitants de la Biélorussie et de l’Ukraine, à partir des années 1970, coïncidant avec une période d’exposition intense à des agents radioactifs et, surtout, au Cs-137. Toutefois, l’existence d’un lien de causalité entre ces deux phénomènes n’a pas été reconnue par la science médicale officielle de l’URSS. Leurs conclusions indiquaient que l’accumulation de Césium-137 et de Strontium-90 dans les aliments de base est telle que, lorsqu’ils entrent dans le corps humain, elle ne peut pas provoquer de modifications pathologiques importantes des organes et systèmes vitaux. Le rôle de Cs-137 dans la formation des processus pathologiques dans le corps humain n’a pas été reconnu même après l’accident de Tchernobyl. Seul un très grand nombre de cancers de la thyroïde a obligé la communauté médicale internationale, notamment l’Organisation Mondiale de la Santé, à reconnaître le lien entre l’apparition de cette maladie et la catastrophe de Tchernobyl, mais en ne prenant en compte que les effets de l’iode 131 qui a une demi-vie courte. Cependant, les raisons du développement aussi rapide de ce type de cancer (3-4 ans après la catastrophe de Tchernobyl) n’ont pas été étudiées. Au niveau officiel, les organisations internationales de santé, en particulier l’Organisation Mondiale de la Santé, concluent négativement concernant le lien entre l’incorporation de Cs-137 dans le corps humain et le développement ultérieur de processus pathologiques et maladies.