Il faut aller voir au cinéma le beau film initiatique du réalisateur Pedro González-Rubio qui a reçu de nombreux prix à travers le monde. C’est l’histoire d’une scientifique et d’un pêcheur mexicain qui s’aiment follement pendant quelques années, avant qu’elle ne décide d’aller vivre à Rome avec leur jeune fils Natan. Entre documentaire et fiction, Alamar décrit les retrouvailles de Jorge et de son fils au Mexique pour quelques jours de vacances. Tous deux embarquent en pleine mer destination Banco Chinchorro, l’une des plus grandes barrières de corail de la planète, inscrite en 1996 réserve naturelle de Biosphère par l’UNESCO. Dans ce cadre idyllique, un lien complice se resserre entre le père et son fils (qui le sont dans la vie). Mais c’est aussi un beau voyage écologique.
Alamar ramène la fragilité du bonheur familial à la fragilité du monde qui l’abrite. Ce qui laisse dire à Thomas Sotinel du Monde, rappelant que la barrière de corail mexicaine est menacée, « à moins d’un miracle, ce beau film sera dans quelques années ce que le Nanouk, de Flaherty, est aujourd’hui au mode de vie des Inuits du siècle dernier, la trace de vies disparues ». Pour Cécile Mury de Télérama, avec ce film « on navigue loin de l’écolo-béatitude, de toutes ces odes ethno-touristiques à la gloire de mère nature. Alamar réconcilie en douceur des univers qu’on a coutume d’opposer, modes de vie moderne et traditionnel, cynisme urbain contre éden menacé. Un voyage apaisé. » Alamar réalisé par Pedro Gonzalez-Rubio – Long-métrage mexicain – Durée : 01h10 – Distributeur : Epicentre Films Le film est programmé jusqu’au 7 décembre au Diagonal-Capitole (Montpellier) – au Castillet (Perpignan) – à Utopia (Toulouse) – à Utopia Saint-Simeon (Bordeaux) – aux 400 coups du 15 au 17 décembre (Chatellerault) – au Katorza (Nantes) – aux Sept Parnassiens (Paris) – au Georges Méliès (Montreuil) – à l’Espace Saint-Michel (Paris) – au MK2 Beaubourg (Paris) – à Elysées Lincoln (Paris) – au Ciné-TNB (Rennes) – au Café des Images (Herouville-Saint-Clair).Entretien avec le réalisateur Pedro González-Rubio
Quelle était votre envie initiale : filmer la barrière de corail comme toile de fond ou est-ce la rencontre entre Jorge et Natan qui vous a servi de ligne directrice ? Pedro González-Rubio : Je voulais explorer la fragilité des choses. En choisissant de filmer dans un environnement aussi fragile et de le faire d’après le point de vue d’un enfant, cela donnait une image très forte. L’image de cette barrière de corail m’est venue en remarquant à quel point la côte caribéenne mexicaine commençait à être envahie par le tourisme de masse, détruisant tout sur son passage : du mode de vie des pêcheurs à l’écosystème du lieu. Autrefois, Playa del Carmen ressemblait à l’endroit que nous avons filmé, mais maintenant, il n’y a plus de mangrove. À la place, il y a des discothèques au bord de la mer, des bars et des hôtels qui amènent toutes les commodités urbaines. Banco Chinchorro, l’endroit que vous avez choisi pour tourner ALAMAR est la barrière de corail la plus grande du Mexique et la deuxième la plus étendue au monde. Elle a été inscrite en 1996 Réserve Naturelle de la Biosphère par l’UNESCO et pourrait bientôt être nommée Site d’Héritage Mondial, avec ses milliers d’espèces uniques au monde. Pourquoi avez-vous choisi de tourner ALAMAR à cet endroit ? Pedro González-Rubio : J’ai vécu 7 ans à Playa del Carmen, sur la côte caribéenne. C’est là que j’ai tourné TORO NEGRO il y a cinq ans. Dans ce premier film, je voulais aller le plus loin possible dans l’intimité du personnage et dans ce qui l’entourait. J’ai découvert un homme très tourmenté, un récit sombre. Avec ALAMAR, j’avais envie de faire quelque chose de différent qui pouvait amener à un équilibre, comme le Ying et le Yang. ALAMAR, c’est à nouveau une histoire de famille, mais racontée d’un autre point de vue. Je voulais filmer un amour pur et inconditionnel. Au début, il s’agissait de l’histoire d’un homme qui allait passer ses derniers jours sur son lieu de naissance. Quand j’ai rencontré Jorge (le père), il m’a tout de suite fasciné mais je me suis dit qu’il était trop jeune pour un être un homme en fin de vie. En même temps, j’ai compris pourquoi je voulais filmer à cet endroit précis, avec ce personnage : je pouvais raconter une histoire sur l’amour de la nature et sur la nature que l’on porte en nous. Et puis j’ai rencontré Natan, l’enfant de Jorge. Je me suis alors rendu compte qu’il était une continuation de la vie. Le film paraît tellement réel que l’on se demande si vous vous êtes inspiré d’une histoire vraie… Pedro González-Rubio : Non, car en réalité, Jorge (le père) est guide touristique et il n’a jamais pêché de langoustes. D’ailleurs, dans le film, il ne pêche pas vraiment de langoustes… C’est ça, la magie du cinéma ! Mais, en même temps, si l’on regarde bien, l’histoire est très subtile et elle se concentre sur le quotidien. J’ai mis les personnages en situation et ensuite ils réagissaient à celles-ci selon leur propre caractère. Ils étaient très libres. Pour la traversée en bateau jusqu’à l’île, par exemple, Jorge et Natan étaient réellement malades, comme nous tous, d’ailleurs. Ce choix de fiction, très proche du documentaire, est un peu déstabilisant pour le spectateur. Pedro González-Rubio : C’est déstabilisant pour le spectateur qui prend de la distance. Mais, si ce dernier se laisse emporter, il ne se demande même plus si c’est une fiction ou un documentaire. En fait, j’aimerais ne pas avoir à le cataloguer. D’ailleurs, le film a été en compétition au Cinéma du Réel en tant que documentaire puis en compétition au festival Paris Cinéma en tant que fiction. Le mieux est de le voir tout simplement comme une expérience cinématographique. Matraca, le vieux pêcheur, est-il réellement le père de Jorge et le grand-père de Natan ? Pedro González-Rubio : Il n’y a aucun lien de sang entre eux. Un de mes amis biologiste n’arrêtait pas de me parler d’un endroit où les gens vivaient dans des maisons sur pilotis. Lorsque j’ai enfin pu m’y rendre (il est très difficile d’obtenir un visa touristique, mais avec lui, je pouvais y aller), j’ai été conquis. En voyant ces maisons, j’ai trouvé l’endroit où je voulais filmer et j’ai demandé laquelle je pouvais utiliser. Un des chefs m’a dit : « Le pêcheur qui habite une de ces maisons est mon ami ». J’ai rencontré Matraca. Il était assis en train de faire cuire des bananes. Il m’a dit oui et son sourire était merveilleux. Je n’étais pas venu faire un casting, mais j’ai su que c’était lui. Pour moi, ça a été la découverte de la simplicité du bonheur – juste boire un café, regarder les étoiles. C’est pourquoi, la chanson au début du film dit : « Il ne faut pas se presser pour arriver jusqu’ici ». Petit à petit, ça m’a travaillé inconsciemment. Je voulais amener au spectateur le rythme de la mer, la vie des pêcheurs, afin qu’il soit totalement relaxé, comme après un massage. Combien de pêcheurs vivent actuellement de cette manière ? Pedro González-Rubio : Il y a une quarantaine de pêcheurs qui vivent à cet endroit. Le reste de leur famille vit sur la côte dans différents villages ou villes et aussi dans la ville de Chetumal. Les hommes passent entre deux à trois semaines à pêcher à Banco Chinchorro. Chaque jour, ils attrapent des langoustes ou pêchent depuis leur bateau et lorsque celui-ci est plein, le capitaine prend la cargaison et va la vendre. Ils sont regroupés en trois syndicats qui les aident beaucoup dans leurs activités. Ces pêcheurs et leur manière de travailler sont un héritage local. Où se trouve exactement ce lieu de pêche ? Pedro González-Rubio : C’est dans cette barrière de corail, Banco Chinchorro, qui se trouve à trente kilomètres de la côte. Le village le plus proche s’appelle Mahaual, il se situe entre le récif et Chetumal qui est juste au Nord du Belize. Depuis Mahaual, il faut deux heures de bateau pour accéder à ce récif, à ces maisons appelées « palafittes ». Cet endroit peu peuplé était idéal pour suivre des personnages et regarder grandir leur relation. Nous avons fait deux voyages jusqu’à cet endroit et au deuxième voyage, un oiseau est arrivé, une aigrette, parce qu’il y avait beaucoup de cafards dans la cabane et elle les chassait (les aigrettes mangent les poux du bétail). Jorge a beaucoup de connaissances en ornithologie. Il est aussi très mystique. Alors, lorsque l’on associe cette passion scientifique avec ce mysticisme, cela donne une personne pouvant avoir un lien très fort avec cette aigrette. Lorsque l’aigrette est revenue pour la seconde fois, c’était comme un miracle. Si j’étais arrivé avec un scénario abouti, je n’aurais jamais regardé cet oiseau. J’aurais dit : « L’oiseau va se poser. Allez, on retourne au tournage ». Mais là, je prêtais attention à chaque petit signe que la nature m’amenait. Lorsque l’oiseau s’en est allé, j’ai pensé que c’était parfait. C’était parfait d’aller chercher Blanquita sans pour autant la retrouver. Je savais que nous n’allions plus la revoir, mais Natan ne le savait pas. Alors, j’ai dit à Natan : « Allons chercher Blanquita ! » Et il y a vraiment cru. Quelles ont été vos sources d’inspiration pour ce film ? Pedro González-Rubio : Les films qui m’ont inspiré pour le tournage d’ALAMAR sont notamment En attendant le bonheur d’Abderrahmane Sissako, Le scaphandre et le papillon de Julian Schnabel, Lumière silencieuse de Carlos Reygadas et The white diamond de Werner Herzog. J’ai aussi été inspiré par la philosophie de vie et l’expérience de Kerouac et par Le Vieil homme et la mer d’Hemingway.