Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est devenu en vingt ans l’une des organisations les plus influentes du monde. Auréolée du prix Nobel de la paix en 2007, cette émanation de l’ONU est parvenue à placer son objectif, la lutte contre le réchauffement climatique, tout en haut de l’agenda politique international.
L’organisation annonce des effets désastreux : inondations, propagation de maladies, sécheresses, multiplication de catastrophes naturelles. Elle en rend responsable l’homme et sa consommation abusive de combustibles fossiles. Mais pour agiter de telles peurs, il faut être d’une solidité sans faille. Or le GIEC montre ses faiblesses : il commet des erreurs, se sert de méthodes inappropriées, utilise du personnel à contre-emploi, etc. L’ONU a par conséquent demandé à l’une des plus hautes instances académiques du monde, l’InterAcademy Council, d’enquêter sur les méthodes de l’organisation dans l’espoir de les améliorer de toute urgence. L’audit est toujours en cours. En attendant, un livre, Sale temps pour le GIEC, éminemment d’actualité à quelques jours du Sommet de Cancún, retrace l’histoire de cette organisation importante mais controversée. L’auteur, le journaliste Etienne Dubuis, propose une enquête fouillée et inédite sur le GIEC qui, par la voix de son Président Rajendra Pachauri, outrepasserait ses prérogatives. Plus que de dire seulement la science du climat, il se mêle aussi des débats politiques, allant jusqu’à faire des recommandations d’actions aux décideurs à Copenhague. Un rôle incompatible, selon l’auteur qui a été l’envoyé spécial du quotidien suisse Le Temps à Copenhague, avec la retenue dont devraient faire preuve des chercheurs soucieux de préserver leur indépendance. Les affaires Etienne Dubuis revient largement sur les affaires et notamment le « Climategate ». Rappelez-vous c’était en novembre 2009, à quelques semaines du Sommet de Copenhague : des hackers anonymes diffusaient sur Internet des milliers d’e-mails privés dont le contenu laissaient entendre que des membres du GIEC tentaient de censurer des études susceptibles de remettre en cause l’origine anthropique du réchauffement, la thèse qui légitime le groupe d’experts. Considérée comme une entreprise de déstabilisation pour discréditer les travaux du GIEC, cette affaire révèle tout de même, selon l’auteur, un communautarisme autour de la gravité du réchauffement ne supportant pas les voix discordantes. L’auteur révèle aussi comment ses membres ont assuré la survie de cet organe, quitte à noircir un peu le tableau, pour pouvoir poursuivre leur travail. Il écrit : « Les feux de Copenhague se sont à peine éteints qu’une nouvelle affaire éclate. Le 13 janvier 2010, l’un des journalistes le mieux informés sur l’actualité de la climatologie, le Britannique Fred Pearce, publie dans le magazine international New Scientist un article intitulé « Le débat se réchauffe autour du scénario de fonte des glaciers du GIEC ». Il y fait part de la gêne de nombreux climatologues devant une assertion contenue dans le dernier rapport du groupe d’experts ». […] « Les glaciers reculent plus vite dans l’Himalaya que dans n’importe quelle autre partie du monde, indique le GIEC, et si le rythme actuel se maintient, la probabilité de les voir disparaître en 2035 et peut-être plus tôt est très élevée au cas où la Terre continuerait à se réchauffer comme maintenant. Leur superficie totale va probablement rétrécir de 500 000 km2 aujourd’hui à 100 000 km2 en l’an 2035. » […] « D’où peuvent-ils bien tenir ces affirmations ? » s’interroge l’auteur qui souligne que « les glaciers himalayens font actuellement 33 000 km2 ». « C’est ennuyeux de la part d’une instance censée dire la science ». […] Mais le pire n’est pas là. Le pire n’est pas dans ces erreurs de chiffres. Il est dans la méthode utilisée ». « Aucun glaciologue, d’une part, n’a figuré dans l’équipe chargée de décrire l’évolution des glaciers himalayens. » […] « La source utilisée, d’autre part, est un rapport du WWF édité en 2005 » qui « ne peut en aucun cas être confondu avec une démarche scientifique » précise l’auteur qui estime que « Fonder un écrit du GIEC sur ce type de prose relève par voie de conséquence de la politique et non de la science. L’examen du rapport du WWF ne fait qu’accroître le malaise. La phrase contestée du GIEC se retrouve mot pour mot dans le texte de l’organisation militante. Ce qui donne très clairement à penser que son auteur s’est contenté d’effectuer un copier-coller. Enfin… à quatre mots près : le regrettable « et peut-être plus tôt » qui suit la date de 2035 ne figure pas dans le texte d’origine. A-t-il été rajouté sur un coup de tête afin de dramatiser la situation ? Mystère. Mais pour une organisation qui se targue de décrire l’évolution du climat en recourant aux meilleurs spécialistes, un tel procédé est fâcheux en termes d’image. » […] « En ce qui concerne les glaciers himalayens, il reste à savoir où l’organisation militante a elle-même trouvé la date de 2035. Le WWF, qui s’est platement excusé de son erreur dès l’éclatement de l’affaire, assure avoir tiré ce chiffre d’un article du New Scientist remontant à 1999 . Article dans lequel Fred Pearce (le monde est petit) citait le glaciologue indien Syed Hasnain. Or le chiffre n’était fondé sur aucune étude sérieuse. Lâché dans le feu d’une conversation, il n’a jamais été relayé par quelque publication scientifique que ce soit« . Au-delà de ces affaires, le livre dévoile comment est réalisé le rapport général du GIEC, fruit d’un travail colossal et de tractations avec les différentes parties prenantes (lobbys écologistes, industriels, politiques…). Enfin, l’auteur rappelle que « le changement climatique est un phénomène important, cela ne fait aucun doute. Mais il n’est pas le seul problème sur la planète. Il en est de bien plus urgents et de beaucoup plus dramatiques, qui frappent très durement et aujourd’hui même des populations entières. […] « Il existe quelque chose comme une économie de l’attention, commente Hans von Storch, du centre de recherche GKSS à Geesthacht. Si nous accordons beaucoup d’importance au changement climatique, nous négligeons forcément d’autres sujets. » Et ce n’est pas là qu’une vue de l’esprit. On se souvient de la conférence désertée de la FAO quelques semaines avant Copenhague. Le succès du GIEC est dévorant. Si la lutte contre les gaz à effet de serre a véritablement pour objectif le bien-être de l’homme, elle ne doit pas affaiblir le combat à mener contre d’autres fléaux globaux comme la misère et la faim ». Et Etienne Dubuis de conclure : « Car il est juste d’ajouter à ses craintes le souci du présent. Juste de ne pas laisser ses hypothèses nous détourner de la réalité. Juste de donner leur importance aux vivants. Ici et maintenant ». Ce livre est passionnant, il ouvre le débat sans remettre en question la certitude d’un réchauffement climatique à l’image des climato-sceptiques. La question est toute autre. Au-delà du cas du GIEC, l’auteur s’interroge sur la place de la science dans la société. N’en attendons-nous pas trop aujourd’hui ? Que sommes-nous en droit d’espérer d’elle face à des problèmes complexes comme le climat ? A quelles questions peut-elle répondre et ne peut-elle pas répondre ? Jusqu’où doit aller le pouvoir des scientifiques et à partir de quel moment la décision revient-elle aux citoyens ? Références Sale temps pour le GIEC de Etienne Dubuis – Editeur : Favre – 184 pages – ISBN : 978-2-8289-1171-3 – prix public : 13 €