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A l’occasion du 5ème Forum mondial de l’eau organisé à Istanbul

L’eau dans un monde qui change, le nouveau Rapport mondial des Nations Unies

La pression sur les ressources en eau s’accroît

L’augmentation de la demande, liée notamment à la croissance et à la mobilité de la population, à l’évolution des modes de consommation et aux besoins accrus en énergie, ainsi que les effets déjà perceptibles du changement climatique font peser sur les ressources en eau une pression toujours plus grande. C’est ce qui ressort de la troisième édition du Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau, qui sera rendu public à l’occasion du 5ème Forum mondial de l’eau organisé à Istanbul (Turquie) du 16 au 22 mars.

Intitulé L’eau dans un monde qui change, ce rapport a été présenté le 12 mars lors d’un point presse organisé au siège des Nations Unies, à New York, en présence de William Cosgrove, Coordinateur du contenu du rapport. « Dans un contexte marqué par des pénuries croissantes, une bonne gouvernance est plus que jamais essentielle à la gestion de l’eau. La lutte contre la pauvreté dépend aussi de notre capacité à investir dans cette ressource », a déclaré le Directeur général, Koïchiro Matsuura, qui présentera officiellement le rapport au nom des Nations Unies le 16 mars à Istanbul. Il s’agit de l’évaluation des ressources mondiales en eau douce la plus complète à ce jour. S’appuyant sur les conclusions des deux premiers rapports, présentés à Kyoto (Japon) en 2003 et Mexico (Mexique) en 2006, cette nouvelle édition insiste sur le rôle joué par l’eau dans le développement et la croissance économique. Elle examine par ailleurs un ensemble de sujets comme la croissance démographique, le changement climatique, la modification des écosystèmes, la production d’aliments, la santé, l’industrie et l’énergie, ainsi que les biocarburants ou encore l’importance des eaux souterraines. Des études de cas portant sur certaines villes, régions ou pays (Istanbul, Cameroun, Espagne, Pays-Bas, Soudan, Swaziland et les bassins de La Plata et du lac Merin) complètent cet ouvrage. Ce document s’inscrit dans un projet d’évaluation mondial visant à mesurer les progrès réalisés à l’aune des objectifs du Millénaire pour le développement. Dans la Déclaration du Millénaire des Nations Unies, adoptée en 2000, la communauté internationale s’est engagée à réduire de moitié, entre 2000 et 2015, la proportion de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable et à mettre fin à l’exploitation irrationnelle des ressources en eau. Coordonné par le Programme mondial pour l’évaluation des ressources en eau (WWAP), le rapport est le fruit du travail des 24 agences et entités des Nations Unies qui composent l’ONU-Eau. Il est produit tous les trois ans par le WWAP, dont le secrétariat est hébergé par l’UNESCO. Cette troisième édition sera officiellement présentée à l’ouverture du 5 ème Forum mondial de l’eau par le Directeur général de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, au nom des agences des Nations Unies.

Synthèse du rapport : l’eau dans un monde qui change

Accès à l’eau : Premier constat dressé par les auteurs du rapport : l’accès aux services de base liés à l’eau (eau potable, assainissement et production alimentaire) demeure insuffisant pour une large part du monde en développement. On estime à plus de cinq milliards (67% de la population mondiale) le nombre de personnes qui ne disposeront pas d’un accès à des installations sanitaires décentes en 2030. Dans ce contexte, la perspective d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement relatifs à l’eau et l’assainissement d’ici 2015 est à la fois prometteuse et alarmante. Si les tendances actuelles suggèrent que plus de 90% de la population mondiale utiliseront des sources d’eau potable salubre d’ici cette échéance. L’objectif du Millénaire pour le développement concernant l’eau potable est donc en bonne voie, sauf en Afrique sub-saharienne où 340 millions d’Africains ne bénéficient pas d’un accès à une eau potable salubre. En revanche, le monde est loin d’atteindre l’objectif relatif à l’assainissement. Ainsi, près de 500 millions de personnes n’ont pas accès à des installations sanitaires décentes en Afrique, parmi bien d’autres régions également en retard dans ce domaine. Le lien entre pauvreté et ressources en eau est évident : le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour coïncide approximativement avec celui des personnes qui n’ont pas accès à une eau potable salubre. Cette situation a des conséquences sanitaires majeures. On estime en effet que dans les pays en développement, 80% des maladies sont liées à l’eau et causent la mort prématurée de trois millions de personnes chaque année. A titre d’exemple, 5 000 enfants meurent chaque jour de diarrhée, soit un toutes les 17 secondes. Au total, un dixième des maladies au niveau mondial pourraient être évitées grâce à une amélioration de l’approvisionnement, de l’assainissement, de l’hygiène et de la gestion des ressources en eau. – Les pressions sur la demande : Tandis qu’une partie de la population reste privée d’un accès satisfaisant à l’eau, la demande pour cette ressource n’a jamais été aussi forte. Les prélèvements d’eau douce ont en effet triplé depuis 50 ans et les zones irriguées ont doublé pendant la même période. Ce phénomène de fond est notamment lié à la croissance de la population. Aujourd’hui de 6,6 milliards, elle augmente de près de 80 millions de personnes chaque année. Cela se traduit par une demande supplémentaire en eau de 64 milliards de mètres cube par an. Or, 90% des trois milliards de personnes supplémentaires qui viendront grossir la population d’ici 2050 vivront dans des pays en développement, pour beaucoup dans des régions où la population actuelle dispose déjà d’un accès restreint à l’eau. La croissance démographique se traduit par des besoins accrus en produits agricoles et donc des besoins croissants en eau. L’agriculture demeure le secteur le plus gourmand en eau puisqu’il représente à lui seul 70% de l’ensemble de la consommation (contre 20% pour l’industrie et 10% pour les besoins domestiques). Si rien n’est fait pour rationnaliser son utilisation dans l’agriculture, les besoins en eau devraient augmenter de 70 à 90% d’ici 2050 alors même qu’un certain nombre de pays atteignent déjà les limites de leurs ressources en eau. Parallèlement, ces dernières années ont été marquées par une évolution des modes de consommation alimentaire, qui s’est traduite notamment par une plus forte demande en viande et en produits laitiers dans les pays émergents. Or, si la production d’un kilo de blé nécessite de 800 à 4000 litres d’eau, un kilo de viande de bœuf en demande entre 2000 et 16 000 litres. On estime que le consommateur chinois qui mangeait 20 kilos de viande par an en 1985 en consommera 50 kilos en 2009, ce qui se traduira par un besoin supplémentaire en eau de 390 km3. A titre de comparaison, en 2002, la consommation de viande/habitant était de 76 kilos en Suède et de 125 kilos aux Etats-Unis. La production de biocarburant, qui s’est intensifiée ces dernières années, a également pesé de manière significative sur la demande en eau. La production d’éthanol, soit 77 milliards de litres en 2008, a triplé entre 2000 et 2007 et devrait atteindre 127 milliards de litres en 2017. Le Brésil et les Etats-Unis, qui assurent 77% de la demande mondiale, en sont les principaux producteurs. En 2007, 23% de la production de maïs des Etats-Unis et 54% de la récolte de canne à sucre au Brésil ont été utilisés pour produire de l’éthanol. Dans l’Union européenne, 47% de la production d’huile végétale a servi à produire du biodiesel en 2008. Malgré l’augmentation des surfaces consacrées à la production de biocarburants, la part de ces derniers dans l’utilisation des carburants reste faible. En 2008, la part de l’éthanol dans les carburants utilisés dans les transports est estimée à 4,5% aux Etats-Unis, 40% au Brésil et 2,2% dans l’Union européenne. S’ils permettent de réduire la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, les biocarburants, compte-tenu de la technologie déployée pour leur production, soulignent les auteurs du rapport, peuvent avoir un impact disproportionné sur l’environnement et la biodiversité parce que leurs cultures nécessitent l’utilisation de grandes quantités d’engrais et de beaucoup d’eau. Entre 1000 et 4000 litres d’eau sont en effet nécessaires pour produire un seul litre de biocarburant. Par ailleurs, les besoins en énergie se développent à un rythme accéléré, ce qui devrait accentuer également la demande en eau. On estime en effet que la demande mondiale d’énergie pourrait augmenter de 55% d’ici 2030. La Chine et l’Inde devraient représenter 45% de cette augmentation. La production hydroélectrique devrait progresser à un rythme annuel moyen de 1,7% entre 2004 et 2030, soit une augmentation globale de 60% durant cette période. Critiqués pour leur forte empreinte écologique et les déplacements de populations qu’ils occasionnent, les barrages apparaissent pour beaucoup comme une solution, dans un contexte marqué par la raréfaction des énergies fossiles et la nécessité de recourir à des sources d’énergie plus propres. C’est notamment le cas dans les pays en développement, qui disposent d’un fort potentiel dans ce domaine. – Les effets du changement climatique : La communauté scientifique s’accorde à prévoir une intensification et une accélération du cycle hydrologique à l’échelle de la planète liées au réchauffement de la planète. Cette intensification pourrait se traduire par une augmentation des niveaux d’évaporation et des précipitations. Si les effets de ces changements sur les ressources en eau demeurent encore largement incertains, on s’attend à ce que le manque d’eau ait des répercussions sur la qualité de l’eau et sur la fréquence de phénomènes tels que les sécheresses ou les inondations. En 2030, 47% de la population vivra dans des régions déjà soumises à un fort stress hydrique. En Afrique, entre 75 et 250 millions de personnes seront confrontées en 2020 à des pénuries croissantes liées au changement climatique. La pénurie que connaîtront certaines régions arides et semi-arides aura un impact décisif sur les migrations. On estime de 24 à 700 millions de personnes qui pourraient être forcées de migrer pour des raisons liées à l’eau. – Investir dans l’eau : Selon les auteurs du rapport, les pays riches ne sont pas les seuls à devoir investir dans le secteur de l’eau. La prospérité à venir dépend en partie des investissements effectués dans le secteur de l’eau. Le développement des ressources en eau est en effet un élément clé du développement économique et social. Investir dans l’eau se révèle payant à différents niveaux. On estime en effet que chaque dollar investi pour améliorer l’accès à l’eau se traduit par des gains de 3 à 34 dollars des Etats-Unis. A contrario, lorsque l’investissement est faible, le produit intérieur brut (PIB) peut en être affecté jusqu’à concurrence de 10%. Sur le continent africain, les pertes engendrées par le manque d’accès à une eau de qualité et à des infrastructures sanitaires de base sont estimées à quelque 28,4 milliards de dollars par an, soit près de 5% du PIB. L’investissement dans les infrastructures d’adduction d’eau est également payant pour l’environnement. Aujourd’hui, plus de 80% des eaux usées dans les pays en développement sont rejetées sans subir aucun traitement, polluant les rivières, les lacs, ou les rivages dans lesquels elles se déversent. Aussi rentables soient-ils, ces investissements ont aussi un coût. On estime que remplacer les infrastructures vieillissantes dans les pays industrialisés pourrait coûter jusqu’à 200 milliards de dollars par an. L’eau est l’une des questions clé, parmi d’autres, que les pays en développement doivent affronter. Pourtant, compte-tenu des bénéfices que l’on peut attendre de l’investissement dans les infrastructures liées à l’eau et du développement des capacités dans le secteur, le pourcentage du budget consacré par les gouvernements et l’aide publique à ces domaines est inadéquat. Ainsi, l’aide publique au développement allouée au secteur de l’eau dans son ensemble est en diminution et ne représente que près de 5% du flux total de l’aide. – Corruption : La corruption dans le domaine de l’eau pourrait alourdir les coûts des investissements nécessaires pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement relatifs à l’eau de près de 50 milliards de dollars. Volumes de consommation falsifiés, favoritisme dans la commande d’équipement, népotisme dans l’attribution des marchés publics sont les formes de corruption les plus répandues. Selon certaines études, jusqu’à 30% des budgets consacrés à l’eau pourraient faire l’objet de détournement dans certains pays. Pourtant, il est rare que ces pratiques soient combattues. Certains pays ont toutefois pris des initiatives pour lutter contre ce phénomène, comme l’indique le rapport qui cite plusieurs exemples. Donateurs et investisseurs sont conscients de ces pratiques et la plupart des agences d’aide au développement ont choisi de se concentrer sur des pays peu touchés par la corruption. – Mieux gérer l’eau : Confrontés à des pénuries croissantes, certains pays ont déjà commencé à intégrer leur stratégie de gestion des ressources en eau à leur plan de développement. C’est notamment le cas de la Zambie. Suite à cette intégration de l’eau dans le plan de développement national, de nombreux donateurs ont incorporé des investissements relatifs à l’eau dans l’aide qu’ils accordent à ce pays. Le projet d’Anatolie du Sud-Est (GAP) en Turquie est un projet de développement multisectoriel visant à augmenter les revenus dans cette région moins développée. Le coût total du GAP est estimé à 32 milliards de dollars. Dix-sept milliards ont été investis jusqu’ici. Les revenus par fermier ont triplé avec le développement de l’irrigation. L’électrification dans les zones rurales a atteint 90%, les taux d’alphabétisation ont augmenté, les taux de mortalité infantile ont baissé, le nombre des entreprises a doublé et un système plus juste de propriété des sols s’applique désormais aux zones irriguées. Les zones urbaines desservies par l’eau ont quadruplé. De fait, la région a cessé d’être la moins développée du pays. L’Australie a également amorcé un virage dans sa politique. Ce changement s’est traduit par différentes mesures. Des restrictions ont été mises en place (arrosage des jardins, lavage de voitures, remplissage des piscines…) dans toutes les grandes villes australiennes. A Sydney, un double système de distribution a été mis en place en 2008 avec d’une part un circuit qui achemine l’eau potable, de l’autre un circuit distribuant une eau impropre à la consommation mais disponible pour d’autres usages. Les réseaux de distribution urbains comme les dispositifs d’irrigation se révèlent largement inefficaces si on les juge à l’aune des quantités d’eau gaspillées. Dans la région méditerranéenne, on estime que 25% de l’eau acheminée dans les zones urbaines et 20% de celle qui transite par les canaux d’irrigation se perd. Or, une partie au moins de ces pertes est évitable. Des villes comme Rabat (Maroc) ou Tunis (Tunisie) sont parvenues à réduire leurs pertes de 10%. Des programmes de détection des fuites sont également expérimentés à Bangkok (Thaïlande) et Manille (Philippines). Les procédés de traitement de l’eau peuvent également permettre d’améliorer l’offre. Le recyclage des eaux usées à des fins agricoles est déjà pratiqué par certains pays. Il reste cependant limité, sauf dans les pays disposant de ressources en eau très réduites. Ainsi, 40% des besoins de Gaza (Territoires palestiniens), 15% de ceux d’Israël et 16% de ceux de l’Egypte sont couverts par le recyclage des eaux usées. La désalinisation de l’eau de mer est un autre procédé utilisé dans les régions arides. Il est utilisé pour obtenir de l’eau potable (24%) et pour les besoins de l’industrie (9%), dans des pays qui atteignent les limites de leurs ressources renouvelables (Arabie saoudite, Israël, Chypre…).

 

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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