Économique, facile à utiliser, stable à la cuisson et résistante aux changements de température, l’huile de palme a tout pour séduire les industriels, surtout dans l’agroalimentaire. Des biscuits aux gâteaux, en passant par le savon et les cosmétiques, l’huile de palme est présente dans près de 50% des produits vendus dans les supermarchés. Or, la production de cet ingrédient est associée à de nombreux problèmes environnementaux et sociaux. Les industriels de l’agroalimentaire auraient décidé de réagir « pour apporter un soutien à des processus de fabrication plus durables ». Ainsi, des géants tels que Nestlé, Findus, St Hubert, Lu France, Kraft et Cadbury ou encore Carrefour ont adhéré au programme GreenPalm créé à l’initiative du groupe AarhusKarlshamn UK Ltd (AAK), le plus gros importateur d’huile de palme du Royaume Uni. Un label de plus qui cache la forêt ou un véritable premier pas vers une production plus responsable ? Avant son arrivée en rayons début 2011, j’ai essayé d’y voir plus clair, et pour l’instant c’est pas gagné…
COMPRENDRE
L’Indonésie connaît l’un des plus importants rythmes de déforestation de la planète : l’équivalent d’un terrain de foot de forêt disparaît toutes les 15 secondes soit près de 2 millions d’hectares par an. En 1950 la foret indonésienne occupait environ 160 millions d’hectares, en 2010 il en reste moins de 48 millions. Aujourd’hui, les principales sources d’impulsion de la déforestation en Indonésie viennent de la demande internationale constamment croissante d’huile de palme. Un rapport publié en Octobre 2009 par l’UNEP indique que « deux tiers de l’expansion actuelle des cultures d’huile de palme en Indonésie est basée sur la coupe à blanc des forêts tropicales ». En effet, l’huile de palme est utilisée dans la fabrication d’un très grand nombre de produits de différents secteurs industriels: – Industrie Alimentaire : L’huile de palme est très prisée dans l’industrie alimentaire de par son prix très compétitif comparé aux autres huiles et graisses. Les dérivés de l’huile de palme sont utilisés, en général, dans la margarine, les fritures, les mayonnaises, les sauces de salade, les chips, les frites, les encas, les biscuits, les pains de mie, les gâteaux, les pâtisseries, le chocolat, les confiseries, les glaces et beaucoup d’autres produits alimentaires. Sur les emballages, l’huile de palme et ses dérivés sont souvent notés comme « huile végétale » ou « graisses végétales ». – Industrie des détergents et savons : La plupart des savons industriels et semi-industriels (souvent dit « artisanaux ») contiennent environ 80% d’huile de palme. Le savon de Marseille aussi, s’il n’est pas fabriqué à base de graisse de bœuf. L’huile de palme permet au savon de rester compact et mousseux à la fois. – Industrie Pharmaceutique : L’huile de palme à l’avantage d’être plus facilement absorbée par la peau que les autres huiles, on en trouve donc dans les crèmes hydratantes, les shampoings, les rouges à lèvres… – Industrie du cuir et du textile : L’huile de palme est utilisée pour graisser et assouplir les cuirs. Dans l’industrie textile elle est utilisée comme lubrifiant car elle a l’avantage d’être éliminée plus facilement que les huiles minérales. – Industrie du métal : L’huile de palme est utilisée d’un point de vu général pour refroidir les feuilles de métal lors de leur fabrication, ainsi que pour l’affûtage et le polissage de l’acier. – Industrie Chimique : L’huile de palme est utilisée dans la production de plastifiants et comme additif au plastiques, gommes et textiles. Elle est aussi utilisée dans le processus de production de peinture et revêtements mais aussi la production de biodiesel. – Autres industries : L’huile de palme est aussi utilisée comme un composant dans les cires de ski, les cartouches d’encre, les bougies, les insecticides, les fongicides et même dans l’industrie électronique… Pas bon pour l’environnement… De telles pratiques industrielles privent de nombreux animaux de leur cadre de vie naturel, accélèrent donc la disparition d’espèces menacées, comme les orangs-outans ou les tigres, mais aggravent également la crise climatique. À cause de cette déforestation irresponsable, l’Indonésie se classe désormais au troisième rang des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, derrière la Chine et les États-Unis. La déforestation est la 2e cause du dérèglement climatique. Pour voir l’impact de cette culture en Indonésie, je vous propose de (re)voir Green, le film documentaire du réalisateur français Patrick Rouxe qui traite de la destruction de la forêt et de l’extinction des orangs-outans : Les ONG relayées par les médias ont aussi décidé d’alerter l’opinion publique à l’image de Greenpeace qui dénonçait début 2010 Nestlé et sa marque Kitkat dont l’huile de palme est une des composantes des célèbres barres chocolatées : En 2008, le WWF-France dénonçait également l’absence d’engagement public et d’action des entreprises de la filière huile de palme pour mettre un terme à leur participation à la déforestation : … et pas si bon pour la santé Sous la pression des associations, des médias et des consommateurs, de plus en plus d’entreprises, telles que Findus ou le groupe Casino, suppriment l’huile de palme de leurs produits. Mais pas seulement pour des raisons écologiques mais aussi sanitaires, car elle est nocive pour le cœur et les artères rappelle cette semaine l’hebdomadaire Marianne. Interrogée par Anne-Sophie Michat, le Pr Irène Margaritis, chef de l’unité d’évaluation sur la nutrition et ses risques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) explique : « L’acide palmitique, présent en très grande quantité dans cette huile, est athérogène. En d’autres termes, c’est un facteur de risque cardiovasculaire ». Il contribuerait également à l’apparition du diabète de type II. Mais pas d’affolement, insiste Irène Margaritis, « comme toujours, c’est l’excès qui pose problème. Le mot d’ordre est ni trop, ni trop peu ». Or, c’est là que le bât blesse. Difficile de savoir quelle quantité on ingurgite quand les étiquettes restent muettes. Et quand, la plupart du temps, l’huile de palme se cache derrière des noms scientifiques (sodium palmate, sodium palm kernelate…). Fabienne Chauvière de France Info le rappelait à l’occasion de la sortie du livre Les Tribulations d’un consommateur ordinaire : « Dans le livre de Fred Pearce, on découvre que l’on peut être mauvais consommateur sans le vouloir. Un exemple : interpellés par la destruction des forêts par les palmiers à huile, nous sommes de plus en plus nombreux à boycotter l’ huile de palme. Malheureusement, celle-ci se cache souvent derrière l’appellation huile végétale ». En revanche, « il n’y a aucune contre-indication en cosmétique », affirme Laurence Wittner, de l’Observatoire des cosmétiques.La réponse des industriels : GreenPalm, une huile de palme « durable »
Dans un communiqué émanant de GreenPalm, l’organisme reconnait que « l’industrie de l’huile de palme est associée à la déforestation, aux émissions de dioxyde de carbone provenant de la combustion de l’huile, aux déplacements des communautés indigènes et à la destruction des habitats des espèces menacées, telles que l’orang-outan ». Cependant, il considère aussi que c’est un « ingrédient aujourd’hui incontournable » pour la fabrication de nombreux produits de consommation utilisés au quotidien. Donc la solution préconisée n’est pas le remplacement de cet ingrédient mais plutôt le soutien à « la production durable de l’huile de palme » avec un site de négoce de certificats en ligne. Selon cet organisme : « à travers la vente de certificats, GreenPalm verse directement une prime aux producteurs d’huile de palme qui travaillent selon des méthodes éthiques et responsables ». Les producteurs d’huile de palme certifiés par la RSPO peuvent ainsi obtenir un certificat GreenPalm pour chaque tonne d’huile de palme produite selon les critères durables définis par le RSPO. Ces certificats sont ensuite mis en vente sur la plateforme de négoce de certificats en ligne www.greenpalm.org, où les entreprises qui utilisent l’huile de palme peuvent faire des offres et les acheter, reversant ainsi de l’argent directement aux producteurs responsables. Une vente aux enchères en fait. Ces entreprises peuvent ensuite communiquer leur soutien à la production d’huile de palme durable dans leurs rapports de responsabilité sociale, leur publicité et/ou sur l’emballage du produit… Créé à l’initiative de la Table ronde sur l’huile de palme durable (Roundtable on Sustainable Palm Oil – RSPO) et de AAK UK, un fabricant international d’huiles comestibles, les processus de certification GreenPalm ont débuté en septembre 2008. Depuis, près de 900 000 certificats GreenPalm ont été attribués, générant plus de 8 000 000 dollars US aux producteurs d’huile de palme certifiée. GreenPlam l’affirme : « Cette contre-partie financière les encourage à poursuivre leur participation au programme et encourage les autres producteurs à y adhérer. Par ailleurs, pour chaque certificat vendu, un dollar US est reversé à la RSPO pour financer ses recherches dans la promotion et le soutien à l’industrie de l’huile de palme durable ». « Nous croyons que le meilleur moyen d’encourager la production d’huile de palme durable est de proposer des incitations financières qui profitent à toutes les parties, du producteur jusqu’à l’utilisateur final. Et c’est ce que propose GreenPalm » explique Bob Norman, Directeur Général de GreenPalm. Selon lui, « en attendant que davantage d’huile de palme durable soit disponible et que les chaînes d’approvisionnement permettent une séparation intégrale du produit, les entreprises pourront soutenir la production d’huile de palme durable immédiatement en achetant des certificats GreenPalm et en récompensant ainsi les producteurs qui utilisent des méthodes éthiques et responsables« . Pour l’instant, seulement de 5 à 7% des tonnages vendus seraient certifiés RSPO, mais de nombreux industriels se sont engagés à substituer tout ou partie de l’huile de palme classique pour de l’huile de palme « durable » d’ici à 2015. Derrière ces belles intentions, peut-on vraiment croire que ce dispositif sera efficace pour lutter notamment contre les mauvaises pratiques des producteurs ? Nous pouvons nous interroger sur quelques réponses apportées par le site de GreenPalm. Par exemple, à la question « les utilisateurs de certificats activés en ligne peuvent il être audités ?« , la réponse est « GreenPalm a le droit de conduire des audits indépendants et aléatoires auprès des utilisateurs pour vérifier que leurs revendications sont couvertes par le nombre de certificats achetés ». A le droit, mais le fera-t-il ? A quelle fréquence ? Par qui ? Tout cela reste un peu flou …L’avis à suivre des ONG …
J’ai voulu avoir l’éclairage des principales ONG sur ce label. Alors quelles sont réunies à Cancun à l’occasion du Sommet pour le Climat, je n’ai pas réussi à avoir les personnes directement en charge des dossiers liés à la déforestation. Cependant aucune association contactée ce matin (Greenpeace-France, Oxfam-France ou WWF-France) n’était au courant de la mise en place de ce nouveau label. Si Greenpeace n’est pas contre l’idée d’un label certifiant des cultures « durables » de l’huile de palme, elle s’interroge. En effet, on doit à l’organisme certificateur Roundtable on Sustainable Palm Oil – RSPO la fameuse table ronde qui devait réunir ONG et entreprises pour mettre en place une filière durable de l’huile de palme. Pour Greenpeace, l’idée n’est pas mauvaise en soit mais quelle crédibilité lui donner quand y siège Sinar Mas, le premier producteur indonésien d’huile de palme qui fournissait jusqu’à présent Nestlé et qui est surtout responsable de nombreuses irrégularités et même d’atteintes très graves à l’environnement. En effet, Sinar Mas a mené des activités interdites par la loi indonésienne : la déforestation sans obtention de permis de déboisement, sans évaluation préalable des impacts environnementaux et dans des zones de tourbières profondes. Les preuves apportées par Greenpeace avaient d’ailleurs déjà amenés Unilever (Dove) et Kraft à résilier leurs contrats d’approvisionnement avec cet exploitant. Sa présence au sein de la table ronde du certificateur interroge donc Greenpeace sur l’efficacité de RSPO quant à sa capacité à mettre en place une véritable démarche indépendante de contrôle. Par contre, Sinar Mas ne semble pas apparaître dans la liste des producteurs vendeurs de la plate-forme GreenPalm … J’apporterai au fur et à mesure de nouvelles informations sur ce label qui pourrait malgré tout constituer un premier pas dans la bonne direction… Affaire à suivre… avec les réactions prochaines du WWF, de Greenpeace, des Amis de la Terre et de Oxfam dont j’ai sollicité l’expertise pour nous aider à y voir un peu plus clair sur ce label avant son arrivée dans les rayons en 2011.