Alors que le débat sur le Grenelle 2 vient de s’ouvrir à l’Assemblée nationale, voici le point de vue du WWF France sur ce texte, exprimé ce jour dans Le Monde et signé par Isabelle Autissier et Serge Orru, respectivement Présidente et Directeur général du WWF France.
« Alors qu’une marée noire géante pollue le golfe du Mexique et les côtes américaines avec son préjudice écologique irrémédiable, il semblerait qu’une autre marée noire, celle des lobbies, risque de porter atteinte à nos espérances de voir un Grenelle 2 adopté sans détricotage lors de son passage à l’Assemblée nationale dès le 4 mai. Nous espérons vivement que les députés français sauront faire preuve de la responsabilité qui a prévalu durant le processus du Grenelle de l’environnement. Processus suggéré par les ONG au candidat Nicolas Sarkozy qui, devenu président de la République, a su avec audace et courage engager notre pays dans cette négociation inédite et salvatrice, saluée par beaucoup, bien au-delà de sa majorité. Nous devons changer de paradigme. Nous devons adapter notre modèle économique et imaginer une nouvelle prospérité verte où le social et l’environnemental sont intimement liés. Souvenons-nous, en octobre 2007, à l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement, le président de la République annonçait devant la représentation parlementaire au grand complet, devant toutes les parties prenantes du Grenelle, devant Mme Wangari Maathai, José Manuel Barroso et Al Gore : « Un moment important dans la prise de conscience par notre société qu’elle ne peut plus vivre dans le gaspillage, qu’elle ne peut plus négliger les conséquences, sur l’avenir de la planète, de sa façon de vivre, de produire et de consommer, (…) car c’est l’urgence écologique qui commande aujourd’hui. » Avouons que si le Grenelle de l’environnement a été une avancée, ce n’est pas encore la panacée ! Ce fut avant tout un inventaire français, non exhaustif, des enjeux environnementaux. Un réel rattrapage écologique à l’égard des pays du nord de l’Europe. « Le Grenelle n’est pas une fin, c’est un commencement, (…) nous ne pouvons plus définir des politiques en ignorant le défi climatique, en ignorant que nous détruisons les conditions de notre survie. » Mais alors que de grandes annonces ont été faites, et notamment que « tous les grands projets publics, toutes les décisions publiques seront désormais arbitrés en intégrant leur coût pour le climat », on remarque que tel n’est toujours pas le cas. Et notre politique énergétique ? Combien de temps serons-nous encore prisonniers des ressources fossiles, alors que notre consommation énergétique ne cesse d’augmenter ? Quand nos indicateurs de richesse seront-ils en accord avec notre empreinte écologique et sociale ? Quand accorderons-nous autant d’importance à notre biodiversité – notre banque du vital – qu’aux établissements bancaires que nous venons de sauver… ? Quand nous déciderons-nous à passer de la société du jetable à la société du durable ? Quand pourrons-nous aider le monde agricole à bien vivre en produisant autrement et sans OGM ? Quand allons-nous cesser de produire un mont Blanc de déchets chaque année, que nous incinérons (ah ! le mythe purificateur du feu !) ou que nous mettons en décharge avec un faible tri-recyclage ? Et quand développera-t-on le fret ferroviaire dans notre pays ? Ces questions et bien d’autres ne peuvent rester en suspens alors que nous cheminons allègrement avec notre gloutonnerie consumériste vers le cimetière des éléments… Surtout que nous assistons à une série de mesures « grenello-incompatibles » : la taxe carbone est repoussée aux calendes européennes, l’étiquetage environnemental et l’écotaxe sur les poids lourds sont renvoyés après 2012, sans oublier le rapport « éolicide » du député UMP Patrick Ollier, l’autorisation annoncée d’utiliser des camions de 44 tonnes dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Certes, les succès du bonus-malus ou de l’éco-prêt ont montré que les individus étaient prêts à transformer l’essai. Mais les citoyens-consommateurs ne peuvent pas agir seuls. Aujourd’hui, ce sont des règles claires des gouvernements et des engagements forts du monde de l’entreprise dont nous avons besoin. « Le Grenelle, c’est la réflexion et la proposition partagée. » Pour la première fois, des acteurs qui jusque-là échangeaient uniquement dans l’antagonisme se sont retrouvés à négocier dans un même but, celui de laisser à nos générations futures une planète vivante. L’écologie a besoin d’intelligence collective et de partage. Et c’est en respectant la diversité de chacun, en ne cherchant pas l’uniformité mais au contraire la coopération, que nous pourrons imaginer ce développement humainement durable, soutenable dans le temps. En même temps, soyons lucides, cette transformation de notre système mondialisé se fera dans la résistance. Imaginer d’autres modèles de civilisation est un défi passionnant et prometteur, mais difficile. Sans volonté politique forte et des populations prêtes à se battre pacifiquement, pied à pied, contre les tenants d’un productivisme industriel cannibale de notre unique planète, nous ne pourrons faire triompher nos idées de protection de notre environnement immédiat et lointain, garantes de notre humanité. Le syndrome du gardien de phare – avoir beaucoup d’horizon et très peu d’avenir – ne doit pas être notre seule fatalité. Ce Grenelle et les autres étapes qui suivront doivent nous aider à métamorphoser notre société humaine enfin solidaire des vivants et du vivant. Mesdames et messieurs les députés, nos enfants vous serons reconnaissants de respecter l’esprit du Grenelle qui appartient à toutes et à tous ». Isabelle Autissier, présidente du WWF-France Serge Orru, directeur général du WWF-France. Article paru dans l’édition du 05.05.10 du journal LE MONDE