Cet article est en cours de publication dans le 1er numéro spécial de la Revue de Droit et de Sciences Sociales. La version originale de cet article est une communication présentée lors du Colloque : « Sante, environnement et développement humain durable » organisé à Agadir les 23-24 mai 2008 (Maroc) par la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales de l’Université Ibn Zohr, Agadir-Maroc en partenariat avec le Centre Nord-Sud de Recherches en Sciences Sociales-NRCS dirigé par l’auteur.
Résumé: Dans un monde politiquement divisé en États-nations autonomes, mais interdépendants, un ensemble de principes, de pratiques et d’institutions communes concourent à la formation de normes collectives qui s’imposent aux États, à la définition des orientations de l’action collective, ou à la fixation de règles directement applicables aux acteurs privés. C’est dans ce cadre où on a inventé le terme « gouvernance mondiale », considéré comme un néologisme utile parce qu’il s’agit de réfléchir à la façon dont l’économie mondiale est gouvernée, vu que le terme usuel de « gouvernement » porte une connotation de centralisation susceptible d’en affecter la compréhension. La gouvernance mondiale, en tant que possibilité de gouverner sans gouvernement, repose sur la coopération intergouvernementale ou sur l’action d’institutions multilatérales spécialisées dotées d’instruments propres, dans certains cas aussi sur l’action normalisatrice d’opérateurs privés. Elle s’exerce au niveau mondial ou par le canal d’organisations régionales. Elle tient, ou ne tient pas, sa légitimité de la délégation des États, de la ratification des traités par les parlements, de la prise en compte des points de vue exprimés par les différentes représentations des sociétés civiles dans le cadre du débat démocratique, mais ne relève d’aucune autorité politique centrale et ne fait l’objet d’aucune sanction démocratique d’ensemble. L’utilisation des questions environnementale et sanitaire, vu leur interaction, comme élément de critique radicale du système de gouvernance mondiale est actuellement un fait qu’on peut difficilement nier. D’une part, qu’il s’agisse de biodiversité ou de changements climatiques, les nouveaux problèmes d’environnement présentent les caractéristiques des enjeux globaux dont les impacts sont indivisiblement répartis sur la surface du globe (à l’opposé des problèmes environnementaux locaux, qui peuvent être traités au niveau national). En conséquence, et pour éviter le problème du passager clandestin, les impacts des enjeux globaux sur la stabilité mondiale ne peuvent être relevés que via une véritable coopération multilatérale. À cet égard, la mise en place d’une meilleure gouvernance mondiale de l’environnement s’inscrit dans le même projet que celui qui avait motivé la constitution, après guerre, des différentes institutions à vocation économique, qui au-delà de l’efficacité visaient à contribuer à la paix. D’une autre part, les nouvelles préoccupations sanitaires, liées ou non aux questions environnementales, intéressent actuellement la gouvernance mondiale, vu que leurs impacts négatifs ne se limitent pas aux frontières de quelques Etats. Certes, la santé, en tant qu’objet de préoccupations internationales, bénéficie depuis quelques années d’un intérêt plus marqué de la part des acteurs de la gouvernance mondiale. Mais il faut dire aussi que cet intérêt manifesté n’est pas d’ordre strictement sanitaire. L’épidémie de VIH, mais aussi les problèmes environnementaux ou la recherche de politiques favorables au développement contribuent à cette élévation de la santé au rang des priorités affichées. Cependant, il existe un décalage parfois important entre les problèmes de santé, les réponses politiques qui leur sont apportées et le cadre dans lequel elles doivent s’inscrire. Mais, compte tenu de l’urgence de certaines interventions sanitaires, la perpétuation de ces décalages peut conduire à des situations de tension dont les effets se feraient ressentir au-delà de la santé: instabilité des Etats et de zones régionales, frein au développement économique et heurts dans les négociations commerciales. Pour cette raison, la santé est appelée sans doute à devenir à la fois l’un des domaines d’intervention majeurs des politiques internationales et l’un des enjeux les plus importants de la gouvernance mondiale, dans la mesure où elle remet en question ses modes de régulation. En conséquence, les différents acteurs de cette gouvernance sont désormais supposés adapter leurs pratiques à ce nouvel environnement. Une mésestimation des enjeux pouvant sans doute conduire à une plus grande instabilité globale. Pour éviter un tel scénario, on s’accorde actuellement sur le fait que le développement harmonisé de la gouvernance mondiale dans les domaines de la santé et de l’environnement, vu leur interdépendance, est un objectif qui s’impose, sachant que sa réalisation est fortement tributaire à la fois de la fixation des objectifs globaux et du règlement des questions redistributives. L’expérience des changements climatiques par exemple ne cesse de montrer actuellement que les nouveaux enjeux sanitaires environnementaux soulèvent des questions d’équité redoutables entre les pays du Nord et ceux du Sud. Certains vont jusqu’à parler de l’existence d’une grave « fracture sanitaire et environnementale » entre ces deux mondes, mais aussi en leur sein, entre riches et pauvres, urbains et ruraux, instruits et analphabètes, hommes et femmes. C’est dans ce sens qu’en septembre 2000, dans le cadre d’une Déclaration des Nations Unies adoptée par 189 pays, la communauté internationale s’est fixé huit objectifs du millénaire pour le développement (OMD) à atteindre d’ici à 2015. Parmi eux, quatre concernent directement la santé (réduction de la mortalité infantile, amélioration de la santé maternelle et lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose) et l’environnement durable. Mais il s’agit aussi plus globalement de lutter contre l’extrême pauvreté, la faim et la malnutrition étant donné que lorsqu’un pays est pauvre, il le paie en termes de santé publique. Les crises sanitaires auxquelles font face les pays pauvres ont réussi à introduire, quoique timidement, cette problématique au coeur des débats internationaux, mais également dans l’agenda des décideurs politiques des pays développés et des institutions internationales. La présente communication a pour finalité de montrer l’importance des enjeux sanitaires et environnementaux pour la gouvernance mondiale et de faire l’état des transformations qu’ils suscitent ou requièrent au niveau global. Dans un premier temps, nous ferons le point sur l’état actuel des choses pour montrer comment la gouvernance mondiale s’est développée de manière pragmatique et sélective en fonction de l’importance politique et/ou économique de certains enjeux pour les intérêts égoïstes des grandes puissances. Dans un second temps, nous montrons comment la santé et l’environnement, parents pauvres de la gouvernance mondiale en comparaison avec d’autres thèmes (tels que le commerce, le terrorisme et l’armement), aggravent davantage la fracture entre les pays du Nord et ceux du Sud, condamnant par ce fait les chances de développement de ces derniers. Dans un dernier temps, nous essaierons de proposer, à l’instar des différentes formes de gouvernance mondiale dont les moyens de régulation jouissent d’une certaine efficacité – mais pas toujours d’une pleine légitimité – un ensemble de recommandations visant à expliciter l’importance stratégique des enjeux sanitaires et environnementaux et la nécessité de les placer au rang des priorités de la gouvernance mondiale. Mots clés : Gouvernance mondiale, Nord/Sud, enjeux sanitaires et environnementaux, fracture, équité, agenda mondial. Contacter l’auteur: behnassi@gmail.com L’échec des dernières négociations commerciales multilatérales à Doha montrent à quel point on est encore loin d’une gouvernance mondiale solide et fonctionnant avec des règles communes et équitables privilégiant les intérêts des peuples et pas seulement les intérêts égoïstes de quelques Etats et groupes de pressions. La crise alimentaire actuelle qui est en partie le résultat d’un système commercial international inachevé et peu équitable (restrictions sur l’échange des produits agricoles, protectionnismes des pays développés, impacts négatifs sur les pays à faible revenu importateurs des denrées alimentaires de base…), fait appel à un changement structurel et même paradigmatique des règles et des mécanismes de ce système au lieu de s’attacher à ceux hérités d’une époque révolue. Lire aussi : – Echec des négociations de l’OMC : la fin d’un monde ? Synthèse Passerelles – Genève sur l’échec des discussions commerciales du cycle de Doha. – La Gouvernance Globale de Développement Durable et les Pays du Sud : Légitimité, Efficacité et Application