A quelques heures du début de la Conférence, les négociateurs des 193 pays présents au sommet Rio+20 se sont entendus mardi sur un projet de déclaration dont le contenu est jugé bien trop faible par les organisations non gouvernementales ». « Après une session très tardive de négociations, le texte révisé s’annone comme un échec majeur en termes de leadership et de vision de la part des diplomates. Nos dirigeants devraient être embarrassés devant leur inaptitude à trouver un terrain d’entente sur un enjeu aussi crucial « estime Jim Leape, Directeur général du WWF International, suite au texte de négociation présenté hier par le Brésil.
Le Brésil, qui tenait absolument à boucler un projet de déclaration finale avant l’arrivée des chefs d’État et de gouvernement, a obtenu, à l’arrachée, l’accord des délégués des 193 États membres de l’ONU. Les séances de travail à marche forcée ont abouti à un texte de 49 pages intitulé « l’avenir que nous voulons » (« Future We Want »). Il doit être signé vendredi soir, à la clôture de la conférence de l’ONU Rio+20 sur le développement durable. Cependant, ce texte suscite une grande polémique : le texte a été considérablement allégé comparé aux 81 pages qui étaient encore en discussion vendredi dernier. Conséquence : il ne définit pas les objectifs censés être débattus au cours de cette Conférence des Nations unies sur le développement durable et il ne fixe pas non plus de calendrier précis. Il n’y a pas eu d’accord sur la question de l’« économie verte », le document laissant une marge de manœuvre dans la mise en œuvre de ce principe. « On a été prudents, la définition n’est pas parfaite. Le principe n’a pas à être adopté en tant que tel », explique le porte-parole de la délégation brésilienne. Autre point qui n’a pas véritablement abouti : la création d’une agence onusienne de l’environnement, défendue par la France. Le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) serait simplement renforcé et développé ; ce point doit être évoqué à l’Assemblée générale de l’ONU, en fin d’année. Le projet de déclaration n’inclut pas de clause invitant les gouvernements à supprimer progressivement les subventions aux carburants fossiles, qui ont quasiment triplé depuis 2009 malgré l’engagement des pays du G20 à les éliminer. La disparition progressive de ces subventions d’ici 2020 permettrait de réduire la demande énergétique mondiale annuelle de 5% et les émissions de dioxyde de carbone de près de 6%, selon l’Agence internationale de l’Energie. Jim Leape n’en revient toujours pas : « Il est maintenant temps pour les leaders mondiaux de prendre le développement durable au sérieux et surtout de sauver ce processus de négociation. S’ils approuvent ce qui est actuellement sur la table sans y apporter de changements significatifs, ils condamnent la conférence Rio+20 au ridicule. Alors que des mots plutôt faibles ont été supprimés, les diplomates pratiquent maintenant la langue de bois… Et utilisent des formules alambiquées comme ‘engagés à réaliser progressivement’ ou font de nombreuses promesses de ‘reconnaître’ les problèmes et leurs solutions. » « Le fait que personne dans cette pièce où est adoptée le texte n’est content est révélateur. Cela prouve à quel point il est creux », a commenté de son côté sur Twitter la commissaire européenne pour le climat, Connie Hedegaard. Le texte comprend « trop de ‘prend note’ et ‘réaffirme’ et trop peu de ‘décide’ et ‘s’engage' », a-t-elle ajouté. Vingt ans après le sommet de la Terre, qui a fait surgir au premier rang des préoccupations internationales les thèmes du changement climatique ou de la préservation des espèces, le sommet Rio+20 est censé permettre une définition d’« objectifs de développement durable » pour guider l’action publique à travers le monde dans les domaines économique, social et écologique. Mais ces questions semblent désormais reléguées au second rang dans l’esprit des dirigeants de la planète, accaparés par la crise économique. « Après 2 ans et une nuit de négociations, les diplomates présents à Rio laissent tomber la planète. Nous espérons que cela ne se produira pas après tout le travail qui a été effectué jusqu’à présent, notamment, pour le bien-être des populations et de notre planète. Il y a 20 ans, les leaders mondiaux ont ‘reconnu’ les problèmes, mais ils n’ont pas fait grand-chose depuis. Pendant combien de temps allons-nous encore accepter la réponse ‘nous allons y réfléchir’ comme une solution ? » s’interroge Jim Leape. Des chefs d’Etat et de gouvernement, parmi lesquels les présidents français François Hollande et russe Vladimir Poutine, sont désormais attendus à Rio et pourraient amender le projet de déclaration, ce dont les observateurs doutent. « Ce sommet pourrait être terminé avant même d’avoir commencé. Les dirigeants qui arrivent ce soir doivent le relancer. Rio+20 devrait être un tournant », a dit Stephen Hale, porte-parole d’Oxfam. « On ne voit aucun signe en ce sens. Près d’un milliard de personnes souffrent de la faim et elle méritent mieux. »Analyse du texte par l’Iddrri
Pour Lucien Chabason, conseiller à la direction à l’Iddri (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales), « l’accord est très en deçà de ce qu’on peut attendre d’un sommet de cette ampleur. Les résultats sont dérisoires. » Laurence Tubiana, directrice de l’Iddri, souligne « qu’il manquait de leadership dans la conduite de la négociation ». L’accord ne propose aucune décision effective et ne fait que lancer des processus. Pour Laurence Tubiana, « il n’y a pas d’avancée au regard de Rio 92 et il est évident que le texte du Sommet de la Terre ne pourrait pas être négocié aujourd’hui. » Elle estime que « ce qui frappe, c’est que les pays ne voient pas l’intérêt de coopérer, ils y voient un coût, pas un bénéfice ». Et poursuit, « en fait, c’est un processus de négociation par le vide, par la disparition successive des sujets qui fâchent. » Pour Lucien Chabason, le plus décevant est qu’« aucune impulsion n’ait été donnée sur la haute mer. » Pour Tancrède Voituriez, directeur du programme gouvernance, « le seul point d’accroche concret a été la définition et la négociation des ODD ». Laurence Tubiana, qui a animé l’un des dialogues et a participé au panel sur le développement durable pour combattre la crise économique et financière, estime qu’« il ne faut pas sous-estimer cette avancée. La négociation a défini un mécanisme et un calendrier précis et court. La discussion va porter dans chaque pays sur la définition de ces objectifs universels. » Elle souligne cependant que « comme à Durban, les pays en développement acceptent de s’intégrer dans une discussion globale sur les modèles de développement. » Tancrède Voituriez estime pour sa part que « l’Europe a perdu la bataille conceptuelle sur l’économie verte et a fédéré – jusqu’à la dernière minute – les oppositions contre elle. Elle est devenue l’ennemi ». Et Laurence Tubiana ajoute que « les États-Unis et le Canada ont tiré vers le bas les ambitions. » Concernant les dialogues thématiques, Tancrède Voituriez trouve que ce sont « des expériences très prometteuses de démocratie directe, de dialogues en réseau et d‘enquêtes sur les préférences des populations qui ont été conduites à Rio+20 ». Pour Laurence Tubiana, « elles montrent combien les opportunités sont grandes et les risques politiques faibles de s’engager pour un changement de modèle de développement. C’est le plus précieux acquis de Rio+20. »Retour sur une semaine de négociations
- 13-15 juin : les négociations sous présidence onusienne
- 16-19 juin : les négociations sous présidence brésilienne
Sommet Rio+20 : après 2 ans et une nuit de négociations, les diplomates laissent tomber la planète
Le texte sur l’élimination des suventions aux carburants fossiles est au paragraphe 225