La loi de 1905 fut un moment fort de l’histoire des libertés en France. Elle sépare l’Etat et les cultes et assure ainsi la liberté de conscience à chacun. Le 20 décembre 2007, le président de la République française est devenu chanoine d’honneur de la basilique Saint Jean du Latran. Son discours sur l’identité française et la laïcité a surpris et même choqué. « L’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé » a notamment déclaré le Président de la république. Après son allocution devant le Conseil Consultatif de Riyad le 14 janvier dernier, les déclarations de Nicolas Sarkozy sur le rôle de Dieu dans notre société ont suscité beaucoup de réactions, pour la plupart inquiètes. Première coordination associative de France et mouvement d’éducation populaire, la Ligue de l’enseignement réagit. La presse s’interroge également. La laïcité à la française serait-elle en question ?
Dans un communiqué de presse intitulé « Non, la France n’est pas la fille aînée de l’église », la Ligue de l’enseignement constate qu’en devenant, le 20 décembre 2007, chanoine d’honneur de la basilique Saint Jean du Latran, Nicolas Sarkozy a voulu donner à cet usage désuet une dimension politique et philosophique. Accompagné d’une importante délégation reçue avec faste par le pape Benoit XVI, le président a prononcé un grand discours dont la teneur est aussi surprenante que choquante. L’affirmation introductive « Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes » évacue tous les apports de l’Antiquité, de la civilisation arabo‐musulmane, de la philosophie des Lumières, de la Révolution et de la culture ouvrière et scientifique. Si les contributions du catholicisme à la culture française sont effectivement importantes, elles n’expriment pas à elles seules l’identité nationale. Notre pays ne naît pas avec le baptême de Clovis, et il est aujourd’hui à la fois divers du point de vue religieux et philosophique et sécularisé. Si la laïcité est bien « une condition de la paix civile », c’est parce qu’elle permet et organise la liberté de conscience de tous en garantissant à la fois l’émancipation individuelle contre tout enfermement idéologique ainsi que la légitimité et l’égalité des convictions et des appartenances. Le jugement dévalorisant sur la « morale laïque risquant de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance » est inadmissible. Mais l’affirmation la plus provocatrice est « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance ». Non seulement les religions n’ont pas le monopole de l’espérance, mais elles furent souvent et restent parfois pourvoyeuses de fanatisme. Le Président de la République serait donc mieux inspiré de promouvoir l’émancipation par une éducation au service de tous. Dans le cadre d’un tel discours, l’engagement « à ne pas modifier les grands équilibres de la loi de 1905 » laisse sceptique. Aussi, la Ligue de l’enseignement, avec l’ensemble du mouvement laïque, reste vigilante et donne sur son site www.laicite‐laligue.org tous les éléments pour mieux comprendre les enjeux.Revue de presse
– A la une de Marianne n°561 du 19 au 25 janvier 2008 : Il met la laïcité en danger, le fou de Dieu. Aucun président n’avait osé une telle célébration des religions. Aucun n’avait osé prononcer le nom de « Dieu », utrement que comme un nom commun, un concept ou dans des expressions courantes: cette fois il a été, à plusieurs reprises, assumé comme une entité à laquelle il faut croire. Une ligne rouge est franchie. – Catherine Kintzler, philosophe et auteur de Qu’est-ce que la laïcité, se dit « très choquée » par le discours du Président à Saint-Jean-de-Latran et dénonce le concept de « laïcité positive ». Lire son interview sur le site de Marianne. – Sarkozy met le feu aux laïcs – Chronique de Nicolas Domenach, directeur-adjoint de la rédaction de Marianne sur i>Télé à lire sur le site de Marianne. – Bernard-Henri Lévy dans une chronique publiée dans l’hebdomadaire Le point (10 janvier 2008) écrit : L’événement est passé relativement inaperçu. Or il est énorme et, me semble-t-il, sans précédent. Le fait d’avoir évoqué les « racines chrétiennes de la France » n’est pas, en soi, le problème-car c’est un fait. Ni, non plus, la déclaration selon laquelle les religions sont moins un « danger » qu’un « atout »-là aussi, pourquoi pas ? Ni, encore moins, le salut à la mémoire des sept moines de Tibéhirine assassinés, le 21 mai 1996, près d’Alger-ces martyrs trop vite oubliés. Non. Ce qui est choquant dans cette affaire c’est, au-delà même de sa mise en scène, au-delà du bizarre mélange de révérence et d’inconvenance qui caractérisa cette équipée en compagnie de Jean-Marie Bigard et de Jean-Claude Gaudin continuant de mâcher son chewing-gum face à Benoît XVI, cinq gestes politiques qui, s’il y avait encore une opposition, auraient dû provoquer un tollé. […] Le garant de l’indépendance de l’Ecole a le culot d’affirmer que « dans la transmission des valeurs l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie » : les enseignants apprécieront ! les instituteurs de la laïque, ces hommes et femmes qui consentent des sacrifices autrement plus sérieux que ceux dont se targue leur président pour inculquer les valeurs civiques, le sens de la connaissance désintéressée, la liberté de l’esprit, à des enfants issus de familles où l’on a parfois trop tendance, justement, à porter aux nues la « radicalité du sacrifice », tireront les conséquences qui s’imposent de cet abandon en rase campagne ; et qui empêchera cette autre sorte de « pasteurs » que sont les amis de Tariq Ramadan d’en conclure qu’ils ont une chance, dans ce nouveau contexte, de devenir les hussards noirs des territoires perdus de la République ? Lire sa chronique complèteRéactions
– Le syndicat enseignant Snes-FSU a estimé que les propos du chef de l’État était « incompatibles avec l’exercice de sa fonction » et a accusé Nicolas Sarkozy de « distiller l’idée d’une République soumise à la religion ». – Le député socialiste Laurent Fabius a invité le chef de l’État à s’en tenir à la « version traditionnelle de la laïcité ». « On ne peut pas être à la fois laïc et non-laïc », a déclaré l’ancien Premier ministre jeudi 17 janvier sur RTL. « Il faut qu’on ne mélange pas les religions, que je respecte, et le domaine public dans lequel elles n’ont pas à interférer ». – Lors des questions d’actualité mercredi à l’Assemblée nationale, le député socialiste Jean Glavany avait interpellé la majorité à propos du discours de Ryad, « où Dieu n’est plus cité à chaque page, mais à chaque ligne, créant désormais un problème de fond dans la République ». La loi de 1905 de séparation entre l’Église et l’État « n’est-elle pas violée en la circonstance ? » a-t-il demandé. « Nous souhaitons reconnaître le rôle de la spiritualité, de toutes les spiritualités, sous toutes leurs formes. Les Français y sont très attachés », lui a répondu la ministre de l’Intérieur, également en charge des Cultes, Michèle Alliot-Marie. – Dans un entretien à l’Express (édition du 17 janvier 2008), le président du Mouvement démocrate, François Bayrou, estime pour sa part que « remettre en cause le principe de laïcité, c’est ouvrir la boîte de Pandore ».Nicolas Sarkozy s’explique
Dépêche de l’agence Reuters (17 janvier 2008) : Le président Nicolas Sarkozy s’est efforcé jeudi soir de calmer la polémique suscitée en France par ses récents discours de Rome et de Ryad sur la religion et a réaffirmé son attachement à la laïcité. Il a reçu en début de soirée les dirigeants des six principales confessions de France dont, pour la première fois, le président de l’Union bouddhiste de France, Olivier Wan Gehn. Selon son porte-parole, il a « réaffirmé son attachement au principe de la laïcité, qui est un principe de respect de toutes les croyances et non un combat contre les religions ». « Nul ne doit plus avoir de raison aujourd’hui de se sentir blessé par la laïcité », a-t-il poursuivi, selon David Martinon, tout en faisant un parallèle entre fait religieux et Lumières. « La reconnaissance du sentiment religieux, comme une expression de la liberté de conscience et (…) comme un fait de civilisation, font partie, au même titre que la reconnaissance de l’héritage des Lumières, de notre pacte républicain et de notre identité », a ajouté le chef de l’État. « Tous ceux qui sont attachés à la République, à son idéal, devraient s’efforcer de défendre les valeurs de diversité, de tolérance et de compréhension », a-t-il souligné dans une allusion à la polémique sur ses propos sur la religion. « Dans la République apaisée et fraternelle que souhaitent les Français, tous ceux qui ont des convictions philosophiques, morales, religieuses, devraient avoir à coeur de faire preuve de respect pour les convictions qu’ils ne partagent pas. » Enfin, Nicolas Sarkozy a déclaré vendredi 18 janvier, lors de ses vœux au corps diplomatique à l’Elysée : « Ma conviction est que deux défis contribueront à structurer la société internationale du XXIe siècle, peut-être plus profondément que les idéologies au XXe siècle ». « Le deuxième défi est celui des conditions du retour du religieux dans la plupart de nos sociétés. C’est une réalité, seuls les sectaires ne le voient pas. C’est une réalité incontournable, prévue naguère par Malraux », a ajouté M. Sarkozy, en allusion à la formule prêtée à l’écrivain André Malraux : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Le président Sarkozy a été durement critiqué par ses adversaires politiques pour ses récentes déclarations sur la religion et la laïcité, qu’il souhaite « positive ». « Dans mon discours de Saint-Jean de Latran, j’ai précisé ma conception d’une laïcité où la place de la religion serait définie en termes plus positifs. Devant le Conseil consultatif de l’Arabie saoudite, à Riyad cette semaine, j’ai fait écho aux propos pleins de sagesse du roi Abdallah, et plaidé en faveur d’une conception ouverte, tolérante de la religion », a rappelé le chef de l’Etat.