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Enquête sur le réchauffement de la planète

Les mensonges du lobby Exxon

Courrier international du 04/08/05
Lorsqu’en janvier dernier le romancier Michael Crichton a pris la parole à Washington devant une assistance conviée a un déjeuner-debat, à première vue, on aurait pu penser qu’il ne s’agissait que d’une banale tournée promotionnelle d’un auteur à succés qui avait un livre a vendre. De fait, Crichton était bien la pour assurer la promo de son dernier thriller, State of Fear [Etat de peur, non paru en francais]. Dans ce roman antiécologiste à suspense, de sombres écoterroristes tentent de provoquer des catastrophes naturelles pour entretenir des craintes totalement injustifiées sur le changement climatique planétaire. Malgré ce scénario fantaisiste, l’auteur a été accueilli comme un expert par les conseillers politiques bon chic bon genre qui se pressaient ce jour-la dans les élégants salons du Centre de conférences Wohlstetter de l’American Enterprise Institute for Public Policy Research (AEI). Dans son discours de présentation, Christopher DeMuth, président de l’AEI et ancien responsable du budget de Reagan, félicita le romancier d’avoir ainsi reussi a mettre “les données scientifiques les plus sérieuses a la portée d’un public populaire, à travers un récit palpitant”. La conférence était organisée sur le thème : “Quelle politique scientifique pour le XXIe siecle ?” Du haut de ses deux mètres, Crichton, médecin de formation, à la stature d’un joueur de basket-ball et sa prestance comme son passé lui confèrent un certain prestige. Il se dit volontiers “anticonformiste par nature”, mais, ce jour-là, ses propos n’avaient rien pour faire sourciller son public de l’AEI. “J’ai consacré toutes ces dernières années à étudier a la loupe les questions environnementales, et plus particulièrement le réchauffement planétaire”, déclara-t-il avec quelque solennite. “Et j’ai été profondement troublé par ce que j’ai découvert, surtout parce que les preuves avancées sur un grand nombre de questions écologiques présentent, à mon sens, des failles scandaleuses et manquent de fondement.” Apres quoi, il entreprit d’éreinter une étude de 1998 sur l’évolution historique des températures, contre laquelle les conservateurs avaient déjà maintes fois choisi de cibler leurs attaques. Pratiquement toute la communauté scientifique s’accorde à dire que les gaz a effet de serre d’origine humaine sont responsables d’une hausse des temperatures moyennes du globe. Mais les think tanks conservateurs s’emploient a démentir cette conclusion par une campagne de désinformation exploitant des “rapports” contradictoires qui cherchent à se donner toutes les apparences du sérieux pour faire contrepoids aux études scientifiques scrupuleusement verifiées. Ces think tanks assurent par ailleurs une couverture intellectuelle à ceux qui refusent de se rendre aux conclusions de la science la plus sérieuse qui soit actuellement ; ils offrent des munitions aux législateurs conservateurs comme James Inhofe, sénateur républicain et président de la commission sénatoriale de l’Environnement et des Travaux publics, qui qualifie le réchauffement planètaire de “canular”. Crichton dresse un parallèle entre les climatologues et les nazis Cet effort concerté reflète les convictions des conservateurs les plus farouchement attachés au liberalisme économique, et donc opposés à toute réglementation contraignante. Mais un autre facteur est en jeu : non contents de bénéficier du soutien de personnalités qui partagent leur sensibilité et de fondations qui leur sont idéologiquement favorables, ces groupes de réflexion sont financés par ExxonMobil, la première compagnie petrolière du monde. Mother Jones a recensé une quarantaine d’organisations financées par ce groupe pétrolier qui ont cherché a saper les résultats scientifiques généralement admis sur le changement climatique planétaire, ou bien entretiennent des liens avec une petite coterie de scientifiques “sceptiques”. Outre les think tanks, la liste compte également des organes quasi journalistiques comme TechCentralStation.com (un site proposant “des informations, des analyses, des recherches et des commentaires”, auquel ExxonMobil a verse 95 000 dollars en 2003), un journaliste de FoxNews.com, et même des groupes religieux et des mouvements des droits civiques. A elles toutes, ces organisations ont encaisse plus de 8 millions de dollars entre 2000 et 2003 (dernière année pour laquelle on dispose de données. Sauf indication contraire, tous les chiffres fournis ci-après portent sur cette periode.) Ainsi, le PDG d’ExxonMobil, Lee Raymond, est également vice-president du conseil d’administration de l’AEI, qui a recu 960 000 dollars d’ExxonMobil. Le Centre d’études sur les réglementations, crée conjointement par l’AEI et la Brookings Institution, qui accueillait officiellement Crichton, a pour sa part percu 55 000 dollars. Pendant la séance des questions-reponses qui a suivi son discours, Michael Crichton a dressé une analogie entre les convaincus du réchauffement planétaire et les eugenistes nazis : “Si Auschwitz a existé, c’est parce que la science a été politisée.” Cette declaration en a fait frémir quelques-uns dans la salle, mais il n’a effleuré personne que cette manifestation de l’AEI tendait precisement a cela : politiser la science. Il est vrai que l’assistance était acquise a la cause du conférencier. Parmi ceux qui écoutaient d’une oreille attentive, il y avait Myron Ebell, le responsable des politiques sur le réchauffement global et les questions internationales au Competitive Enterprise Institute (CEI), auquel ExxonMobil a consenti la somme faramineuse de 1 380 000 dollars. Etait egalement présent, au fond de la salle, Paul Driessen, membre du Committee for a Constructive Tomorrow [Comite pour un avenir constructif] (252 000 dollars) et du Center for the Defense of Free Entreprise [Centre de defense de la libre entreprise] (40 000 dollars). Driessen s’est declaré “reconforté par le fait qu’ExxonMobil et quelques autres groupes se soient levés pour dénoncer haut et fort cette imposture scientifique”. Dans son rapport de mécénat, ExxonMobil explique soutenir des groupes de reflexion sur les politiques gouvernementales “dont la vocation est de rechercher des solutions liberales aux problemes de politique”. Ce que l’entreprise ne dit pas, c’est que beaucoup de ces groupes remettent en cause non seulement le protocole de Kyoto ou la loi McCain-Lieberman [qui propose un mécanisme de réduction des émissions de gaz à effet de serre] pour des raisons économiques, mais aussi les études scientifiques portant sur le changement climatique. Interrogée sur ce point, Lauren Kerr, porte-parole du géant pétrolier, assure qu’“ExxonMobil a toujours été très transparent et très ouvert sur le fait que, comme bien d’autres entreprises, institutions et chercheurs respectés, nous pensons que les preuves scientifiques sur les emissions de gaz a effet de serre restent peu concluantes et que les études doivent se poursuivre”. Elle s’empresse par ailleurs de souligner qu’ExxonMobil sponsorise généreusement des programmes de recherche universitaire – la compagnie envisage ainsi de doter de 100 millions de dollars le Projet sur le climat planétaire et l’énergie de l’université Stanford, et finance même la très prestigieuse Académie nationale des sciences. Aucune autre entreprise ne semble pourtant se démener autant pour soutenir les détracteurs du réchauffement planétaire. “Un grand nombre d’entreprises ont versé des fonds par-ci par-la, mais je serais surpris d’apprendre qu’il y ait eu un mécène plus généreux qu’Exxon”, explique Myron Ebell, representant du CEI, qui, en 2000, puis à nouveau en 2003, a engage une procédure judiciaire contre l’Etat afin de faire interrompre la diffusion d’un rapport datant de l’époque Clinton et montrant l’impact des changements climatiques sur les Etats-Unis. Pour ces deux procés, l’avocat principal charge de défendre le dossier du CEI était Christopher Horner – participant du dejeuner-debat de Crichton -, a qui le CEI verse 60 000 dollars d’honoraires annuels. Or en 2002, ExxonMobil a affecté 60 000 dollars aux “activités juridiques” du CEI. Les dépenses qu’ExxonMobil consacré aux groupes de réflexion sont sans commune mesure avec son budget de lobbying – 55 millions de dollars au cours des six dernieres annees, selon le Centre pour la transparence publique. Et ni l’un ni l’autre de ces chiffres n’entame beaucoup le bénéfice net de la compagnie – qui a engrangé 25,3 milliards de dollars l’année dernière. Mais ce “lobbying d’idees” peut sensiblement influencer les politiques gouvernementales. Prenons par exemple les attaques des amis d’ExxonMobil contre l’Evaluation de l’impact des changements climatiques dans l’Arctique (ACIA). Publiée en novembre dernier, cette étude internationale de référence a mobilisé quelque 300 chercheurs pendant quatre ans. Commanditée par le Conseil arctique (forum intergouvernemental ou les Etats-Unis sont representés), elle relève notamment que l’Arctique est en train de se réchauffer “presque deux fois plus vite que le reste du monde”, et que les premiers effets du changement climatique, comme la fonte de la banquise et des glaciers, sont deja manifestes et “réduiront considerablement l’habitat marin des ours polaires, des phoques et de certains oiseaux marins, précipitant l’extinction de certaines espèces animales”. Les défenseurs de l’industrie ont tiré a boulets rouges sur cette étude mais, faute de faits scientifiques pour étayer leurs arguments, ils ont utilisé des communiqués de presse. “L’alerte sur l’extinction de l’ours polaire a du plomb dans l’aile”, proclamait en manchette le chroniqueur de FoxNews.com Steven Milloy, chercheur adjoint au Cato Institute (75 000 dollars d’ExxonMobil) et éditeur du site Internet JunkScience.com. Le surlendemain, le très conservateur Washington Times reprenait dans ses colonnes le même article. Aucun de ces titres de presse ne prenait toutefois la peine de préciser que Milloy, qui bat régulierement en brêche les inquiétudes sur le climat, dirige deux organisations qui émargent chez ExxonMobil. Au-dela de la question de la déontologie journalistique, et d’un point de vue purement scientifique, les reproches qu’adressait Milloy à l’ACIA étaient d’une telle ineptie qu’ils en étaient comiques. Citant un seul et unique graphique extrait du resume de 146 pages d’un rapport scrupuleusement annotée qui en compte plus de 1 200, il affirmait que le document “se discrédite assez bien tout seul”, car les hautes températures enregistrées dans l’Arctique “vers 1940” donnent à penser que le pic de témpérature actuel pourrait être mis sur le compte de la variabilité naturelle. Ce qui n’a pas empêché d’autres groupes de s’empresser de reprendre a leur compte les accusations de Milloy. . La suite de ce passionnant et ahurissant article est à lire sur le site de Courrier International ou dans le numéro d’été du même journal.

 

Michael Crichton est l’auteur de Jurassick Park, Sphère, Twister…, réalisateur de Runaway…, producteur de la série Urgences… Ses romans sont traduits et publiés par Robert Laffont. State Of Fear n’est pas encore publié en France. Nous vous communiquons également le mail de la société en charge des relations presse de l’auteur : webmc@marichcom.net.

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David Naulinhttp://cdurable.info
Journaliste de solutions écologiques et sociales en Occitanie.

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