Dans son nouveau rapport, l’association Zero Waste France dresse un bilan critique de l’application du principe pollueur-payeur, à travers le système de Responsabilité élargie du producteur (REP) et des éco-organismes. Alors que le gouvernement envisage la création d’une instance de régulation de ce système, l’association demande plus de contrôles et de sanctions pour les entreprises pollueuses, et davantage de soutien aux alternatives, telles que le réemploi. Elle appelle à inscrire dans la loi des trajectoires de réduction de la production, afin de respecter la limite de +1,5°C fixée par l’Accord de Paris.
Un système en échec face à l’impératif de réduction des déchets
Mise en place dès 1993 pour les emballages, la Responsabilité élargie du producteur (REP) consiste à faire porter aux entreprises qui commercialisent des produits la responsabilité de leur fin de vie.
A travers des éco-organismes, les producteurs contribuent ainsi à financer le service public de gestion des déchets. Depuis 2020, avec la loi anti-gaspillage (AGEC), les obligations qui incombent aux entreprises dans le cadre de la REP se sont étendues afin d’engager la transformation de nos modes de production et de consommation.
C’est pourquoi les particuliers peuvent désormais bénéficier d’un bonus réparation de 50 euros de réduction sur le coût de réparation d’un lave-linge ou d’une reprise de leur canapé usagé au moment d’en acheter un nouveau.
Enfin, la REP a vocation à soutenir le développement d’alternatives, telles que la seconde main ou la consigne pour réemploi des bouteilles. Mais alors que la loi AGEC a fixé un objectif de réduction de 15 % des quantités de déchets ménagers et assimilés (DMA) produits par habitant d’ici à 2030 par rapport à 2010, ceux-ci ont connu une hausse de 5% entre 2019 et 2021, passant de 580 kg / habitant à 611 kg / habitant, selon l’ADEME.
Dans son rapport “Pollueurs, pas payeurs : un bilan de la responsabilité élargie des producteurs”, Zero Waste France montre que la REP manque son objectif de contribuer à la prévention des déchets.
Des tendances préoccupantes dans 4 secteurs phares
Zero Waste France prend part aux instances consultatives de suivi des filières soumises à la REP. A ce titre, l’association a pu élaborer une analyse critique des données publiques clés en matière de prévention et réduction des déchets dans 4 filières emblématiques : les emballages ménagers ; les textiles ; les équipements électriques et électroniques ; et les éléments d’ameublement.
Ces 4 filières représentent plus de 60% du volume des déchets gérés via la REP en France. “Dans toutes ces filières, nous observons sur la période 2017-2022 une tendance de fond à la hausse des quantités de produits commercialisées”, détaille Bénédicte Kjaer Kahlat. “Cette augmentation va jusqu’à 60% pour les équipements électriques et électroniques et 88% pour les éléments d’ameublement, et ce, malgré une baisse conjoncturelle dans ces secteurs en 2022, liée à la crise économique et à l’inflation”.
Pollueur-payeur ou pollueur-décideur ? Le conflit d’intérêt au coeur-même de la REP
Le réemploi et la seconde main se développent de manière très insatisfaisante. Dans le secteur des emballages, le développement du réemploi, via notamment la consigne, souffre d’une absence de soutien et de pilotage de l’Etat ; dans le secteur des équipements électriques et électroniques, les équipements collectés et réemployés via les éco-organismes ne représentent même pas 1% du total des produits commercialisés. En cause selon Zero Waste France : le conflit d’intérêt au cœur-même de la REP.
“Dans le système actuel, les industriels fixent leurs propres règles et ne paient pas à la hauteur des pollutions qu’ils causent : au lieu du principe pollueur-payeur nous sommes dans une situation de pollueur-décideur”.
Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de Zero Waste France
“Par exemple dans le cas du réemploi, comme ils n’ont aucun intérêt à encourager un modèle qui viendrait concurrencer leurs produits neufs, et comme la loi ne fixe aucune trajectoire ambitieuse, ils font le strict minimum. Dès lors, il ne faut pas s’étonner du développement poussif de cette filière”.
Charlotte Soulary, responsable du plaidoyer de Zero Waste France
Face aux pollutions, le besoin d’interdictions
En aval, la part des déchets mise en décharge ou incinérés peine à diminuer. Par exemple, près de la moitié des meubles jetés (47%) finissent enfouis ou brûlés en incinérateur.
Pour une reprise en main démocratique de la REP
Pour une politique publique efficace de prévention des déchets, Zero Waste France détaille dans son rapport plusieurs propositions pour réformer en profondeur la gouvernance de la REP. L’association souligne la nécessité pour les pouvoirs publics d’aller au-delà de ce seul mécanisme, pour une pleine application du principe du pollueur-payeur.
Les propositions de Zero Waste France pour réduire plus efficacement les déchets
- Mettre en place une instance indépendante de régulation et de sanctions, afin de renforcer les mécanismes de contrôle.
- Appliquer des pénalités financières réellement dissuasives pour les marques en fonction du nombre de produits commercialisés et de leur impact environnemental tout au long du cycle de vie.
- Fixer des objectifs contraignants de prévention des déchets et des trajectoires de réduction de la production dans les différentes filières, afin de respecter la limite de +1,5°C fixée par l’Accord de Paris.
- Adopter des mesures fiscales à même d’intégrer les coûts environnementaux dans le signal prix des produits polluants et à usage unique.
- Interdire les matières non recyclables et/ou nocives pour la santé et l’environnement.
- Soutenir l’émergence d’alternatives, notamment le réemploi, la seconde main et la réparation.
Traité mondial sur la pollution plastique
A l’occasion des négociations internationales pour mettre fin à la pollution plastique, Zero Waste France se mobilise aux côtés de ses partenaires associatifs afin de demander l’adoption d’une réglementation ambitieuse mettant en œuvre le principe pollueur-payeur dans le traité mondial contre la pollution plastique.
La note ci-dessous s’appuie sur un bilan des filières françaises, leurs bonnes pratiques comme leurs lacunes, afin de fournir des recommandations pour une bonne mise en œuvre du système REP au niveau national, ainsi que pour une pleine application du principe pollueur-payeur dans le futur traité international contre la pollution plastique.