Commentaire de Nina Lagron, CFA, Responsable Gestion Actions Grandes Capitalisations, La Française AM
Les élections américaines ne devraient pas changer la donne
Alors que le monde entier attend avec impatience le résultat des élections américaines, un rapide retour en arrière nous rappelle que le choix du futur locataire de la Maison-Blanche n’a pas beaucoup d’importance pour les marchés financiers, qui dépendent principalement de réalités macro et micro économiques.
Les actions et les obligations ont prospéré durant les mandats de B.Obama et de D.Trump, tandis que le dollar américain s’est renforcé de façon marginale sous B.Obama et s’est affaibli sous D.Trump. Les petites différences de rendement enregistrées durant les mandats de ces deux présidents ne justifient en rien l’angoisse des investisseurs.
Est-ce que la politique a un impact significatif sur les secteurs ?
A nouveau, la réponse est assez simple, comme l’illustrent les deux séries chronologiques qui montrent le rendement de divers secteurs sous les ères B.Obama et D.Trump. Le changement de Président n’a eu que très peu d’impact sur le classement du rendement des secteurs du S&P.
- Sous B.Obama et D.Trump, les trois secteurs les plus performants étaient les mêmes : la consommation cyclique, les valeurs technologiques et la santé
- En outre, sous ces deux administrations, les deux secteurs les moins performants étaient le secteur financier, suivi de l’énergie.
Cette répartition sectorielle contredit les prévisions, nourries au début de la présidence de D.Trump :
- À l’époque, l’espoir qu’une vague de dérèglementation stimule la rentabilité était élevé dans le secteur financier. Mais ce secteur se retrouve une nouvelle fois à l’avant-dernière place.
- Avec toutes les promesses de D.Trump visant à « restaurer la grandeur des États-Unis », à relocaliser des emplois manufacturiers et à imposer des barrières douanières à la concurrence « déloyale », les investisseurs s’attendaient à ce que le secteur industriel prospère durant son mandat. Cependant, celuici termine à la sixième place, tout comme sous la présidence de B.Obama.
- Avec un ancien promoteur immobilier à la Maison-Blanche, de nombreuses personnes s’attendaient à un meilleur rendement du secteur immobilier. Bien que profitant de taux d’intérêt extrêmement bas, les valeurs immobilières sont passées du pied du podium durant les années B.Obama, à la huitième place sous D.Trump.
- Les grandes entreprises technologiques, ouvertement hostiles à D.Trump, s’attendaient à subir la loi d’un Président vindicatif déchaînant les enfers de la réglementation sur les acteurs majeurs du secteur, mais ce ne fut pas le cas.
- Bien que positif, le rendement généré par les énergies fossiles était mauvais durant les années B.Obama. Durant les années D.Trump, l’énergie était le seul secteur à afficher un rendement négatif, ce qui est assez inhabituel pour une administration républicaine, en particulier celle de D.Trump, qui s’est félicitée d’avoir allégé le fardeau réglementaire des sociétés d’extraction d’énergies fossiles.
Ces quatre premiers points peuvent s’expliquer relativement simplement en citant l’ancien président Bill Clinton « C’est l’économie, imbécile ! », ce qui signifie que les tendances globales fondamentales à long terme ne peuvent pas être modifiées. Néanmoins, le dernier point concernant l’énergie mérite une analyse plus approfondie, en particulier du point de vue de l’investissement durable :
Les énergies fossiles ne sont certainement pas la chasse gardée des Républicains. Durant les années Obama, la production américaine de pétrole a augmenté de plus de 75 %, car la fracturation hydraulique et le forage horizontal permettaient d’extraire les hydrocarbures efficacement des roches. C’est également le président B.Obama, qui, non seulement, signa un projet de loi mettant fin à 40 ans d’embargo sur les exportations de pétrole brut, mais permit également au projet d’oléoduc Keystone, vivement critiqué, d’avancer.
Malgré les grandes promesses de campagne du candidat D.Trump, la production d’électricité au charbon chuta de près de 25 % durant sa présidence, en raison du prix bon marché de l’essence et de la baisse des prix des énergies renouvelables. En 2016, le charbon américain a produit deux fois plus d’électricité que les énergies renouvelables. En 2020, l’électricité renouvelable est sur le point d’atteindre le niveau de production d’électricité au charbon, selon les dernières prévisions du gouvernement.
Cependant, si D.Trump est réélu, il y a un plus grand risque que ses nouvelles règles deviennent permanentes, en particulier si la Cour Suprême, qu’il a abondamment dotée en personnel durant sa présidence, confirme son interprétation du « Clean Air Act », et que les centrales à charbon restent plus longtemps en activité et émettent davantage de gaz nocifs. Toutefois, elles n’empêcheraient pas le secteur de connaître un déclin. Si cette tendance de fond se confirme, un plus grand nombre de centrales à charbon aura fermé durant les quatre années (2017-2020) de l’administration Trump (correspondant à une puissance estimée de 42 000 MW) que durant le deuxième mandat de B.Obama (2013-2016) (environ 35 000 MW).
De plus, si l’administration actuelle reste à la Maison-Blanche, il est probable que les véhicules les moins économes en carburant resteront en circulation, stimulant ainsi la demande de pétrole. Les centrales à charbon pourraient omettre d’installer de nouveaux épurateurs, les rendant ainsi plus polluantes et, en baissant leurs coûts, prolongeant leur durée de vie. Il serait plus difficile de freiner les émissions de méthane, un gaz à effet de serre qui, sur une période de 20 ans, est 84 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. D’autres terres pourraient faire l’objet de forages, y compris la Réserve nationale de l’Arctique.
Néanmoins, rien de tout cela n’assurerait la renaissance du secteur du charbon ni une augmentation soutenue de la production pétrolière et gazière.
L’ambitieux programme d’énergie verte de J.Biden
Même si le soutien de D.Trump à l’industrie des énergies fossiles n’a eu que très peu d’effets pour améliorer ses perspectives fondamentales, l’industrie préfèrerait de loin un deuxième mandat de D.Trump à celui de J.Biden, son adversaire démocrate, qui fait du changement climatique et des technologies propres sa priorité absolue.
Le plan de dépenses dans les infrastructures et l’énergie verte de 2 billions de dollars américains comprend 1,7 billions de dollars en dépenses d’énergie verte sur une période de dix ans, augmentant le budget actuel de moins de 100 milliards de dollars par an. Le candidat démocrate n’interdirait pas la fracturation hydraulique en soi, mais il chercherait à mettre fin aux nouvelles concessions de pétrole et de gaz sur les terres fédérales.
Les efforts de J.Biden visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre sont encore plus importants. Il vise en particulier l’énergie verte et soutient l’infrastructure et les véhicules électriques, ce qui aurait pour effet de diminuer la forte demande d’hydrocarbures et d’entraîner un réel changement :
- Parmi les objectifs de J.Biden figurent la réduction de 50 % de l’empreinte carbone du parc immobilier d’ici 2035 et la réalisation d’investissements substantiels dans l’efficacité énergétique des bâtiments existants, notamment en procédant à quatre millions de rénovations.
- Afin de parvenir à l’objectif de 100 % d’électricité décarbonnée d’ici 2035, J.Biden propose d’augmenter les crédits d’impôt pour l’efficacité énergétique et l’énergie propre, et d’installer des millions de panneaux solaires et des milliers d’éoliennes terrestres et marines. En 2019, les combustibles fossiles représentaient encore près de 63 % de la production américaine d’électricité, selon l’ « Energy Information Administration ».
Le souhait du candidat démocrate, à la base de ces objectifs ambitieux, est de rejoindre l’Accord de Paris sur le climat et ainsi de montrer au monde la voie à suivre pour réduire les émissions de CO². J.Biden comprend la science derrière le changement climatique et les menaces imminentes pour l’économie et la population américaines qui en découlent. Les Démocrates semblent être bien conscients du coût de l’inaction et du prix à payer sur les plans humanitaire et économique si ces mesures sont encore retardées.
Si les États-Unis reprenaient le leadership en matière de réduction des émissions de CO², cela enverrait un signal fort à tous les pays encore indécis ou retardant leurs efforts au respect de l’Accord de Paris.
Les marchés boursiers anticipent depuis quelques temps le déclin des grandes sociétés pétrolières et, depuis le début de l’année, l’indice S&P Global Clean-Energy affiche une performance de plus de 70 % (en date du 23 octobre 2020). Bien avant que la Covid-19 n’ait ravagé la demande de pétrole, les investisseurs s’étaient précipités sur le gaz de schiste américain, las des médiocres rendements et de la nécessité continue de réinvestissement. Sous l’ère Trump, la capitalisation boursière des grandes sociétés pétrolières a accéléré leur déclin.
Alors que l’industrie pétrolière américaine souffre, son représentant ayant la plus forte capitalisation boursière, la société NextEra, a vu son rendement grimper en flèche. NextEra est déjà le premier producteur d’électricité éolienne et solaire. Lors de ses derniers résultats financiers d’octobre, la direction a déclaré avoir à présent environ 15 gigawatts de projets d’énergies renouvelables en préparation, plus que son portefeuille complet d’énergies renouvelables existant. Une grande partie de ses parcs solaires et éoliens se trouve sur des territoires profondément républicains, la Floride et le Texas par exemple, comme la plupart de ses installations de production existantes. En raison de leur bas coût d’installation et du faible coût de maintenance, les énergies renouvelables ont gagné la course économique.
Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle américaine à venir, rien n’arrêtera les tendances globales fondamentales structurelles qui l’emporteront sur n’importe quelle décision de principe à court terme, quel que soit le secteur.
Au sein du secteur de l’énergie, ces tendances sont accentuées par la crise climatique, et tout leader ou candidat devrait garder à l’esprit son risque inhérent et ses coûts et pertes potentiels.
Si l’on peut espérer qu’une administration Biden ne ferait pas que corriger certains des effets négatifs réglementaires engendrés par la plupart des administrations précédentes, un nouveau mandat de l’administration actuelle continuerait de reporter un grand nombre des changements nécessaires pour combattre la catastrophe climatique.
Toutefois, sur le plan international, une présidence Biden pourrait avoir un impact plus significatif, en particulier si les tensions géopolitiques générales diminuaient et que des efforts climatiques concertés menés par les États-Unis, l’Europe et la Chine gagnaient en consistance.
Quel que soit le résultat de la future élection présidentielle américaine, les marchés financiers continueront d’anticiper la fin des énergies fossiles, une application plus stricte du principe du pollueur-payeur et la baisse de la demande aux perspectives déjà désastreuses, espérant des rendements encore plus élevés pour cette industrie dont les perspectives sont de moins en moins réjouissantes.