La Fabrique Écologique présente sa nouvelle note : « Rendre utile la COP21, De l’international au national : l’impact des négociations climatiques sur l’action publique ». L’étude, menée en partenariat avec l’association CliMates et basée sur une enquête inédite menée dans 16 États et 5 collectivités territoriales, présente une grille de lecture novatrice de cette conférence prévue à Paris début décembre. En s’interrogeant sur les critères à retenir pour évaluer le succès d’une COP, cette publication refuse défaitisme et fatalisme. Elle propose une vision claire et réaliste, soulignant que le faible impact direct que peuvent avoir ces conférences internationales ne doit pas éclipser leurs multiples effets positifs indirects. C’est également dans cette démarche que La Fabrique Ecologique publie ce mois-ci son premier livre, « Pourquoi attendre ? Innover pour le climat« , reprenant les idées les plus fortes et innovantes proposées ces derniers mois par les différents groupes de travail lancés par l’association.
SYNTHESE
Comment apprécier le moment venu les résultats de la COP21 ? Quels sont les éléments qui peuvent la rendre vraiment utile ? La Fabrique Ecologique et CliMates, sur la base d’une enquête internationale inédite et rigoureuse, le démontrent : l’important pour l’efficacité de l’action climatique n’est pas toujours ce que l’on croit. Le plus décisif sera l’engagement sur les objectifs et les étapes futures, des principes robustes de transparence et l’ampleur des engagements nationaux concrets pour un nouveau mode de développement. A quelques semaines de la COP21, que peut-on en attendre vraiment ? Il est fort probable que, comme pour les COP précédentes, il y aura un accord, encore faut-il savoir s’il est ou non satisfaisant. Face à l’ampleur du défi climatique et à la complexité de la négociation, il est urgent d’avoir une vision claire et précise de ce que peut apporter cette conférence internationale. Pour le mesurer, La Fabrique Ecologique et CliMates ont mené une enquête inédite sur l’impact ces dernières années des rendez-vous annuels des COP sur les politiques climatiques de 16 Etats et 5 collectivités territoriales. Cette enquête montre de nombreux paradoxes : le caractère juridiquement contraignant s’est révélé bien peu…contraignant, le sentiment d’échec a parfois masqué de vrais succès, la tenue même de la négociation a un fort impact au-delà même de son résultat. Elle permet de déterminer les facteurs les plus importants ayant d’ores et déjà conduit à l’action : la création d’un savoir partagé et de normes de transparence, l’obligation d’exemplarité pour les pays voulant peser dans la négociation, la recherche de co-bénéfices économiques et sociaux de l’action climatique dans la perspective d’un nouveau mode de développement, l’émergence d’une société civile climatique mondiale. Trop souvent, la COP21 est présentée comme une échéance, une date butoir pour régler le défi le plus complexe et le plus global jamais présenté à l’Homme : le dérèglement climatique. Présentée comme une énième « conférence de la dernière chance », la négociation de Paris risquerait de générer de nombreux « résignés du climat », alors qu’elle s’inscrit dans un processus à long terme dont il faut prendre toute la mesure. C’est pourquoi la note se conclut par deux propositions : 1) La première est de faire connaître les principaux éléments d’une grille de lecture des résultats de la COP21, permettant de manière réaliste de mesurer si cette conférence place l’action climatique sur la bonne trajectoire. Au-delà de la question évidemment majeure des financements, trois d’entre eux sont essentiels dans un accord qui devra bien sûr être universel et accepté par tous les pays : – un engagement le plus précis possible sur l’objectif à long terme et les étapes futures ; – un accord sur des principes robustes de transparence et de mesures, y compris sur les financements proposés ; – l’ampleur des dispositions concrètes annoncées dans les contributions nationales pour un nouveau modèle de développement. 2) La seconde insiste sur la nécessité de traiter, dans ou en marge de l’accord, de questions essentielles mais peu abordées dans le processus de négociation lui-même. Il est essentiel que la communauté internationale se saisisse de la question des ressources fossiles et en particulier du prix aujourd’hui très bas du pétrole et des matières premières, par exemple lors du sommet de chef d’Etat qui ouvrira la conférence. Il serait en outre très utile de consolider la dynamique engagée par les collectivités locales, avec le principe d’un système commun de mesure, et les entreprises. La note propose enfin que des engagements sectoriels soient prévus et encouragés pour la période d’ici 2020, qui ne sera pas de toute façon couverte par l’accord. Cette note est issue des travaux d’un groupe de réflexion réuni dans le cadre de La Fabrique Ecologique entre février et septembre 2015.Signataires
- Aurore BIMONT, ancienne présidente de CliMates, cheffe de projet COP21 au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, co-présidente du groupe de travail
- Géraud GUIBERT, président de La Fabrique Ecologique, co-président du groupe de travail
- Thomas DESAUNAY, docteur en sciences des matériaux, rapporteur du groupe de travail
- Pierre DUCRET, CDC, président de l’Institute for Climates Economics
- Sabine GIGUET, ingénieur et économiste dans le secteur de l’énergie
- Martin GUESPEREAU, chargé de mission auprès du Secrétaire Général au Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie
- Serge LEPELTIER, Président de l’Académie de l’Eau, ancien Ministre de l’Environnement, ancien Ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique
- Benoit MARTIMORT-ASSO, Responsable Pôle Prospective et Stratégie, Institut de Recherche pour le Développement et Membre du Comité Consultatif de CliMates
- Régis NICOLAS, volontaire à l’Association Scientifique et Technique pour l’Eau et l’Environnement, anciennement chargé de mission pour l’Union Européenne en Chine
- Zach TER-MINASSIAN, diplômé de Sciences Po Paris, a travaillé pour un cabinet de conseil environnemental Eco Act, le REDD+ en Indonésie et le Centre pour la recherche internationale en foresterie (CIFOR).
- Bindu BHANDARI (Népal) membre de plusieurs associations visant à sensibiliser et mobiliser les jeunes autour des enjeux climatiques.
- Alexandra GAVILANO (Pérou), doctorante à l’Université de Bern sur l’analyse de politiques publiques pour l’adaptation au changement climatique.
- Imelda (Australie), étudiante en master sur les politiques publiques et la gouvernance climatique à l’Université de Tasmanie.
- Monica LAFON (Mexique), analyste politique dans la Délégation Mexicaine à l’OCDE.
- Clément METIVIER (Etats-Unis) coordinateur de COPinMyCity France et Amérique du Nord dans CliMates, anciennement étudiant à l’Université de Californie et chargé de mission pour la COP21 à Los Angeles.
- Luan SANTOS (Brésil), chercheur au Centre pour des Etudes intégrées sur le Changement climatique et l’Environnement à Rio de Janeiro.
- Thauan SANTOS (Brésil), professeur d’économie et de relations internationales à l’Université Fédérale et l’Université Catholique Pontificale de Rio de Janeiro.
- Rifka SIBARANI (Indonésie), doctorant en économie de l’environnement à l’Université de Hawaï à Manoa.
- Soraya SOEMADIREDJA (Indonésie), en master en Sciences de l’Environnement, de la Politique et du Management, a travaillé au Conseil National pour le Changement Climatique en Indonésie.
- Martina SOPKOVA (Union Européenne), membre de l’Unité Stratégie énergétique à la Commission Européenne, ex-consultante sur les directives européennes en matière d’environnement
- Polina VOYLOKOV (Russie), chercheure à l’INRA à Paris Grignon.
- Satrio A. WICAKSONO (Indonésie), doctorant sur les impacts écologiques des précipitations en Indonésie à l’Université Brown aux Etats-Unis.
- Alix MAZOUNIE, Chargée des Politiques Internationales au Réseau Action Climat France
- Pierre RADANNE, Président de l’association 4D
- Céline RAMSTEIN, Chef de projet COP21 à l’IDDRI
- Arthur VETU, Conseiller au Cabinet du Président du Conseil Général du Nord
SOMMAIRE
I. L’IMPACT SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES DU PROCESSUS ET DU RESULTAT DES NEGOCIATIONS CLIMATIQUES – A. L’IMPACT DE L’EXISTENCE MÊME DU PROCESSUS DE NEGOCIATIONS – B. UN IMPACT RENFORCE DANS LES PAYS HÔTES – C. L’IMPORTANCE ET LES LIMITES DU CARACTERE JURIDIQUEMENT CONTRAIGNANT DES ENGAGEMENTS – D. L’IMPACT DE LA NEGOCIATION SUR LES GRANDS PAYS EMETTEURS DE GAZ A EFFET DE SERRE II. L’IMPACT DU CONTENU DES NEGOCIATIONS SUR LEUR EFFICACITE – A. LES CO-BENEFICES DE L’ACTION CLIMAT – B. L’ENJEU DES NEGOCIATIONS SECTORIELLES : L’EXEMPLE DE LA DEFORESTATION – C. L’INTEGRATION DES EXIGENCES DE L’ADAPTATION – D. LA PLACE DES AUTORITES LOCALES ET DES ENTREPRISES III. L’IMPACT DU PROCESSUS DE NEGOCIATIONS SUR LA PRISE DE CONSCIENCE COMMUNE – A. LA CREATION ET L’ACCEPTATION D’UN SAVOIR PARTAGE, NOTAMMENT GRACE AU GIEC – B. LA CREATION DE NORMES ET STANDARDS POUR REPONDRE A L’ENJEU PRIMORDIAL DE LA TRANSPARENCE – C. LA CONSTITUTION D’UNE SOCIETE CIVILE CLIMATIQUE MONDIALE CONCLUSION : FAIRE EN SORTE QUE LA COP21 SOIT LE PLUS POSSIBLE UTILE ANNEXE I ANNEXE II ANNEXE IIIINTRODUCTION
Chacun le sait, le défi climatique est immense, puisqu’il s’agit de l’avenir de l’espèce humaine sur Terre. Au-delà d’un certain seuil de réchauffement de deux degrés maximum, des évènements climatiques extrêmes risquent de se multiplier, des pays entiers d’être condamnés par la hausse du niveau de la mer, ou la sécheresse, le processus de dérèglement climatique de ne plus être maîtrisable. L’humanité toute entière est confrontée pour la première fois à des limites. Les émissions de gaz à effet de serre ont commencé leur accroissement lors des révolutions industrielles, elles concernent la plupart des activités humaines. Pour parvenir à relever le défi, la solidarité de tous les pays et citoyens du monde est obligatoire. La 21ème Conférence des Parties (COP21) de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) aura lieu en décembre 2015 au Bourget pour tenter de mettre d’accord les 196 Etats du monde sur une stratégie climatique à la hauteur. Les négociations internationales débutées il y a plus de 20 ans comportent tous les ans une session annuelle de négociation. Celle de Paris se situe à un moment crucial : la connaissance scientifique permet que le phénomène soit dorénavant bien connu, la prise de conscience de l’enjeu est largement partagée, les technologies propres à disposition ont fortement progressé. Encore faut-il que chacun s’engage à prendre des mesures suffisantes dans ce sens. Le format de ces négociations internationales a souvent été critiqué, à juste titre. Dans l’opinion publique, le scepticisme, voire la défiance, prévalent à l’égard de la capacité de ce processus à s’attaquer efficacement aux enjeux climatiques. Un sondage publié en mars 2015 révélait que 75% des Français jugent les chances d’aboutir à un accord « maigres, voire nulles »[[- Sondage BVA, Les Français et l’information sur le climat, 25 mars 2015.]] . Certains dénoncent la lenteur et la difficulté de clore de manière satisfaisante la séquence lancée à Durban en 2011[[La décision 2/CP.17 prévoyait le lancement d’un « processus en vue d’élaborer au titre de la Convention un protocole, un autre instrument juridique ou un texte convenu d’un commun accord ayant valeur juridique, applicable à toutes les Parties », à signer en 2015, pour une entrée en vigueur à partir de 2020]]. D’autres estiment, là encore à juste raison, que l’approche retenue dans ces négociations est trop partielle pour être satisfaisante, et que la question du climat doit être placée dans un cadre plus global traitant aussi de la santé, du développement, ou de l’organisation économique, financière et commerciale mondiale. Il reste qu’à court terme, aucune option alternative rassemblant tous les pays du monde n’est sur la table. C’est donc dans ce cadre qu’il faut se mettre d’accord sur les orientations pour agir. C’est ainsi qu’il nous a paru important d’analyser l’impact ces dernières années de ces négociations internationales sur les politiques et décisions publiques climatiques de chaque nation[[Cet indicateur de résultat est dans une telle problématique plus pertinent que la seule évolution des émissions de gaz à effet de serre, qui dépend de nombreux autres paramètres comme la démographie ou la croissance économique]]. C’est l’objet de l’enquête sur laquelle se fonde cette note, menée par La Fabrique Ecologique et CliMates dans 15 pays (dont l’Union européenne) et 5 autorités locales. Une enquête fondée sur vingt études de cas internationauxCette note est principalement basée sur une enquête internationale copilotée par CliMates et La Fabrique écologique visant à analyser l’impact du processus de négociations climatiques sur les politiques publiques et sur la mobilisation des acteurs non-étatiques de 2009 à 2015, afin d’identifier les facteurs permettant de rendre la COP21 la plus utile possible. Elle s’est fondée sur les études de cas de 20 territoires (Etats et collectivités infranationales) menés par une quinzaine de jeunes experts issus du réseau de CliMates. Les territoires étudiés sont : l’Allemagne, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, les Emirats Arabes Unis, les Etats-Unis, la France, l’Indonésie, le Mexique, le Népal, le Pérou, la Russie, le Togo, l’Union Européenne, l’Etat de Californie, la province du Québec, la province d’Acre (Brésil), la province du Kalimantan central (Indonésie), la ville de New York. Ces experts du réseau CliMates sont pour la plupart des étudiants et des jeunes professionnels formés à l’analyse des politiques climatiques et à la mobilisation autour des négociations climatiques internationales. La plupart d’entre eux sont natifs ou ont vécu dans le pays/la collectivité qu’ils ont étudié. Certains contributeurs ont profité de cette opportunité pour réaliser des entretiens avec d’anciens négociateurs ou organisateurs de COP originaires de leur pays. Sur la base de leur expérience et de leurs travaux, et à partir d’un questionnaire qui leur a été envoyé, les contributeurs internationaux ont structuré leurs rapports autour de trois axes : – mesurer le degré volontarisme politique affiché par les gouvernements nationaux (ou locaux pour les collectivités locales) avant, pendant et après les négociations climatiques ; – évaluer l’effectivité et la qualité de mise en oeuvre des mesures opérationnelles mises en place ; – faire état du niveau de sensibilisation de l’opinion publique et de la mobilisation des acteurs non-étatiques (collectivités territoriales si l’étude de cas portait sur un Etat, société civile, entreprises, secteurs d’activité…). Cette note n’aurait pas été possible sans toutes ces contributions internationales. Les membres du réseau CliMates ne sont pas toutefois engagés par le contenu précis et les conclusions de cette note, qui sont sous la seule responsabilité de ses signataires.Cette analyse nous a semblé d’autant plus indispensable que les effets réels de ces négociations ont été à plusieurs reprises surprenants voire paradoxaux. Le protocole de Kyoto, en principe juridiquement contraignant, l’a été d’autant moins en pratique que des pays s’en sont affranchis ou en sont sortis sans conséquences. La COP15 de Copenhague en 2009, vécue comme un échec, a certes accru le scepticisme des citoyens quant à la possibilité d’une vraie mobilisation internationale pour le climat, mais a permis d’entériner l’objectif de deux degrés et a été suivie de nombreuses mesures de politiques climatiques nationales. La répétition année après année de négociations sans que les résultats soient à la hauteur de l’enjeu peut apparaître inutile ou lassante, mais elle joue un rôle majeur de prises de conscience et de mobilisation sur ces sujets. Il ne s’agit pas ici de minimiser l’importance de parvenir à des objectifs à la hauteur, de sous-estimer l’importance de financements suffisants, ou encore de nier l’urgence. L’idéal serait bien sûr de parvenir à un accord ambitieux, universel, contraignant et permettant de limiter le réchauffement global à 2°C ou moins à l’horizon 2100. Mais à quelques semaines de la COP21, il est utile d’identifier – sur la base de l’expérience de ces dernières années – ce qui dans le processus multilatéral a le plus d’efficacité pour faire agir les autorités publiques dans les différents pays. Cette analyse permettra de proposer, en conclusion de cette note, quelques éléments de lecture et d’appréciation des futurs résultats de la COP21, en mettant l’accent sur les aspects qui paraissent le plus important pour une action climatique la plus intense et efficace possible. Aujourd’hui, les interrogations sont nombreuses sur l’issue possible de ces négociations. Les déclarations oscillent entre un certain fatalisme sur leur rythme et leur portée réelle ou un optimisme en particulier sur la mobilisation de la société civile. Nous ne voulons pas que l’attente et l’espoir soient déçus sur la base d’une analyse erronée de ce qui se passera à Paris, au risque de fortement ralentir l’action climatique dans les années qui suivront. C’est le principal objectif de la présente note.
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– Télécharger la Note Rendre utile la COP21, De l’international au national : l’impact des négociations climatiques sur l’action publiqueA propos de La Fabrique Ecologique
La Fabrique Ecologique, fondation pluraliste et transpartisane de l’écologie, réfléchit, lance des débats et élabore des propositions concrètes en matière d’écologie et de développement durable. Elle réunit pour cela des experts de toutes sensibilités politiques et d’horizons divers. Des notes de référence sont publiées à partir de l’activité de groupes de travail et une place toute particulière est donnée au débat collaboratif au travers des ateliers co-écologiques.