Le nuage radioactif lié à l’accident nucléaire au Japon est arrivé en France mercredi. Les retombées radioactives du nuage émis par la centrale japonaise de Fukushima seront très faibles. Elles pourraient même ne pas être détectées selon la ministre Nathalie Kosciusko-Morizet et ne nécessitent pas « de précautions particulières pour la santé », a-t-elle encore assuré. Aucune hausse anormale de la radioactivité n’a été mesurée mercredi, jour du passage du nuage radioactif japonais en France, par les 170 balises de contrôle de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), a dit jeudi l’établissement public. Outre les mesures des balises, des prélèvements effectués sur plusieurs jours dans différents points du territoire montrent des résultats eux aussi inférieurs aux limites de détection des appareils utilisés. Seul un échantillon de lait de chèvre à Gréoux-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence) présente des traces de radioactivité dues aux essais nucléaires français de 1960 à 1996 et à la catastrophe de Tchernobyl, a dit l’IRSN. Ce que confirme également la très sérieuse et indépendante Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad).
Depuis dix jours, « des stations de mesures réparties sur l’ensemble de notre planète enregistrent les niveaux de radioactivité de l’air et suivent pas à pas l’évolution de la radioactivité dans l’espace et dans le temps mais veillent jalousement à ce que ces données restent secrètes », constate cependant la Criirad. « Nous sommes sereins mais restons vigilants, notamment par rapport aux pluies qui doivent arriver en fin de semaine et pourraient entraîner des dépôts de radioactivité, mais faibles », explique Roland Desbordes, écologiste fervent à la tête de la Criirad depuis 1997. Cette association créée après l’accident de Tchernobyl en 1986 dans une région touchée par son nuage dispose de six balises de mesures dans le bassin du Rhône (à Péage-de-Roussillon, Romans, Valence, Montélimar et deux à Avignon dont une aquatique), non loin des centrales de Saint-Alban, de Cruas ou encore du Tricastin. Très sollicitée par les pouvoirs publics, les citoyens et les médias, la Criirad a réalisé un document provisoire en date du 22 mars qui s’efforce de faire le point sur les niveaux de contamination attendus en France. Nous le publions intégralement ci-dessous : Les mécanismes qui diminuent de la radioactivité de l’air La centrale nucléaire de Fukushima Daiichi rejette dans l’atmosphère, depuis 10 jours, tout un cocktail de produits radioactifs. Schématiquement, 3 mécanismes concourent à abaisser les niveaux de contamination et par conséquent les niveaux de risque : 1/ les émissions radioactives sont progressivement diluées dans des volumes d’air de plus en plus importants. Ceci conduit évidemment à une baisse de la concentration de l’air en produits radioactifs (ou plus exactement à une baisse de l’activité de l’air qui s’exprime en Bq/m 3). L’air que les populations sont susceptibles de respirer est ainsi de moins en moins radioactif. Note : c’est ce que Roger Belbéoch appelle la démocratisation du risque : les niveaux d’exposition sont plus faibles mais un bien plus grand nombre de personnes est touché. 2/ les produits radioactifs présents dans l’air se déposent progressivement au sol, ce qui conduit à appauvrir progressivement le panache et à abaisser d’autant sa dangerosité. Deux mécanismes convergent : les dépôts secs, qui se produisent en permanence, quelles que soient les conditions météorologiques, et les dépôts humides, plus intenses, qui sont provoqués par la pluie ou la neige. En tombant, elles lessivent en effet les masses d’air contaminé, précipitant au sol (ou sur les océans) les particules radioactives en suspension (aérosols) et les gaz solubles (c’est le cas des iodes radioactifs). Il faut espérer à ce propos que les panaches radioactifs restent le plus longtemps possible sur le Pacifique et l’Atlantique où l’impact des retombées est moindre d’un point de vue sanitaire. 3/ l’activité des produits radioactifs diminue dans le temps : pour certains, comme le césium 137 ou le krypton 85, très lentement ; pour d’autres, assez rapidement. Le rythme de décroissance est déterminé par la période radioactive de chaque radionucléide. Celle de l’iode 131 est de 8 jours. Cela signifie qu’en 1 période, soit 8 jours, l’activité initiale est divisée par 2 ; en 2 périodes, soit 16 jours, par 4 ; en 3 périodes, par 8, etc. NB : la période radioactive ne suffit pas à déterminer le temps pendant lequel un produit radioactif reste dangereux. Il faut également tenir compte de l’activité initiale. Si l’activité initiale de l’iode est de 80 Bq, un mois plus tard, soit après 4 périodes, elle sera divisée par 16. Il ne restera « que » 5 Bq ; mais si l’activité initiale est de 8 000 Bq, un mois plus tard, il reste encore 500 Bq. L’impact de ces 3 mécanismes – dilution, dépôts, désintégration – augmente évidemment avec le temps et la distance. Le passage des panaches radioactifs sur l’Amérique du Nord Via l’océan pacifique, la France est située à près de 15 000 km des côtes japonaises. En utilisant le logiciel HYSPLIT du NOAA américain (http://ready.arl.noaa.gov/HYSPLIT.php), la CRIIRAD a modélisé les trajectoires des rejets émis à Fukushima. Il s’agit du parcours des produits radioactifs rejetés le 12 mars à 12h TU (soit 21h Japon). La simulation est basée sur les données météorologiques du 12 mars 12h TU au 21 mars 06h00 TU archivées par le NOAA. Trois trajectoires sont considérées en fonction de l’altitude de départ des radionucléides : en vert notamment la trajectoire des particules radioactives émise à 50 mètres de hauteur (en bleu 500 mètres, en rouge 1 000 mètres, assez peu réaliste dans le cas de Fukushima). Selon cette modélisation, les premiers rejets radioactifs de la centrale de Fukushima Daiichi devaient atteindre la côte ouest des Etats-Unis et du Canada vers les 17-18 mars. Nous avons alors recherché des sites Internet susceptibles de donner des résultats d’analyse ce qui nous aurait permis d’établir un bilan intermédiaire des niveaux de contamination et de risque. En suivant l’évolution des concentrations tout au long de la traversée des Etats-Unis, nous espérions pouvoir anticiper plus précisément l’impact sur la France. Nous avons effectivement trouvé des résultats, notamment auprès de l’Environmental Protection Agency. Malheureusement, ces résultats ne portent pas sur l’activité volumique mais sur les taux d’émission bêta et gamma des dépôts collectés sur des filtres à air. Ils ne permettent d’apprécier ni les risques d’inhalation de radionucléides, ni l’intensité des dépôts au sol. L’évolution dans le temps de ces paramètres montre en revanche une augmentation qui est, selon toutes probabilités, liée au passage de masses d’air contaminé, vu sa cohérence avec les dates qui figurent sur les modélisations de trajectoires. Les estimations publiées par l’IRSN L’IRSN a annoncé qu’en France, l’activité de l’air en césium 137 serait de l’ordre de 1 mBq/m3. Pour quantifier les rejets, l’IRSN indique qu’il « n’a pas de données de mesure directe sur la composition et l’ampleur des rejets radioactifs, mais dispose d’informations techniques sur les installations accidentées », précisant : « l’interprétation de ces informations a permis à l’IRSN d’élaborer des scénarios probables de dégradation des 3 réacteurs depuis le 12 mars, en s’assurant de leur cohérence avec les mesures de débit de dose obtenues sur le site. L’IRSN a également retenu l’hypothèse que ces rejets se poursuivent jusqu’au 20 mars ». A noter que le dossier scientifique associé n’a pas été publié. A partir des rejets estimés par l’IRSN, Météo France a simulé la dispersion des rejets radioactifs à très grande distance, projetée jusqu’au 26 mars. Selon cette simulation, le panache radioactif devrait atteindre la France à partir du 23 ou du 24 mars. L’IRSN précise que « les concentrations attendues à terme, d’après cette modélisation, pourraient être de l’ordre de 0,001 Bq/m3 en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer de l’hémisphère nord. Comme attendu, l’hémisphère sud n’est pas significativement affecté par cette dispersion à grande échelle. » ESTIMATION PRELIMINAIRE DES NIVEAUX DE RISQUE PAR LA CRIIRAD Sur la base des éléments qu’elle a pu collecter, la CRIIRAD considère que :- le risque d’irradiation1 par les masses d’air contaminé sera négligeable (les personnes qui disposent d’un radiamètre ne devraient pas mesurer d’augmentation du bruit de fond ambiant mais nous invitons les personnes qui sont équipées à le vérifier : une mesure vaut mieux qu’une prévision) ;
- le risque associé à l’inhalation des aérosols et halogènes radioactifs présents dans l’air devrait être très faible. Les calculs de dose précisés ci-dessous indiquent que la mise en oeuvre de contremesures, notamment la prise de comprimés d’iode stable3, n’est pas justifiée. Nous avons essayé d’estimer les niveaux de dose résultant de l’inhalation des radionucléides dont la présence est documentée : césium 137, césium 134, iode 131, iode 132, iode 133 et tellure 132. Le premier calcul a été conduit pour une activité de 1 mBq/m3 pour le césium 137 (estimation donnée par l’IRSN) et de 125 mBq/m3 pour l’iode 131 (sur la base du rapport isotopique mesuré par TEPCO devant la centrale de Fukushima Daiichi le 19 mars 2011 à 12h – heure locale). Le calcul a été effectué en supposant que les panaches radioactifs restent présents sur la France pendant 1 semaine et sans que leur activité diminue.
- le risque d’irradiation des personnes par les produits radioactifs déposés sur les sols sera négligeable, n’induisant aucune augmentation mesurable du bruit de fond ambiant (là encore ceci pourra être facilement vérifié par des mesures radiamétriques) ;
- le risque lié à l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés par les retombées radioactives devrait rester limité. Le laboratoire de la CRIIRAD évaluera le plus rapidement possible les quantités de radioactivité déposées au sol (dépôts sec et dépôts liés aux précipitations) afin de vérifier les ordres de grandeurs attendus dans les aliments et de donner, si nécessaire, des conseils adaptés.
- Il s’agit de l’exposition des personnes aux rayonnements émis par les produits radioactifs présents dans les panaches et qui se désintègrent. Un peu comme on peut être exposé aux rayonnements ultra-violets émis par le soleil. Il n’y a pas d’incorporation de produits radioactifs ;
- Sous réserve cependant que les radionucléides significatifs sur le plan dosimétrique, mais qui n’ont pas fait l’objet de mesures, restent dans les rapports attendus. Il s’agit notamment des isotopes du strontium et du plutonium.
- En revanche, le contexte actuel peut amener chacun à réfléchir à l’équilibre de son régime alimentaire et à vérifier s’il n’est pas carencé en iode (la thyroïde a besoin d’iode stable pour fabriquer les hormones nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme). Rappelons également que lorsque la thyroïde est carencée en iode, elle fixe d’autant plus l’iode radioactif.