Il y a deux ans, le gouvernement Français ambitionnait une croissance verte avec des objectifs précis déclinés dans le Grenelle de l’environnement 1 et 2. On note toutefois depuis quelques semaines, un certain recul de cette volonté politique : les tarifs de rachat du solaire, les niches fiscales vertes, le crédit d’impôt …
Face à ce manque de visibilité et dans ce contexte réglementaire incertain, l’agence Open2Europe a choisi de réunir différents experts autour d’une table ronde le 15 septembre dernier pour échanger et partager ses expériences. Au cœur du débat : les freins de la croissance verte, la nécessité inéluctable de changement et de trouver des solutions pour soutenir cette croissance sur le long terme. Voici la synthèse des interventions.Aujourd’hui, quels sont les freins de la croissance verte ?
Arnaud Gossement – Avocat associé du Cabinet Huglo-Lepage & Associés, spécialisé en droit de l’environnement : « Le droit patine et déstabilise les PME ! » « La croissance durable est un principe juridique repris par les lois Grenelle 1 et Grenelle 2, qui déclinent les grands objectifs par secteur pour atteindre une croissance durable. La France a donc des objectifs clairs et ambitieux mais ne se donne pas forcément les moyens pour les réaliser. Le droit patine, il a fallu pas moins de 12 textes pour définir en deux fois (janvier et fin août) les règles du jeu du solaire, par exemple. Nous pouvons clairement dire que nous sommes face à un double problème de droit : d’une part, nous assistons à une profusion de règles instables, d’autre part, nous sommes face à une fiscalité verte qui se cherche : ce qui était qualifié hier de levier de croissance devient aujourd’hui une niche fiscale…rabotée ! Fort heureusement, la croissance verte n’est pas morte, loin s’en faut, mais il est urgent que l’état définisse sur 3/5 ans, des moyens clairs et stables pour atteindre les objectifs visés. Sans cette stabilité, le droit risque de décourager un grand nombre de PME et seuls les grands opérateurs vont se partager le marché. » Anouck Colson – Directrice Déléguée de SolarWall Europe : « La France, ce millefeuille administratif ! » « SolarWall est une société nouvelle en France et leader dans le monde sur le marché du chauffage solaire de l’air : le Système SolarWallTM fait partie des technologies solaires les plus attractives et les plus testées au monde. Cependant, ce qui était un atout à l’étranger est devenu un frein au développement en France : lorsque l’on est nouveau, on a tendance à faire peur. Comment faire alors pour rassurer et asseoir notre légitimité ? Pour ce faire, nous essayons d’obtenir des reconnaissances techniques de la part des institutions publiques. En France, il vaut mieux être cautionné par le gouvernement pour être crédible. A force de persévérance, nous avons ainsi obtenu notre premier Avis Technique courant de l’été 2010 et reçu l’appui du Fonds chaleur de l’ADEME. Ces démarches encourageantes restent toutefois de véritables barrières pour les technologies vertes, à forts potentiels, qui essayent de pénétrer le marché français. Elles nuisent à la compétitivité, la créativité et l’emploi. » Stéphane Maureau – Président et fondateur d’EVASOL : « Une volonté politique indispensable » « La volonté politique d’aller ensemble vers une croissance verte est indispensable. Le secteur du solaire a encore besoin d’aides à court terme, avant de devenir une énergie compétitive à moyen terme : le kilowattheure solaire photovoltaïque s’imposera dans le mix énergétique français, sans faire appel ni au crédit d’impôt ni au tarif d’achat, dans moins de 5 ans dans le Sud de la France et dans moins de 10 ans dans le Nord. Il serait donc absurde de casser le développement d’une filière en coupant trop rapidement les soutiens dont elle a besoin pendant quelques années. Ces aides sont là pour amorcer un marché : ce sont des booster qui permettront de faire de l’économiquement viable et d’anticiper le mix énergétique de demain. » « Sortir de la culture des grands » « Grâce au Grenelle, la France a réussi à amorcer le décollage d’une filière photovoltaïque : après 3 années de soutien, le marché du solaire français sort de l’ombre. Toutefois, nous sommes loin d’avoir atteint nos objectifs : le Grenelle vise un minimum de 5400 MW raccordés au réseau en 2020. Or fin juin 2010, la France ne comptait que 420 MW raccordés (contre près de 15 000 MW en Allemagne !), soit moins de 8% de l’objectif. Ceux qui laissent entendre que l’objectif est presque atteint confondent les installations réelles et les projets enregistrés en file d’attente chez ERDF, dont la plupart ne seront d’ailleurs jamais réalisés. Il y a aujourd’hui une prédominance de la culture des grands qui protègent leur marché. »La croissance verte est une réalité inéluctable
René-Louis Perrier – Président d’EcoLogic : « La croissance verte passe par la décroissance matière » « Si on assiste à une croissance aujourd’hui, elle doit être verte ! Même s’il existe des résistances au changement, elle va s’imposer tout naturellement car nous n’avons plus le choix. Face à la raréfaction des matières premières, la France et l’Europe doivent se tourner vers un autre modèle : nous devons recycler nos déchets. La France doit vite se positionner sur le recyclage car notre gisement de déchet représente une manne importante et les compétences et la compétitivité que nous développons sur ces secteurs seront les emplois de demain. Le recyclage est l’un des enjeux stratégiques pour l’Europe : elle permet de participer à la décroissance incontournable de notre consommation des ressources de la planète sans pour autant s’engager dans une spirale descendante de nos économies. »Comment soutenir une croissance verte sereine sur le long terme ?
Stéphane Maureau : « Miser avant tout sur la qualité, la sécurité et le recyclage » « Le secteur du photovoltaïque est aujourd’hui en phase d’amélioration continue : les professionnels sérieux du photovoltaïque se sont organisés pour promouvoir les bonnes pratiques en terme de qualité, de sécurité et de recyclage. En à peine 3 ans, les acteurs du secteur ont déjà mis en place une filière de formation, des normes de Qualité & Sécurité et des procédures de recyclage des panneaux photovoltaïques qui ont été expérimentées avec succès. Seuls les acteurs sérieux qui misent sur ces aspects deviendront de vrais champions. » « Les partenariats, des solutions d’avenir » « Chez EVASOL, nous n’hésitons pas à court-circuiter les lourdeurs administratives, en les contournant grâce à des partenariats avec des entreprises novatrices. Par exemple, l’un des sujets qui reste sensible au développement de la filière est l’assurance. Conscient de cet enjeu, EVASOL a établit un partenariat global avec l’assureur AXA pour répondre dès aujourd’hui aux questions assurantielles qui se poseront sur le photovoltaïque dans les prochaines décennies. » Thierry Bièvre – Directeur Général de la société Elithis Ingénierie : « Favoriser le changement et l’interdisciplinarité » « Aujourd’hui les individus avancent chacun de leur côté, or générer une croissance verte passe par des actions combinées : c’est en connectant habilement des cerveaux entre eux que l’on fait naître des idées nouvelles et des innovations. En effet, il s’agit de composer avec ces richesses inestimables et inépuisables que sont la matière grise, l’écocitoyenneté et le talent pour mettre au jour de nouvelles solutions qui assureront le bien-être des générations futures. La croissance deviendra verte grâce au changement et à l’interdisciplinarité. Il faut décloisonner, s’appuyer sur la R&D, sur les partenariats et les alliances afin d’émuler la matière grise pour moins d’énergie grise. » René-Louis Perrier : « Eco-concevoir, une des clés de la croissance verte » « L’éco-conception a de l’avenir et sera très certainement une opportunité de différenciation et un facteur de compétitivité future. Elle relève d’une véritable volonté de prendre en compte, dans la fabrication des produits, toutes les étapes du cycle de vie du produit de manière à limiter ses impacts sur l’environnement. Contrairement aux idées reçues, l’éco-conception n’est pas synonyme de coûts de fabrication augmentés. Ce principe vertueux, qui accompagne une évolution profonde de la société, sera une des clés de la croissance verte. » Arnaud Gossement : « Passer d’une industrie lourde à une industrie légère » « La croissance verte à long terme est une réalité. Les pouvoirs publics ont la volonté et des bonnes idées mais il faut simplifier la règle du jeu. Le problème n’est pas la volonté politique mais la culture politique. Nous avons en France une histoire liée à l’industrie lourde, or nous avons besoin d’une culture de l’industrie légère pour les énergies renouvelables afin de mettre en place des lignes directrices simples et claires. Les entreprises sont demandeuses de cadres, gages de qualité, de temps, de changement, et de visibilité. »