Ce décret suspend pendant 3 mois l’obligation pour EDF et les distributeurs non nationalisés de conclure un contrat d’achat de l’électricité photovoltaïque aux conditions tarifaires actuellement applicables. Il prévoit que cette suspension ne s’applique pas :
- aux installations dont la puissance crête est inférieure à 3 kW.
- aux installations pour lesquelles le porteur de projet a accepté la proposition de raccordement faite par le gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010. Le bénéfice de l’obligation d’achat est alors conditionné à la réalisation de l’installation dans les 18 mois à compter en vigueur du décret lorsque la proposition de raccordement a été acceptée il y a plus de 9 mois.
Excepté ces deux cas, à l’issue de la période de suspension, les demandes déposées avant la date d’entrée en vigueur du décret devront faire l’objet d’une nouvelle demande de raccordement. Elles bénéficieront du cadre tarifaire qui sera décidé à la suite de la concertation actuellement en cours.
Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, Christine LAGARDE et Eric BESSON rappellent que cette concertation est engagée sur le nouveau cadre de régulation tarifaire ainsi que sur l’avenir de la filière photovoltaïque. Le pilotage de cette mission a été confié à Jean-Michel CHARPIN, Inspecteur général des Finances, et Claude TRINK, Ingénieur général des Mines. Une première réunion est d’ores et déjà programmée le 20 décembre prochain.
Qui est concerné par le moratoire
Ce décret vient protéger les opérateurs positionnés sur les kits de 3 kW destinés aux toits des particuliers, puisque seules les demandes concernant des puissances inférieures à 3 kW ne sont pas gelées. En France, il s’agit avant tout la filiale de Total Tenesol, créateur, fabricant, installateur et exploitant de systèmes photovoltaïques basé à Lyon, et d’Evasol, l’installateur spécialiste des installations photovoltaïques pour les particuliers basé à Toulouse. Cependant dans un communiqué de presse, la société Tenesol estime que "ce moratoire peut avoir pour effet de fragiliser le secteur par un manque de visibilité pour au moins 6 mois et par une perte de confiance en l’énergie solaire photovoltaïque". Le groupe indique que "même si 50% de son activité se développe à l’international" et que son chiffre d’affaires "a progressé ces dernières années (2007 : 130M€ - 2010 : 300 M€), Tenesol a besoin, comme tout industriel, d’un marché national fort pour poursuivre son développement". Tenesol, premier producteur français de panneaux photovoltaïques, "entend bien faire valoir l’importance cruciale qu’il y a à préserver la production française, non seulement créatrice d’emplois, mais aussi génératrice d’innovations spécifiques au marché français".
Mais les plus touchés par ce moratoire, ce sont bien les opérateurs de la filière positionnés sur les grandes puissances telles que les toitures de parkings, de sites de grande distribution ou de sites industriels et même de sites agricoles sont clairement défavorisés : ils devront patienter 3 mois pour leurs projets en cours, et devront faire une nouvelle demande de raccordement en mars auprès d’ERDF à des conditions aujourd’hui inconnues. Le Syndicat des Energies Renouvelables (SER) qui "ne conteste pas la nécessité d’une régulation du développement de cette filière, souligne que la création de l’outil industriel, qui est largement amorcé, nécessite un minimum de stabilité des règles et de l’environnement économique". Le syndicat a donc mené une enquête sur les conséquences de l’application de ce décret : "Il en ressort que plus de 350 MW en cours de construction ou engagés (matériels commandés, acomptes payés aux fournisseurs) vont être définitivement arrêtés, pour un investissement de plus d’1,5 milliard d’euros, plaçant leurs opérateurs en situation de défaillance. C’est, dans l’immédiat, une centaine d’entreprises qui est ainsi menacée et, d’ores et déjà, plusieurs milliers d’emplois". Si les installateurs subiront des conséquences à très court terme sur leur chiffre d’affaires, les grands comptes spécialisés sur les toitures de grande surface risquent de voir 30% à 50% de leurs projets remis aux calendes grecques. Les grandes entreprises du secteur auront plus de facile à traverser la tempête que les PME-PMI, pour lesquelles un gel de 3 mois de leurs projets pourrait être fatal.
L’Usine Nouvelle rappelle également que traditionnellement dans le secteur, les fins de chantiers d’installations photovoltaïques se multiplient en décembre. Anticipant cette période où le marché est en pointe, les distributeurs de composants d’installations photovoltaïques (onduleurs, modules, systèmes d’intégration, câblage et conectique)
ont augmenté leurs stocks. Avec le moratoire de trois mois, les distributeurs français se trouvent littéralement avec des boulets au fond de leur entrepôt, qu’il leur faut vendre sous peine de mettre la clé sous la porte. Le secteur de ces entreprises de distribution dans le solaire est peu générateur de marge financière : "il s’agit de pousser de la palette et de faire de la gestion financière", synthétise un professionnel de la filière interrogé par L’Usine Nouvelle. Dès lors, ceux qui s’en sortiront sont les distributeurs européens, qui disposeront de suffisamment de points de vente en Europe pour écouler leurs stocks non vendus en France...
Au salon Energaïa sur les énergies renouvelables, qui se tient jusqu’à samedi au parc des expositions de Montpellier, Yves Piétrasanta, vice-président du conseil régional Languedoc-Roussillon a exprimé aurpès du Midi Libre toute la colère des professionnels : "Ce moratoire est une honte, une catastrophe pour tant d’entreprises qui avaient développé des projets et s’apprêtaient à les réaliser. Comment voulez-vous avoir une politique industrielle dans un pays comme la France qui changent les règles du jeu tous les trois mois !"
Mais tous ne sont pas nécessairement inquiets, à l’image de l’association professionnelle de l’énergie solaire Enerplan qui considère le moratoire "comme une décision sage permettant la redéfinition du cadre du marché photovoltaïque français, les mesures rétroactives proposées dans le projet de décret seraient cependant létales pour un grand nombre d’entreprises de la filière solaire française".