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Enquete sur le rechauffement de la planete

Les apprentis sorciers du climat

Courrier international n° 768 - 21/07/05

Dans le passe, plusieurs civilisations ont disparu a cause de changements climatiques naturels. Les scientifiques essaient aujourd’hui de mesurer l’ampleur des modifications dont nous sommes responsables. Le danger est clair et immediat.

Le premier empire du monde a ete fonde voila quatre mille trois cents ans, entre le Tigre et l’Euphrate, par Sargon d’Akkad. Le recit detaille de sa creation nous est parvenu sous une forme qui tient tout autant de l’histoire que du mythe. En akkadien, Sargon Sharrukin signifie “le roi legitime”. Il semble pourtant presque certain que Sargon etait un usurpateur. Enfant, il aurait ete retrouve, comme Moïse, flottant sur le fleuve dans une corbeille en joncs. Puis il devint echanson du roi de Kish, l’une des plus puissantes cites de l’antique Babylone. Avant l’avenement de Sargon, les villes babyloniennes – Kish, mais aussi Ur, Uruk et Umma – etaient essentiellement des cites-Etats independantes. Elles nouaient parfois des alliances ephemeres – les tablettes cuneiformes temoignent de celebrations de mariages strategiques et d’echanges de cadeaux diplomatiques -, mais elles etaient plus souvent en guerre les unes contre les autres. Sargon soumit tout d’abord les cites dissidentes de Babylone, puis entreprit la conquete – ou plus exactement le sac – de regions comme l’Elam, dans le sud-ouest de l’Iran actuel. Il avait etabli sa capitale dans la ville d’Akkad, dont les vestiges seraient au sud de Bagdad. Certains textes affirment que, “chaque jour, 5 400 hommes mangeaient en sa presence”, ce qui donne sans doute a entendre qu’il entretenait une importante armee de metier. A l’apogee de sa puissance, l’empire akkadien etendait son hegemonie jusqu’aux plaines du Khabour, dans le nord-est de la Syrie, une region precieuse pour sa production cerealiere. Sargon se fit appeler “roi du monde” et, plus tard, l’un de ses descendants s’arrogea le titre plus retentissant encore de “roi des quatre coins de l’univers”. Sargon aurait regne durant cinquante-six annees. A sa suite, ses deux fils occuperent le pouvoir pendant vingt-quatre ans, puis l’un de ses petits-fils, Naram-Sin – qui se proclamera de nature divine -, fut eleve sur le trone. Celui-ci ceda a son tour le pouvoir a son fils. Apres quoi, Akkad s’effondra du jour au lendemain. La lamentation de La Malediction d’Akkad fut ecrite moins de un siecle apres la chute de l’empire. Elle attribue la ruine d’Akkad a une offense faite aux divinites. Naram-Sin, rendu furieux par des oracles funestes, mit a sac le temple d’Enlil, dieu du vent et des tempetes, qui, en represailles, causa sa perte et celle de son peuple. On a cru pendant des annees que, tout comme la naissance de Sargon, les evenements decrits dans La Malediction d’Akkad etaient purement imaginaires. Puis, en 1978, apres avoir etudie a la loupe une serie de cartes a la bibliotheque Sterling de l’universite Yale, l’archeologue Harvey Weiss repera un tumulus intriguant a la confluence de deux fleuves asseches dans les plaines du Khabour, pres de la frontiere irakienne. Il entreprit des demarches aupres du gouvernement syrien pour effectuer des fouilles sur le tumulus et, a sa grande surprise, l’autorisation lui fut presque aussitot accordee. Quelque temps plus tard, il mettait au jour une cite perdue, l’ancienne Shekhna, aujourd’hui rebaptisee Tell Leilan. L’Une des plus graves catastrophes demographiques de l’histoire Au cours des dix annees suivantes, Weiss et une equipe d’etudiants et d’ouvriers syriens decouvrirent ainsi une acropole, un quartier residentiel tres densement peuple desservi par une route pavee, et un immense silo a grains subdivise en plusieurs salles. Les fouilles leur permirent d’etablir que les gens de l’antique Shekhna cultivaient l’orge et plusieurs varietes de ble, qu’ils utilisaient des chariots pour transporter leurs recoltes et qu’ils avaient mis au point un systeme d’ecriture inspire de celui de leurs voisins du Sud, dont la civilisation etait plus avancee. Les archeologues revelerent en outre des milliers de tessons de poteries datant de l’empire akkadien qui indiquaient que la population recevait ses rations alimentaires dans des recipients produits en serie, d’une contenance de un litre. Sur tous les sites de fouilles, Weiss et son equipe trouverent egalement une couche de terre qui ne presentait aucun signe d’occupation humaine. Cette strate, de pres de un metre d’epaisseur, correspondait a l’epoque comprise entre 2200 et 1900 av. J.-C., et indiquait qu’au moment de la chute de l’empire d’Akkad, Shekhna avait ete totalement desertee. En 1991, Weiss envoya des echantillons de cette terre a un laboratoire. Les analyses montrerent que, vers 2200 av. J.-C., toute trace de vie, jusqu’aux vers de terre, avait disparu de la ville. Weiss en conclut que le sol inerte de Shekhna et l’effondrement de l’Empire akkadien etaient les consequences d’un seul et meme phenomene : une secheresse si prolongee et si severe qu’elle constituait a ses yeux un exemple de “changement climatique”. Depuis, la liste des cultures dont la disparition a ete liee a un changement climatique n’a cesse de s’allonger. Citons, entre autres, la civilisation maya classique, qui s’est effondree a l’apogee de son developpement, vers l’an 800 de notre ere ; la civilisation de Tiahuanaco, qui prospera sur les rives du lac Titicaca, dans les Andes, pendant plus d’un millenaire, puis s’evanouit vers 1100 de notre ere ; et l’Ancien Empire egyptien, qui s’effondra vers la meme epoque que l’Empire akkadien. Dans chacun de ces cas, ce qui n’etait a l’origine qu’une hypothese tres audacieuse s’est trouve peu a peu confirme par des informations concretes, pour paraitre de plus en plus evident. Ainsi, l’idee que la civilisation maya ait pu etre aneantie par un changement climatique est avancee pour la premiere fois des la fin des annees 1980, mais, a l’epoque, il n’y avait pas suffisamment de preuves climatologiques pour l’etayer. Puis, vers 1995, des scientifiques americains qui etudient des carottes sedimentaires du lac Chichancanab, dans le centre-nord du Yucatán, annoncent que le regime des precipitations dans la region a bel et bien change aux IXe et Xe siecles, et que ce changement a debouche sur de longues periodes de secheresse. Plus recemment, un groupe de chercheurs examinant des carottes de sediments oceaniques prelevees au large du Venezuela ont fourni des releves encore plus detailles des precipitations dans cette region, qui leur ont permis d’etablir que la region avait effectivement connu plusieurs “serieux episodes de secheresse qui se sont prolonges pendant plusieurs annees”, a partir d’environ 750 de notre ere. La chute de la civilisation maya classique, qui a ete decrite comme “l’une des plus graves catastrophes demographiques de l’histoire de l’humanite”, aurait coute la vie a des millions de personnes. Les changements climatiques qui ont affecte les cultures du passe precedent l’industrialisation de plusieurs centaines d’annees – et meme, dans le cas des Akkadiens, de plusieurs milliers d’annees. Ils refletent la variabilite naturelle du systeme climatique et ont ete declenches par des forces dont nous n’avons encore qu’une tres vague idee. Les bouleversements climatiques prevus pour le siecle prochain sont en revanche imputables a des forces que nous connaissons desormais tres bien. Leur ampleur en fait tout a la fois un sujet scientifique extremement interessant et un phenomene qui revet la plus grande importance historique. Dans ce contexte, que d’autres cultures aient deja ete aneanties par les changements climatiques constitue ce qu’on ne peut qualifier que d’inquietants precedents. L’institut Goddard d’etudes spatiales, plus connu sous le sigle GISS, a ses bureaux a quelques encablures au sud du campus principal de l’universite Columbia, au cœur de New York, a l’angle de Broadway et de la 112e Rue Ouest. Il n’est pas tres bien signale, mais les New-Yorkais n’ont aucun mal a reperer l’immeuble : le rez-de-chaussee est occupe par Tom’s Restaurant, le cafe rendu celebre par la serie televisee Seinfeld. Antenne de la NASA, le GISS a ete cree il y a quarante-quatre ans en tant que centre de recherches sur la planete. Aujourd’hui, sa fonction premiere est d’effectuer des previsions sur les changements climatiques. L’institut emploie pres de 150 personnes, dont beaucoup passent leurs journees a traiter des donnees mathematiques qui contribueront – ou non – a affiner le modele climatique de l’institut. Certains travaillent sur des algorithmes decrivant le comportement de l’atmosphere, d’autres sur le comportement des oceans, d’autres encore sur la vegetation ou sur les nuages, tandis que des equipes sont chargees de confronter tous ces algorithmes et de s’assurer que leurs resultats concordent avec la realite observee. (Il est deja arrive qu’apres avoir pousse un peu trop loin les perfectionnements appliques au modele on se retrouve avec une absence presque totale de precipitations sur les forets tropicales !) La derniere version en date du modele du GISS, appelee ModelE, se presente sous la forme de 125 000 lignes de code informatique. L’annee la plus chaude enregistree a la surface de la terre ou des oceans Le directeur de l’institut Goddard, James Hansen, occupe un vaste bureau encombre d’un indescriptible fouillis au septieme etage de l’immeuble [[(J’ai du paraitre un peu deconcertee en penetrant dans son antre, car, des le lendemain, il m’envoyait un e-mail pour m’assurer que son bureau etait “beaucoup mieux organise qu’il ne l’avait ete par le passe”.)]]. A 63 ans, Hansen est un homme sec au visage anguleux surmonte d’une mince frange brune. Bien qu’il ait sans doute fait plus que tout autre chercheur pour sensibiliser l’opinion aux dangers d’un rechauffement planetaire, il affiche une reserve qui confine a la timidite. Lorsque je lui demande comment il en est venu a jouer un role aussi important, il hausse les epaules : “Bah ! C’est l’occasion qui a fait le larron, c’est tout.” James Hansen a commence a s’interesser aux changements climatiques vers 1975 et a passe son doctorat sous la direction de James Van Allen (le physicien qui a donne son nom aux ceintures de radiations de Van Allen, dans la magnetosphere terrestre). Dans sa these consacree au climat de Venus, il avance l’hypothese selon laquelle si la planete presente une temperature de surface moyenne de 464 °C, c’est parce qu’elle est enveloppee d’un brouillard de gaz carbonique. Quelque temps plus tard, une sonde spatiale apporte la preuve que Venus est effectivement isolee par une atmosphere composee a 96 % de dioxyde de carbone. Lorsque des donnees concretes ont commence a montrer l’evolution des niveaux des gaz a effet de serre dans l’atmosphere terrestre, Hansen s’est litteralement “pris de passion” pour le sujet. Il trouve bien plus interessant de travailler sur une planete dont l’atmosphere peut se modifier en l’espace d’une vie humaine que sur une autre qui de toute facon continuera eternellement a se rechauffer. Un groupe de chercheurs de la NASA a mis au point un programme informatique pour tenter d’ameliorer les previsions meteorologiques a partir des donnees satellitaires. Hansen et une equipe d’une demi-douzaine d’autres chercheurs entreprennent alors d’adapter leur logiciel a des previsions a plus long terme : ils veulent savoir comment evolueront les temperatures mondiales sous l’effet de l’accumulation continue de gaz a effet de serre. Il leur faudra sept ans pour realiser ce projet, qui a abouti a la premiere version du modele climatique du GISS. A l’epoque, il n’y a encore que tres peu de donnees empiriques pour etayer l’hypothese d’un rechauffement planetaire. On ne dispose de releves suivis et fiables des temperatures que depuis le milieu du XIXe siecle. Ces archives montrent que les temperatures mondiales moyennes ont augmente tout au long de la premiere moitie du XXe siecle, puis ont fortement chute dans les annees 1950 et 1960. Au debut des annees 1980, Hansen est toutefois suffisamment sur de la performance de son modele pour lancer une serie de predictions de plus en plus audacieuses. En 1981, il prevoit ainsi que, “d’apres les signes de variabilite naturelle du climat, un rechauffement du au dioxyde de carbone devrait se manifester” vers l’an 2000. Pendant l’ete exceptionnellement chaud de 1988, il temoigne devant une sous-commission senatoriale, se declarant certain “a 99 %” que “le rechauffement planetaire affecte d’ores et deja notre planete”. Et, a l’ete 1990, il parie 100 dollars devant une salle bondee de scientifiques que l’annee la plus chaude jamais enregistree serait soit celle-la, soit l’une des suivantes. Pour remplir tous les criteres, la chaleur doit battre tous les records non seulement a la surface de la terre, mais aussi a la surface des oceans et dans la basse atmosphere. Six mois plus tard, Hansen gagne son pari. Des milliers de cubes empiles les uns sur les autres Comme tous les modeles climatiques, celui du GISS subdivise la planete par un empilement de cubes. Trois mille trois cent douze cubes recouvrent ainsi la surface de la Terre, et ce quadrillage tridimensionnel est repris vingt fois a mesure que l’on s’eleve dans l’atmosphere. On pourrait comparer ce schema a un empilement d’immenses echiquiers. Chaque cube correspond a une surface de 4 degres de latitude par 5 degres de longitude (sa hauteur variant en fonction de l’altitude). Dans la realite, bien entendu, une surface aussi importante presenterait un nombre incalculable de particularites ; dans le modele, des elements tels que des lacs et des montagnes, voire des chaines de montagnes sont representes par un ensemble reduit de proprietes, qui sont ensuite exprimees par des approximations numeriques. Dans ce monde reduit a une grille, le temps se mesure essentiellement par intervalles discrets d’une demi-heure, ce qui signifie qu’une nouvelle serie de calculs sont realises pour chaque cube pour chaque demi-heure censee s’etre ecoulee dans le monde reel. Selon la partie du globe a laquelle correspond un cube, ces calculs peuvent faire intervenir des dizaines d’algorithmes differents, de sorte qu’une modelisation type censee simuler les conditions climatiques sur les cent prochaines annees fait intervenir plus de un million de milliards d’operations differentes. Il faut en general pres de un mois pour realiser sur un supercalculateur une seule simulation a partir du modele du GISS. Tres globalement, un modele de circulation generale (MCG) repose sur deux types d’equation : le premier exprime des principes physiques de base, comme la conservation de l’energie et la loi de la pesanteur ; le second fournit une description – ou, dans le jargon du metier, une “parametrisation” – des processus et des interactions qui ont ete observes dans la nature mais qui n’ont parfois ete que partiellement compris, ou des processus operant a petite echelle et devant etre extrapoles sur de grands espaces. Tous les modeles climatiques traitent les lois de la physique de la meme facon, mais, dans la mesure ou chacun se fonde sur sa propre parametrisation de phenomenes, comme la formation des nuages, ils aboutissent a des resultats differents. (A l’heure actuelle, il y a une quinzaine de grands modeles climatiques operationnels dans le monde.) De plus, il y a, dans le monde reel, tant de forces a l’œuvre qui influencent le climat que chaque modele tend, un peu comme les etudiants en medecine, a se specialiser dans un processus particulier. Ainsi, le modele du GISS s’interesse plus particulierement aux schemas de circulation de l’atmosphere, alors que d’autres se concentrent sur le comportement des oceans et d’autres encore sur celui des terres emergees et des calottes glaciaires. La performance d’un modele climatique particulier ou d’une simulation est delicate a evaluer, car les resultats que fournissent ces outils sont des projections dans l’avenir. C’est pourquoi on procede generalement a une “modelisation inverse”, consistant a appliquer les modeles a des phenomenes passes afin d’apprecier la fiabilite avec laquelle ils reproduisent des tendances qui ont deja ete observees. Hansen s’est ainsi declare satisfait de la facon dont le ModelE avait reproduit les consequences de l’eruption du Pinatubo, aux Philippines, en juin 1991. Les eruptions volcaniques degagent de grandes quantites de dioxyde de soufre – le Pinatubo a emis quelque 20 millions de tonnes de ce gaz qui, une fois dans la stratosphere, se condense pour former de minuscules gouttelettes de soufre. Ces gouttelettes, ou aerosols, ont tendance a refroidir la terre en reflechissant le rayonnement solaire vers l’espace. (Les aerosols anthropiques – produits par l’homme – issus de la combustion du charbon, du petrole ou de la biomasse reflechissent egalement le rayonnement solaire et compensent ainsi le rechauffement planetaire, mais avec de graves risques pour la sante humaine.) Cet effet de refroidissement dure aussi longtemps que les aerosols restent en suspension dans l’atmosphere. En 1992, les temperatures du globe, qui avaient considerablement augmente, ont brutalement chute de 0,5 °C, puis elles ont commence a remonter. Le ModelE a reussi a simuler cet effet avec une precision de l’ordre de 0,09 °C. “C’est un test assez convaincant”, commente laconiquement Hansen. Lorsque les modelisateurs parlent de ce qui regit le climat, ils se concentrent sur ce qu’ils appellent les “forcages radiatifs”. Tout processus en cours ou evenement qui modifie l’equilibre energetique moyen du systeme terrestre est un forcage. Outre les eruptions volcaniques, les forcages naturels peuvent provenir, entre autres phenomenes, des variations periodiques de l’orbite terrestre ou des modifications de l’intensite du rayonnement solaire liees, par exemple, aux taches solaires. Or bon nombre de modifications climatiques du passe ne sont liees a aucun forcage connu ; par exemple, personne ne sait au juste ce qui a declenche le “petit age glaciaire” qui a commence en Europe il y a environ cinq cents ans. Un forcage tres important devrait toutefois se traduire par un effet proportionnel et flagrant. “Si le Soleil devait passer au stade supernova [l’explosion massive d’une etoile], il ne fait aucun doute que nous pourrions modeliser ce qui se passerait”, resume un chercheur du GISS. L’emission de dioxyde de carbone ou de tout autre gaz a effet de serre dans l’atmosphere, que ce soit en brulant des combustibles fossiles ou en rasant les forets, est ce que les climatologues appellent un forcage anthropique. Depuis l’epoque preindustrielle, les concentrations de CO2 dans l’atmosphere terrestre ont augmente d’environ un tiers, passant de 280 parties par million (ppm) a 378 ppm. Sur la meme periode, les concentrations de methane, un gaz a effet de serre encore plus puissant (mais presentant une duree de vie moindre), ont plus que double, passant de 0,78 ppm a 1,76 ppm. Les scientifiques mesurent ces forcages en watts par metre carre de surface terrestre. A l’heure actuelle, le forcage radiatif des gaz a effet de serre est estime a 2,5 W/m2. Une simple ampoule de guirlande de Noël emet une energie de 0,04 W, principalement sous forme de chaleur, ce qui revient a dire que nous aurions recouvert le globe de petites ampoules, a raison de six par metre carre. Et ces ampoules restent allumees vingt-quatre heures par jour, sept jours par semaine, tout au long de l’annee. Faire monter le niveau des oceans de plus de 120 metres Si le niveau actuel des gaz a effet de serre se maintenait, on estime qu’il faudrait plusieurs decennies pour que les effets du forcage qui est deja a l’œuvre se fassent pleinement sentir. Cela provient du fait que la temperature de la terre s’eleve non seulement en fonction du rechauffement de l’air et de la surface de la terre, mais aussi de la fonte des glaces de mer, du retrait des glaciers et, surtout, du rechauffement des processus oceaniques a l’echelle planetaire, qui absorbent d’enormes quantites d’energie. D’un cote, le retardateur integre au systeme climatique est socialement utile, car il nous permet – grace aux modelisations climatiques – de nous preparer a ce qui nous attend, mais, d’un autre cote, on pourrait tout aussi bien considerer qu’il est socialement catastrophique en ceci qu’il nous permet de continuer a deverser du CO2 dans l’atmosphere tout en sachant que ce sont nos enfants et nos petits-enfants qui en subiront les consequences. Dans un cas comme dans l’autre, si les tendances actuelles se poursuivent, c’est-a-dire si l’on ne prend aucune mesure pour reduire les emissions, les niveaux de dioxyde de carbone atteindront probablement 500 ppm – soit deux fois plus que les niveaux preindustriels – vers le milieu du XXIe siecle. D’ici la, bien entendu, le forcage induit par les gaz a effet de serre aura egalement augmente, pour atteindre les 4 W/m2, voire davantage. A titre de comparaison, le forcage radiatif total qui a mis fin a la derniere glaciation – un forcage qui s’est avere suffisant pour faire fondre des nappes de glace de 1 500 metres d’epaisseur et faire monter le niveau des oceans de plus de 120 metres – n’etait que de 6,5 W/m2. Pour un doublement des taux de CO2, les simulations du modele du GISS predisent que les temperatures moyennes de la Terre augmenteront de 2,7 °C. Seul un tiers de cette hausse est directement imputable a l’accumulation de gaz a effet de serre ; le reste provient d’effets indirects, dont le plus important est ce qu’on appelle la “retroaction de la vapeur d’eau”. (Puisque l’air chaud contient davantage d’humidite, une hausse des temperatures devrait se traduire par une atmosphere plus chargee en vapeur d’eau, qui est aussi un gaz a effet de serre.) Les previsions du GISS sont les plus optimistes des dernieres projections en date. Le modele du centre Hadley, realise par le Service meteorologique britannique, predit qu’un doublement des taux de CO2 aboutira a une hausse de temperature de 3,5 °C, tandis que l’Institut japonais d’etudes environnementales situe plutot cette elevation a 4,2 °C. A l’echelle de notre quotidien, un rechauffement de 2,7 °C, ou meme de 4,2 °C, pourrait sembler n’avoir rien de particulierement alarmant. Apres tout, entre le matin et l’apres-midi d’une journee d’ete type, les temperatures de l’air augmentent tres facilement de 11 °C ou plus. Mais les temperatures moyennes de la Terre n’ont pratiquement rien de commun avec notre petit quotidien. Au milieu de la derniere epoque glaciaire, Manhattan, Boston et Chicago etaient enfouis sous une profonde couche de glace, et le niveau des oceans etait si bas que la Siberie et l’Alaska etaient relies par un pont continental de pres de 1 600 kilometres de large. A cette epoque, les temperatures moyennes de la Terre etaient inferieures d’environ 5,5 °C aux niveaux actuels. Mais, inversement, depuis que notre espece a evolue, les temperatures moyennes n’ont jamais depasse les moyennes actuelles de plus de 1 °C a 1,6 °C. C’est la pour les climatologues un fait particulierement significatif. En etudiant les carottages de glace de l’Antarctique, les chercheurs sont parvenus a reconstituer des archives completes de la temperature terrestre et de la composition de l’atmosphere sur les quatre dernieres glaciations. (On peut calculer les temperatures a partir de la composition de la glace et reconstituer la composition de l’atmosphere en analysant les minuscules bulles d’air piegees dans la glace.) Ce que ces archives montrent, c’est que la planete est aujourd’hui presque aussi chaude qu’elle l’a jamais ete depuis les quatre cent vingt mille dernieres annees. Et, avec 378 ppm, les taux de CO2 sont beaucoup plus eleves aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais ete sur toute la periode revelee par les carottes de l’Antarctique. On pense que la derniere fois que les niveaux de dioxyde de carbone se sont situes dans cette fourchette, ce devait etre il y a trois millions et demi d’annees, et ils n’ont sans doute pas ete beaucoup plus eleves depuis dix millions d’annees. Un chercheur de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA, Agence nationale oceanique et atmospherique) resume en plaisantant a demi : “Il est vrai que nous avons deja eu des taux de CO2 plus eleves. Mais, a cette epoque-la, nous avions aussi des dinosaures.” “Ils n’avaient aucun moyen de faire face a ce scenario” David Rind est climatologue au GISS depuis 1978. C’est le poil a gratter du modele de l’institut : son role est de passer au peigne fin des rames entieres de documents remplis de colonnes de chiffres, appeles des “diagnostics”, pour tenter de detecter les failles du modele, et il travaille egalement avec le Groupe d’impacts sur le climat du GISS. (Son bureau, comme celui de Hansen, est jonche de piles poussiereuses de sorties d’imprimante.) Bien que la hausse des temperatures soit le resultat le plus evident et le plus previsible de l’augmentation des taux de CO2, d’autres consequences de deuxieme ordre, comme le relevement du niveau des oceans, les changements de la couverture vegetale, la baisse de l’enneigement, pourraient bien s’averer tout aussi significatives. Rind s’interesse tout particulierement a l’impact qu’aura la hausse des niveaux de CO2 sur les reserves en eau car, comme il l’explique, “on ne peut pas fabriquer de l’eau en plastique”. Tout comme la vitesse du vent se mesure sur l’echelle de Beaufort, les ressources en eau sont evaluees a partir de l’indice de severite de secheresse de Palmer (IPGS). Les differents modeles climatiques divergent tres largement dans leurs predictions sur la disponibilite future des ressources en eau ; dans son article, Rind avait applique les criteres de l’indice de Palmer au modele du GISS, ainsi qu’a un autre modele, mis au point par le Geophysical Fluid Dynamics Laboratory (GFDL, Laboratoire geophysique de dynamique des fluides), antenne de la NOAA. Il en concluait que plus les niveaux de dioxyde de carbone augmentaient, plus la planete etait confrontee a de graves penuries d’eau, qui se manifestaient dans un premier temps aux abords de l’equateur, puis s’etendaient vers les poles. Lorsqu’il a applique l’IPGS au modele du GISS dans le scenario d’un doublement des concentrations atmospheriques de CO2, la simulation revelait une secheresse tres grave sur pratiquement tout le territoire des Etats-Unis. Applique au modele du GFDL, l’indice de Palmer fournissait des resultats encore plus alarmants. Rind a dresse deux cartes pour rendre compte des previsions de secheresse estivale, indiquant les risques compris entre 40 % et 60 % en jaune, ceux evalues entre 60 % et 80 % en ocre et enfin ceux compris dans la fourchette extreme de 80 % a 100 % en marron. Sur la premiere carte, fondee sur la modelisation du GISS, le nord-est du pays etait jaune, le Midwest ocre et les Etats des montagnes Rocheuses et la Californie apparaissaient en marron. Sur la seconde carte, traduisant les resultats du GFDL, les zones marron recouvraient pratiquement tout le territoire. “J’ai donne une conference en Californie sur ces indices de severite de secheresse, devant un parterre de responsables de la gestion des ressources en eau, poursuit Rind. Et ils ont baisse les bras, en disant : ‘Eh bien, si c’est ce qui nous attend, n’en parlons plus !’ Ils n’avaient tout bonnement aucun moyen de faire face a ce scenario.” “Il est evident que, si l’on en arrive a des indices de secheresse de cet ordre, aucune adaptation n’est possible, commente-t-il. Mais supposons que les indices ne soient pas aussi graves que cela. De quel type d’adaptation parlons-nous, alors ? D’une adaptation pour 2020 ? Pour 2040 ? Ou encore a l’horizon 2060 ? De par la nature meme des projections des modeles, a mesure que le rechauffement planetaire se poursuivra, une fois qu’on se sera adapte pour une decennie donnee, il faudra tout reprendre de zero pour la decennie suivante. Nous avons peut-etre une plus grande capacite technologique que les societes qui nous ont precedes. Mais les changements climatiques ont ceci de particulier que, potentiellement, ils sont tres destabilisants au plan politique. Et notre capacite technologique renforcee nous confere aussi une plus grande capacite destructrice. Je pense qu’il est impossible de prevoir ce qui se passera. Et je ne serais pas plus etonne que cela de constater que, d’ici a 2100, pratiquement tous les systemes aient ete detruits – mais je ne serai plus la pour le voir.” Il se tait un instant, puis reprend : “Bien sur, c’est une vision un peu extreme des choses.”

 

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Elizabeth Kolbert, The New Yorker

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